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Retraites: le détail de ce qui va changer pour les salariés

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Le gouvernement a dévoilé les lignes de son projet de loi de réforme des retraites. Décryptage avec deux spécialistes des systèmes de protection sociale, Yann Lelann, sociologue à l’institut européen du salariat et Bruno Palier, politiste, proche du think tank Terra Nova.

Pour le premier, « le gouvernement a retardé une partie des coupes pour dédramatiser la réforme, désamorcer le mouvement social, mais nous en paierons tous les conséquences plus tard. C’est très habile politiquement, mais c’est un manque de confrontation et de courage ».

Pour le second, au discours plus nuancé, « aucune réforme des retraites n’est révolutionnaire. Celle-ci présente des innovations, mais le gouvernement a raté une opportunité en ne profitant pas de cette réforme pour lancer une grande négociation sur plusieurs années comme ce fut le cas en Suède autour de la question essentielle : l’harmonisation des règles de calcul des revenus, salaires de référence et retraite dans notre système ».

© reuters

Retraités, salariés, employeurs, tous à contribution

Matignon a tranché. Pour combler le déficit des retraites des régimes de base du secteur privé d’ici à 2020, il a renoncé à une hausse de la CSG pour privilégier une hausse des cotisations salariales et patronales et faire payer les retraités. Ces derniers avaient été épargnés en 2003 comme en 2010 par la droite. Mais l’exécutif, dans son souci de justice, avait prévenu : salariés, entreprises et retraités seraient mis à contribution. Soit un effort de redressement de 7,3 milliards d’euros, qui passe exclusivement par une hausse des prélèvements.

Les salariés du privé et les employeurs verront leurs cotisations retraite augmenter de 0,3 point sur quatre ans (0,15 point en 2014, puis 0,05 point les années suivantes), soit un rendement total en 2020 de 4,4 milliards ; 8,8 milliards en 2030 et 10,4 en 2040. À terme, cela représentera tout de même un manque à gagner de 54 euros par an pour un salarié au Smic. Les fonctionnaires subiront aussi une hausse des cotisations de retraite, mais le calendrier reste à définir et l'intégration de la nouvelle hausse sera définie par la ministre de la Fonction publique, Marylise Lebranchu.

Quant aux retraités, le gouvernement veut récupérer auprès d'eux 2,7 milliards d'euros à l'horizon 2020. Cela commencera par un gel déguisé de leurs pensions, durant six mois, qui ne seront plus revalorisées en fonction de l'inflation au 1er avril à partir de 2014, mais au 1er octobre. Ce « report » permettra aux régimes de retraite d'économiser 600 millions d'euros en 2014 et 1,4 milliard en 2020.

Les parents de trois enfants et plus verront par ailleurs leur majoration de pension de 10 % désormais soumise à l'impôt sur le revenu, et ce, dès l'année prochaine, « une mesure de justice », selon Jean-Marc Ayrault. Cette fiscalisation devrait engendrer une hausse d’impôts allant de 53 euros pour un retraité salarié au Smic à plus de 1 000 euros pour un cadre supérieur retraité.

Pour Yann Lelann, sociologue à l’institut européen du salariat, il s’agit là « d’une fausse hausse des cotisations sociales qui se joue dans le dos d’une autre branche, la CNAF, la Caisse nationale des allocations familiales ». Et de pointer du doigt la dernière ligne droite de la négociation. Lorsque lundi 26 août, le Medef, qui réclame un basculement des 5,4 % de charges patronales de la branche famille vers la fiscalité (CSG ou TVA), est ressorti satisfait de Matignon après que le gouvernement se soit engagé à réduire à nouveau le coût du travail pour les entreprises, à hauteur de l’augmentation de leurs cotisations retraites.

Cela se ferait dès 2014, un an à peine après l’instauration du crédit d’impôt compétitivité emploi (Cice) qui prévoit une baisse de 20 milliards d’euros de l’impôt sur les sociétés. « On va enlever à la Sécurité sociale beaucoup plus que ce que l’on va ajouter à la caisse nationale d’assurance vieillesse. Qui va compenser ce manque à gagner ? Les ménages, les salariés ? » s’indigne le jeune chercheur. Les syndicats promettent d’être vigilants. Les décisions doivent être prises dans les tout prochains jours et le gouvernement doit transmettre avant le 5 septembre le projet de loi de réforme des retraites au Conseil d’État.

Travailler plus longtemps

Pour ne pas mettre le feu aux poudres et revivre le gigantesque mouvement social de 2010 contre la réforme Sarkozy, le gouvernement n'allongera la durée de cotisation qu'après 2020. La durée de cotisation, qui s'élèvera en 2020 à 41 ans et trois trimestres, sera ainsi portée progressivement à 43 ans en 2035, à 42 ans en 2023, 42 ans et un trimestre en 2026, 42 ans et demi en 2029, 42 ans et trois trimestres en 2032, et 43 ans en 2035. Soit un trimestre tous les trois ans, jusqu'en 2035.

Cette mesure, qui s'appliquera aux salariés du privé comme aux fonctionnaires, rapportera 2,7 milliards d'euros à horizon 2030. Jusqu'en 2020, la durée d'assurance augmentera au rythme fixé par la réforme Fillon de 2003. Elle est dans la continuité des réformes engagées depuis les années 90 qui visent toutes à travailler plus longtemps en brandissant l’argument démographique de l’espérance de vie qui s’allonge.

Pour Yann Lelann, cette première réforme de la gauche sous la Cinquième République, très bien ficelée sur le plan stratégique et incohérente avec les positions du parti socialiste lorsqu’il était sur les bancs de l’opposition, marque « une vraie rupture dans l’imaginaire des retraites pour la gauche » : « Pour la première fois, la gauche assume qu’elle allonge la durée d’emploi et rompt avec avec son idéal de droit social d’une retraite à 60 ans. Pire, elle fait cette réforme au nom des générations futures qu’elle va faire payer puisque les jeunes devront travailler jusqu’à 70 ans ! »

Les jeunes sont parmi les grands perdants de cette réforme. Si diplômés et apprentis qui veulent racheter leurs années d’études ou de formation professionnelle devraient plus facilement valider leurs trimestres, grâce à des accords préférentiels, ils sont condamnés à travailler plus longtemps et à une retraite hypothétique dans un monde où ils subissent de plein fouet la précarité, le chômage.

Le « compte pénibilité », la vraie avancée ?

C’est l’une des mesures phares de justice sociale brandies par le gouvernement qui a suivi le rapport Moreau et qui suscite l’ire du Medef car son financement reposera sur les entreprises. À partir du 1er janvier 2015, un compte personnel de prévention de la pénibilité sera mis en place. Il sera financé par une cotisation des employeurs : une cotisation minimale de toutes les entreprises et une cotisation de chaque entreprise tenant compte de la pénibilité qui lui est propre.

Il pourra servir à financer la formation pour une reconversion, un temps partiel en fin de carrière ou permettre à un salarié en situation de pénibilité de partir plus tôt à la retraite. On ne connaît pas encore les modalités précises mais le dispositif reposera sur les dix critères de pénibilité définis par les partenaires sociaux en 2008. Les salariés pourront ainsi convertir leur durée d’exposition à ces facteurs en « points » qui seront eux-mêmes convertibles en trimestres.

Selon le barème présenté par l’exécutif, chaque trimestre d’exposition à des conditions pénibles vaudra un point (deux en en cas d’exposition à plusieurs facteurs) avec un plafond de 100 points. Dix points équivaudront à un trimestre sachant que les 20 premiers points seront consacrés aux formations. Pour les salariés proches de la retraite, les points acquis seront doublés et les 20 trimestres de formation ne seront pas obligatoires. Le rapport Moreau proposait, à titre d’exemple, 10 trimestres d'exposition à des facteurs de pénibilité contre un trimestre de congé formation, 30 trimestres d'exposition contre un trimestre au titre de la retraite, ce que certains syndicats comme la CGT jugeait « insuffisant ».

Pour les syndicats qui réclamaient de remettre à plat la question de la pénibilité au travail, sujet brûlant, encalminé depuis des années, âprement débattu en 2010, l’une des plus scandaleuses injustices du système français qui provoque plus de morts que les accidents de la route, ce compte-temps est une véritable avancée. Le volet pénibilité de la réforme de 2010, comme nous le racontions ici, se révèle être un fiasco tant les critères pour prétendre à un départ anticipé étaient drastiques. « Nous sommes dans le traitement collectif, cette fois-ci. Nous ne sommes plus dans la réparation individuelle et médicale », pointe Philippe Pihet, le monsieur retraites de Force ouvrière. Le compte pénibilité coûterait 1 milliard en 2020, 2 à 2,5 milliards en 2035. 20 % des salariés seraient concernés selon l’exécutif.

Pour Bruno Palier, cette mesure est l’une des deux grandes innovations de cette réforme avec les mesures prévues pour réduire les inégalités hommes-femmes : « C’est autrement plus ambitieux que le dispositif de 2010 où il faut être handicapé. Il faut attendre de connaître les modalités mais le mode de financement, qui incombera aux employeurs, peut être très incitatif en matière de prévention. Car avoir des postes pénibles risque de leur coûter cher. On peut regretter que la qualité de vie au travail et la formation professionnelle n’aient pas été abordées pour faire en sorte que les personnes puissent travailler plus longtemps dans de bonnes conditions ».

Pour Yann Lelann, de l’institut européen du salariat, cela ne règle pas absolument la question. « On combat la pénibilité dans sa réalité. Ce n’est pas au système de retraites de gérer cette problématique car c’est l’accepter. Il faut une évolution des modes de production, agir là ou cela fait mal, sur les postes de travail pour que les salariés ne perdent pas leur vie à la gagner. »

Un début de considération pour les femmes

Grandes oubliées des réformes successives, les femmes, qui retrouvent l’inégalité y compris à l’âge de la retraite, ne sont pour une fois pas perdantes. Elles obtiennent pour la première fois des avancées positives. Parmi les mesures de justice: la réforme de la majoration de pensions pour les parents de trois enfants et plus dont les contours sont encore flous. Mais elle n'interviendra… qu'après 2020.

Cette prime représente 10 % des pensions des parents retraités. Comme son montant est proportionnel au niveau de la pension et que les hommes gagnent plus que les femmes, elle profite davantage aux premiers. À partir de 2020, la majoration sera forfaitisée dès le premier enfant et progressivement plafonnée, ce qui bénéficiera principalement aux femmes.

« Une première grande innovation dans la lutte contre l’inégalité hommes-femmes », juge Bruno Palier avec l’assouplissement des règles de validation des trimestres pour les salariés combinant bas salaires et temps partiels, un public très féminin. À compter du 1er janvier 2014, il faudra 150 heures travaillées au Smic pour valider un trimestre, contre 200 aujourd'hui. D'autre part, tous les trimestres de congé maternité seront réputés cotisés.

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