Une jeune fille s'est défenestrée lundi 26 août au soir, se jetant du quatrième étage de son domicile familial, à Trappes. Transférée dans un hôpital parisien et opérée pendant la nuit, son diagnostic vital n’est plus engagé aujourd’hui. Le mardi 13 août, vers 10 heures, cette adolescente née à Trappes de parents d’origine malienne avait porté plainte contre X pour « violences volontaires », expliquant avoir été violemment agressée par plusieurs hommes pour avoir porté le voile. Voilà ce que la jeune fille de 16 ans a déclaré sur procès verbal aux policiers du commissariat de Trappes :
« Hier, le 12 août 2013, à 17 h 24, je sortais de chez une amie (…) qui habite (…) à Trappes, je téléphonais à une autre amie que je devais rejoindre à l’arrêt de bus, j’arrivais à la grille quand j’ai remarqué une voiture à l’arrêt de marque Clio 6, de couleur noire, une cinq portes, toutes les vitres étaient teintées et qui était toute neuve », narre-t-elle.
Les policiers l’interrogent : « Pourquoi avez-vous remarqué ce véhicule ? » « Parce que je veux cette voiture, lorsque j’aurais mon permis de conduire », leur répond l’étudiante en Bac Pro de Commerce.
« J’ai continué à marcher en direction de l’arrêt de bus. J’ai entendu la voiture démarrer et s’arrêter derrière moi. J’ai entendu derrière moi un individu me dire : “Et toi connasse, j’te parle.” Je n’ai pas pensé qu’il s’adressait à moi », retrace le procès-verbal. Elle constate qu’elle est seule, continue à marcher et entend des portes claquer. Deux individus se dirigent vers elle.
« Un individu m’a arraché mon voile par derrière en me disant “Sale pute avec ton voile, vous n’avez rien à faire dans ce pays”. » Prise de « peur », elle leur lance néanmoins : « Vous voulez quoi ? » L’homme continue à l’insulter : « Espèce de sale noire, retire ton torchon de ta tête. » Dans le procès verbal, elle précise au policier : « Il avait une voix très grave. Il mesure 1,70/75m, de corpulence mince, âgé d’une vingtaine d’année, de type européen, j’ignore la couleur de ses yeux, le crâne rasé. Sur la peau de son visage, il avait plein de petits boutons rouges, il avait des sourcils épais de couleur noir, je n’ai pas vu de piercing, de tatouages, ni barbe ni moustache. Il était habillé d’un tee-shirt noir à manches courtes, uni, et d’un jean bleu foncé sans signe distinctif et des chaussures style basket noires unies. Il portait une montre de couleur noire avec à l’intérieur comme des diamants, un bracelet en métal de couleur blanc. »
Selon son récit, un deuxième individu lui saisit les bras et lui dit alors : « Tu fermes ta gueule et t’avance. » « Je me suis débattue afin qu’il me lâche, il a mis sa main devant ma bouche pour m’empêcher de parler, il m’a de nouveau saisie par les deux avant-bras et il m’a entraînée une dizaine de mètres plus loin. Il a tenté de me faire tomber par terre, je me suis débattue, j’ai crié, il m’a de nouveau saisie par derrière en mettant ses deux bras autour de ma poitrine. Nous sommes tombés tous les deux au sol. Je me suis retrouvée assise sur l’individu, il a mis sa main gauche sur mon visage et ma joue gauche s’est trouvée sur le sol », retrace la lycéenne lors de sa déposition.
Dans le procès-verbal, elle décrit ce deuxième individu comme suit : « Un homme mesurant entre 1,85 et 1,90m, de forte corpulence (gros), âgé d’environ 20 ans, de type européen. Il a le crâne rasé, je ne sais pas la couleur de ses yeux, il portait un collier de couleur noir, sourcils noirs, j’ai remarqué un piercing au niveau de l’arcade sourcilière droite (deux petites boules grises). Il était vêtu d’un tee-shirt à manches longues avec des écrits en anglais de couleur blanc, un jean bleu foncé tirant sur le noir, sans signe particulier, et il était chaussé de baskets requins bleu foncées avec des traits blancs. »
Le premier homme les rejoint : « Il a mis sa main sur mon sein gauche, je me suis débattue et je lui ai mis une claque », précise le procès-verbal. « Il a riposté en me donnant un coup de poing au niveau du sein gauche », avant de sortir une lame à embout bleu en plastique. Tandis que l’homme costaud la maintient fermement au sol, le premier individu met « des petits coups courts et rapides » de lame sur sa joue droite, et dans son cou, sous l’oreille droite tout en lui disant « Et là Dieu il va t’aider ? » Dans un témoignage rédigé le soir chez elle pour se souvenir de l'agression (diffusée par le Collectif contre l'Islamophobie en France et relayé par le Huffinton Post), la jeune fille raconte qu’elle répète « Starfoullah » à plusieurs reprises. (l’équivalent de “Dieu pardonne-moi”) « Il m’a immédiatement mis une forte claque sur la joue droite », raconte-elle dans le procès-verbal.
Alors qu’elle subit cette agression depuis quelques minutes, « un jeune homme avec une casquette noir de marque Nike, un tee-shirt orange foncé à manches courtes, un jogging de couleur noir et des baskets noires, sur son vélo de couleur gris et noir, âgé entre 16 et 18 ans maximum » crie : « Hé, Hé, lâchez-là ! » Le jeune homme reste sur place. « Les deux individus m’ont immédiatement lâchée et pris la fuite en direction de leur voiture par le même chemin qu’ils avaient emprunté initialement. Le jeune homme a suivi les deux individus qui ont repris leur voiture, et je ne l’ai jamais revu », raconte l’adolescente.
Celle-ci certifie ne connaître ni ses agresseurs, ni le jeune homme à vélo. Dans le témoignage rédigé chez elle, la jeune française explique : « Apeurée, je me suis empressée de retrouver mon amie à l’arrêt de bus. J’ai pris la direction de chez moi en lui racontant ce qui venait de m’arriver. Au bout de quelques mètres, au niveau du square Léo Lagrange, j’ai fait une crise d’angoisse et je me suis évanouie. Quand je me suis réveillée, il y avait plein de monde autour de moi ainsi que deux agents de police. » Les secours transportent alors la jeune fille au département des urgences de l’hôpital de Trappes.
Un « état de reviviscence des événements »
A 18 heures, le lundi 12 août, un médecin l’examine. Le certificat médical précise que « l’examen clinique a révélé les lésions suivantes : ecchymoses des deux bras (faces antérieures) importantes tantôt linéaires tantôt nummulaires (ayant la forme d’une pièce), ecchymose pectorale à gauche, lésions cutanées à type de coupure de la joue droite et cervicale droite, cervicalgie, état de choc psychologique ». Après cet examen, les médecins lui prescrivent une gélule de Tranxène (déstressant), trois fois par jour pendant dix jours.
Deux jours après son agression, un deuxième certificat médical confirme l’existence des blessures et ajoute que la jeune fille souffre « de troubles du sommeil avec difficulté d’endormissement, d’un état de reviviscence des événements et d’un état de stress avec peur de sortir de chez elle ». Il précise que « le retentissement psychologique nécessite un examen par un expert psychiatre pour analyse ».
Le ministère de l'intérieur réagit le jour même de la plainte : « Manuel Valls, ministre de l’intérieur, tient à exprimer son indignation et à condamner fermement l’agression dont a été victime une jeune fille voilée de 16 ans hier à Trappes. […] Manuel Valls condamne avec sévérité cette nouvelle manifestation de haine et d’intolérance anti-musulmane. » Manuel Valls n’emploie pas le conditionnel. Le jour-même de la déposition, l’affaire est confiée par la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) à la Sûreté départementale des Yvelines. Le procureur des Yvelines en charge de l’enquête, Vincent Lesclous, reste précautionneux sur cette affaire : « Il m'est impossible d'en dire plus dans l'attente du résultat de cette enquête. » Depuis le dépôt de plainte, trois amies de la victime ont témoigné au commissariat.
Une dizaine de jours après son agression, le 22 août, la jeune fille est hospitalisée et gardée en observation pour une nuit. Un ami de la victime raconte à Mediapart : « Elle m'a dit que son but n'était pas de se suicider, mais qu'elle avait pris trop de médicaments au cours de la semaine ». « Elle aurait avalé une vingtaine de calmants sur une boîte de 30 calmants », explique-t-il. « Le fait que les médecins considèrent qu'elle puisse sortir le lendemain sans aucun suivi » finit par convaincre cet ami qu'il ne s'agissait pas d'une tentative de suicide. Selon Jean-Marc Galland, directeur de cabinet du préfet des Yvelines, « il y a eu une tentative à base de substances médicamenteuses, et il peut y avoir d’autres éléments qui remontent à avant ».
Le lundi 26 août au soir, l'adolescente se jette du quatrième étage de son domicile familial. Diverses versions circulent quant à cette défenestration. Le directeur de cabinet de la préfecture des Yvelines affirme : « On sait qu’elle a pu, au moins par des propos ou des écrits, exprimer à plusieurs reprises, une volonté de se supprimer », sans ajouter plus de précisions. L'ami de la jeune fille affirme avoir discuté avec elle, le vendredi 23 août. L'adolescente lui aurait dit : « Le policier me traite de menteuse, il m'a dit : “Avoue, comme ça c'est fini, nous on n'a pas que ça à faire”. » Ce proche aurait tenté de la rassurer sur le travail des policiers, mais il aurait remarqué le trouble persistant de la jeune fille. Pour le procureur en charge de l'enquête, rien n'indique qu'il y ait eu des fautes professionnelles.
À 18 h 37, lundi 26 août, la jeune fille a envoyé un texto groupé à ses proches : « Salam. depuis quelques semaines, ça se voit que je vais mal mais bon (il faut) toujours cacher ses défauts. T'es une sœur pour moi, mais là je n'en peux plus, j'ai plus espoir, on cherche à m'enfoncer mais je suis à bout. Le commissaire, j'ai l'impression qu'il fait tout pour pas m'aider. Désolée ». Une vingtaine de minutes plus tard, l'adolescente se jetait du quatrième étage de son immeuble. Des buissons auraient amorti une chute qui aurait pu lui être fatale.
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