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Apologie du terrorisme : la machine judiciaire s’emballe

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À chaque période qui suit des attentats, les réflexes et la surenchère sécuritaires menacent les libertés individuelles et les libertés publiques. C’est ce que constatent les avocats commis d’office qui défendent, ces jours-ci, des personnes jugées pour « apologie du terrorisme ».

Selon le Code pénal récemment modifié (article 421-2-5), « le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende ». La loi sur le terrorisme ayant été durcie le 14 novembre dernier, « les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 € d'amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne ».

Et l’on ne juge plus ces infractions comme des délits de presse, mais souvent en comparution immédiate, une procédure d’urgence qui ne fait pas la part belle aux droits de la défense, et permet de juger en correctionnelle immédiatement après la garde à vue ou la nuit au dépôt.

Dans les faits, les condamnations pleuvent dru. L’ivresse, la bêtise et la folie peuvent conduire en prison, ces jours-ci. Jusqu’ici, seuls Amnesty International et le Syndicat de la magistrature (SM) s’en émeuvent, ainsi que certains médias.

Ainsi, à Paris, le 15 janvier, un paumé aux propos incohérents écope de 15 mois de prison ferme et d‘un mandat de dépôt (lire notre article ici). À Toulouse, trois jeunes de 20 à 25 ans ont été condamnés pour les mêmes raisons à des peines de prison ferme, et aussitôt écroués. Même chose à Toulon, Orléans ou encore Strasbourg.

Les gardes à vue de mineurs, plus ou moins nécessaires au vu des faits allégués, se multiplient également. À Nantes, un  lycéen de 16 ans s’est ainsi retrouvé en garde à vue uniquement pour avoir mis en ligne un dessin à l’humour discutable sur son compte Facebook ; « un personnage avec un journal Charlie Hebdo, touché par des balles, le tout accompagné d'un commentaire ironique », a expliqué le parquet des mineurs. Il s'agissait d'une version détournée d'une Une de... Charlie Hebdo.

Pire encore, un collégien de troisième a même passé 24 heures en garde à vue avant d’être mis en examen pour apologie du terrorisme, uniquement pour avoir eu une réaction provocatrice et déplacée en classe (lire ici le témoignage d’une éducatrice sur Rue89).

C’est qu’à la loi Cazeneuve de novembre dernier est venue se surajouter, aussitôt après les attentats, une circulaire adressée à tous les parquets par la ministre de la justice Christiane Taubira. Cette circulaire du 12 janvier incite les parquets à poursuivre avec fermeté les infractions telles que les attaques ou dégradations contre les lieux de culte, les atteintes aux biens ou aux personnes liées à l’origine ou à la religion, ainsi que l’apologie du terrorisme (on peut lire la circulaire ici).

Bernard CazeneuveBernard Cazeneuve © Reuters

Nouvelles lois, nouvelles circulaires, comparutions immédiates, jugements sévères : ce précipité infernal conduit à la multiplication des peines de prison, amène des jeunes en détention. Cela alors que les établissements pénitentitiaires sont le plus souvent surpeuplés, les conditions de détention généralement indignes, et le risque de radicalisation ou de prosélytisme accrus, selon plusieurs spécialistes (lire ici le point de vue de Jean-Marie Delarue, et là celui de Fahrad Khosrokhavar).

« Il faut que la justice reste sereine », rappelle Françoise Martres, la présidente du syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche), sollicitée par Mediapart. « Nous disons qu’il faut faire attention aux consignes de fermeté, et au recours aux comparutions immédiates, car la justice ne se rend pas dans l’émotion ni dans l’immédiateté. » Françoise Martres rejette le procès en angélisme qui est régulièrement fait à tous ceux qui critiquent les lois sécuritaires. « Nous ne disons pas qu’il ne doit pas y voir de sanctions, mais que les procédures d’urgence ne sont pas forcément les plus appropriées. Surtout, il ne faut pas faire d’amalgame entre ceux qui font réellement l’apologie du terrorisme, et ceux qui ont un comportement déviant. » Pour la présidente du SM, ces temps-ci, « on prend le risque d'aggraver la situation plutôt que d'apaiser ».

Pour sa part, lors d'une conférence de presse avec Manuel Valls, après le conseil des ministres, Christiane Taubira a réagi assez vivement, ce mercredi, aux critiques formulées la veille par le SM dans un communiqué(Voir la vidéo ci-dessous.) 

Sollicité ce 21 janvier par Mediapart, le ministère de la justice recensait, au 19 janvier (ce sont les derniers chiffres collectés), quelque 251 procédures liées aux attentats des 7, 8 et 9 janvier. 76 d’entre elles concernent des atteintes aux personnes, 33 des atteintes aux biens, 25 des affaires de droit de la presse, et 117 des affaires d’apologie ou de provocation au terrorisme.

Sur ces 117 infractions, 40 étaient également liées à un autre délit (conduite en état alcoolique, outrage, rébellion, etc.). Sur les 77 infractions uniques recensées pour apologie ou provocation, 44 ont été jugées, dont 22 en comparution immédiate (les autres ont été renvoyées à plus tard ou confiées à un juge des enfants). Le ministère ne recensait, enfin, que 12 jugements à des peines de prison, dont 7 ferme.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Ca vous coûtera juste quelques données


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