Montbéliard et Audincourt, de notre envoyé spécial.– Chantal, grand-mère maintenant, a connu Gerardo tout petit, quand elle travaillait au Prisunic. Ils ne s'étaient pas croisés depuis les attentats. Une semaine après, ils se rencontrent à l'entrée du marché couvert d'Audincourt, petite ville du Doubs de 15 000 habitants. La belle-fille de Chantal est musulmane : « Hier, on a longtemps parlé, elle m'a dit : "On ne sera jamais considérés comme des Français." » « Tout ce qui va être musulman va être regardé de travers, c'est sûr », craint Gerardo, fils d'immigrés portugais. Il travaille chez Peugeot à Sochaux, le berceau de la marque au lion. Ici, tout le monde connaît quelqu'un qui travaille à la « Peuge », immense complexe industriel qui employa jusqu'à 40 000 personnes dans les années 1970 — quatre fois moins aujourd'hui.
« Au travail, les Algériens, les Turcs ont arrêté de parler de ce qui s'est passé. Ils se sentent visés. C'est devenu tabou », dit Gerardo. Chantal parle d'un « copain » qui ne cesse de lui envoyer par e-mail « des blagues sur l'islam » et des « reportages qu'il trouve je sais pas où ». « Je lui ai dit : "J'ai un petit-fils de sang arabe alors tu arrêtes ! Et pour tes vidéos, tu vérifies tes informations". »
Le 1er février, il y aura une élection législative partielle dans la quatrième circonscription du Doubs, pour remplacer à l'Assemblée nationale le socialiste Pierre Moscovici, ancien ministre de François Hollande parti à la Commission européenne. Ce sera le premier scrutin depuis les attentats de Paris. Le PS se pensait déjà éliminé, « l'esprit du 11 janvier » lui redonne quelque maigre espoir. Manuel Valls est annoncé avant le premier tour. Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen viendront après. L'UMP est bien partie pour gagner.
Ces jours-ci, tout le monde a encore la tête ailleurs. Avec les attentats, la campagne a évidemment été suspendue. « Après la trêve des confiseurs, la trêve des terroristes », soupire une responsable locale de l'UMP. Les affiches de campagne (photo) ne sont pas encore toutes collées.
Dans les colonnes de L'Est Républicain, la semaine dernière, c'était encore un peu la guerre. Dans le journal, il est question de gendarmes à la gare TGV et de policiers devant la synagogue de Belfort, d'un islamiste radical repéré, d'un Tchétchène déféré au tribunal pour détention d'un pistolet-mitrailleur Scorpio « du même type que celui utilisé par le terroriste Amedy Coulibaly ». Ou de Soukhaïna, collégienne de 15 ans partie faire le djihad en Syrie, « une situation unique sur le pays de Montbéliard ».
Dans le centre-ville vidéosurveillé d'Audincourt, les gendarmes patrouillent en escadrille, habillés en ninjas. C'est l'heure de gloire des plaisantins et des détraqués. À Fesches-le-Châtel, une petite ville, un habitant a menacé « de partir au djihad et de revenir dans trois ans pour tous vous égorger ». À Audincourt, des inconnus ont klaxonné devant la boutique d'un commerçant juif dimanche à 6 heures du matin en criant « Allah Akbar! ». La mosquée de Delle, près de Belfort, a été attaquée par un déséquilibré qui s'était déjà attaqué à la patinoire il y a quinze ans.
Ces jours-ci, à Audincourt et dans les environs, des musulmans ont eu peur. « Au bureau, j'ai vu des collèges soudain gênés à mon égard, raconte Oahi Gherabi, président de l'association de la mosquée de Montbéliard, ingénieur de profession. On évitait de me parler des événements. Dans les réunions associatives, on se taisait quand j'arrivais. Je me suis surpris à me poser la question de mon avenir ici. » À la Petite-Hollande, un quartier populaire de Montbéliard, des patientes voilées ont dit à leur docteur, Ilker Ciftci, qu'on les regarde bizarrement au supermarché. Les propres enfants d'Ilker, « traumatisés », n'ont pas voulu aller seuls à l'école le jour du massacre à Charlie Hebdo. « Il a fallu que je leur explique qu'ils n'y étaient pour rien », dit le médecin généraliste. « Lors de la manifestation pour Charlie, j'ai eu envie de donner la main à un ami musulman pour que les gens comprennent qu'il ne faut pas faire d'amalgame », dit Maryline Scalabrini, élue municipale de droite croisée à une cérémonie de vœux.
Comme des centaines d'autres villes en France, Audincourt a été « Charlie ». Dès l'après-midi de l'attentat dans les locaux du journal satirique, des citoyens se sont rassemblés, à l'appel des partis de gauche et des syndicats. Ils sont revenus le samedi, un millier. Du jamais-vu. « Le 1er mai, on se retrouve parfois à 200… », dit le communiste Vincent Adami, candidat du Front de gauche pour la législative.
À l'appel de la mosquée, on a aussi défilé à Montbéliard, tout près. Dans les villages, il y a eu des hommages dans les salles des fêtes, on a chanté La Marseillaise. Chez Peugeot, la direction a appelé à une minute de silence. À l'atelier serrage, il y a eu des applaudissements de solidarité. Sur son site web, la CGT du groupe PSA a rendu hommage aux dessinateurs tués dont elle pillait les dessins pour ses tracts. « On aime bien ceux avec Parisot et Gattaz », dit Bruno Lemerle, le représentant du syndicat au comité central d'entreprise.
Mais les quartiers ne se sont pas déplacés en masse aux manifs. « Le soir de l'attentat, parmi les manifestants de Montbéliard à l'appel des organisations de gauche, on était quelques centaines, c'était le réseau de militants classiques, par ailleurs bien "blanc-blanc"», dit l'élu écologiste Bernard Lachambre. « Il y a eu un mouvement de solidarité magnifique, mais certains sont restés à côté », déplore le maire et sénateur PS d'Audincourt, Martial Bourquin.
Cette injonction à manifester agace le médecin Ilker Ciftci. Il est arrivé à Montbéliard à l'âge de 7 ans, quand son père est venu travailler dans l'industrie. « En tant que français, je suis horrifié par ces attentats. Mais en tant que musulman, je n'ai pas à me sentir coupable ni à m'excuser. Manuel Valls dit que les musulmans ne doivent pas avoir honte. Mais pourquoi devraient-ils avoir honte ? » Ciftci s'est fait tout seul, il a longtemps cru au mérite individuel. Il se dit désormais qu'il existe bien un « racisme institutionnel ». Aux municipales de 2012, Ciftci, ni droite ni gauche, a fait voter les quartiers. Ses 10 % ont sans doute coûté la mairie au PS. Ce soir-là, l'ancien maire de Montbéliard l'avait traité de « saloperie de Turc ».
« Cet éditorialiste de 80 ans (Philippe Tesson) qui affirme que les musulmans sont le problème de la France, c'est dévastateur. Comment voulez-vous que certains ne se disent pas "bah voilà, Charlie Hebdo, bien fait". Ça fait trente ans qu'on nous demande d'être intégrés alors qu'on est nés ici. Nous sommes des Français de seconde catégorie. On a entassé les immigrés dans des cités, il n'y a pas eu de mixité sociale, pas d'éducation, pas d'accès à l'emploi. » Ilker Ciftci se félicite que le chef de l'État parle enfin d'« islamophobie », au même titre que de racisme et d'antisémitisme. « Les citoyens de culture musulmane en France ont le sentiment d'une injustice. J'espère que cette crise accouchera de jours meilleurs. »
À la Petite-Hollande, quartier de Montbéliard parmi les 200 quartiers les plus pauvres de France, le kiosque de Maria Duranton a été dévalisé. Comme partout en France, chacun cherchait son "Charlie". Mercredi matin, le premier jour, il y avait une queue de cinquante personnes à l'ouverture, trente personnes le lendemain. Elle a entendu deux ou trois réactions hostiles, « minoritaires », dit Maria, buraliste au look rockeuse. « On m'a dit Mahomet "c'est plus important que mon père ou ma mère", je trouve ça dingue. Un client voulait que je lui donne des allumettes, elle a refusé. Il m'a dit "la guerre est déclarée, on est chaud". »
À côté du "Maryland", la boutique de Maria, il y a le "Romarin", le café du centre-commercial. Là traîne un groupe de jeunes hommes, tous entre 20 et 30 ans. Je ne connaîtrai pas leur nom : leur méfiance à l'égard des médias est totale. L'un d'eux demande ma religion, si je suis « sioniste », de « la CIA » ou « des RG ». Un autre lance, intrigué, méfiant, un peu flatté : « C'est la première fois que je vois un journaliste ici. »
Le ton est rugueux mais nous discuterons plus d'une heure. Charlie Hebdo ? « Toi t'es Charlie, moi je suis sali », dit l'un d'eux. Sali ? « Dans ma religion, par les médias. » « On ne peut pas dire que rien ne justifie ce qui s'est passé. Si t'es agressé, tu viens te défendre », dit un autre. « Si je parle de ta mère, si je dis qu'elle est grosse, si tu dis stop et que je continue à insulter, ça va pas », ajoute un troisième. Un autre est moins catégorique. « On ne cautionne pas ce qui s'est passé, mais on ne cautionne pas non plus les caricatures. » Pour un quatrième, les attentats, « c'est un complot, comme le World Trade Center ». La discussion s'égare sur les chambres à gaz. « Vous les avez vues, vous ? » Et les corps des frères Kouachi ? « Khaled Kelkal, on l'a tué ! Saddam Hussein, on l'a pendu. Mesrine aussi, il a été tué devant tout le monde. Et là, pourquoi un soi-disant terroriste, on ne le voit pas ? C'est trafiqué, comme Mohamed Merah. »
Aucun fait ne les persuade. « Vous ne pourrez pas me convaincre », dit l'un d'eux. Le prétendu « lobby juif » est convoqué. « Dieudonné voulait faire un spectacle, ils l'ont pas laissé faire, pourquoi ? Parce qu'il insulte les juifs. Alors que c'est une liberté d'insulter l'islam. » Au bout d'une heure, la discussion s'apaise enfin. Je demande à ceux qui restent ce qu'ils font dans la vie. La réponse fuse : « intérim », « des trucs très courts ». « Le mot banlieue, tu sais d'où ça vient ? De "banni". Ils nous mettent tous là pour qu'on n'apparaisse pas sur la carte postale. »
Entre-temps, un homme de 38 ans, peintre en bâtiment, nous a rejoints. Il est plus posé, s'est converti à l'islam, a voté Mélenchon en 2012. « L'islam fait partie de la vie des musulmans et pourtant, il est décrié tous les jours. Les médias l'ont stigmatisé. Aujourd'hui, quand tu vas dans un magasin avec une fille qui porte un hidjab, c'est tout de suite le psychotage. Si on interroge les gens ici, tu verras qu'en fait, ils n'ont pas un discours de violence. Mais la liberté d'expression, elle doit s'arrêter à la religion. Parfois, je vois Patrick Dils au supermarché, le mec qui a été condamné alors qu'il était innocent, il habite pas loin. Lui, il sera toujours pointé du doigt. Avec les musulmans c'est pareil, dès qu'ils ont une barbe et une djellaba. »
Dans les classes du Doubs, la minute de silence pour l'hommage aux victimes a parfois été chahutée. L'académie de Besançon a détecté « quelques » cas « très minoritaires qui ont pu poser des problèmes », preuve d'une « immaturité d'individus qui font leur kakou quel que soit le contexte ». Ailleurs, les profs ont eu affaire à des réactions parfois déroutantes : pourquoi laisse-t-on publier des caricatures qui offensent la religion ? Pourquoi rendre hommage aux victimes et pas aux frères Kouachi ? N'y a-t-il pas « deux poids deux mesures » quand il s'agit des musulmans ? Pourquoi parler de ça alors qu'il y a plein d'autres drames sur la planète ?
Dans le lycée professionnel d'Audincourt où enseigne Thibaut Bize, des élèves ont refusé la minute de silence. « Y a de la provocation là-dedans. En général, ça part tout de suite après sur la Palestine. Quand tu leur expliques qu'une partie de la Palestine est chrétienne, que ce conflit est politique et pas religieux, tout ce qu'ils pensaient savoir s'écroulent. Ce sont des ados en rébellion. Ils en veulent à la terre entière. Ils disent "mon avenir c'est Pôle emploi", je fais tout pour leur dire que ce n'est pas le cas, mais ils ont parfois raison. Ils viennent de familles où l'on ne discute pas, leur souci, c'est de savoir comment ça va se passer demain pour eux. Aujourd'hui, c'est devenu un luxe de s'occuper d'autres causes que la sienne. Et l'identité ouvrière s'est perdue au profit d'une identité plus communautaire. »
À Audincourt, Montbeliard, Valentigney ou Bethoncourt, dans chaque ville des environs, il y a une cité sortie de terre, de l'époque où Peugeot embauchait à tour de bras. Avec la crise qui n'en finit plus, elles sont devenues des « ghettos », avec plus de 40 % de chômage, dit Guy Vandeneeckoutte, le directeur de la MJC de Valentigney. « Tant que les gens ne se rencontrent pas, tout le monde est satisfait. La mixité culturelle n'est jamais une évidence, pour personne », poursuit-il.
Les attentats de Paris ont révélé ces fractures culturelles profondes entre des mondes qui s'ignorent. Difficile de passer à côté pour les candidats à la législative. Le candidat socialiste, Frédéric Barbier, qui siégeait à l'Assemblée à la place de Moscovici, a un peu fait évoluer son discours, jusque-là très économique. « Je dis aux musulmans qu'ils doivent adapter leur religion à la République. Ils ont peut-être été un peu laxistes, c'est ce que dit Manuel Valls et il a raison. Le nombre de femmes voilées augmente. On voit des jeunes de 25 ans qui prêchent. Par rapport aux catholiques, il a pu y avoir un peu moins de contrôle. »
Depuis sa mairie, le maire PS d'Audincourt, Martial Bourquin espère un « sursaut républicain ». « On a reculé sur l'idée de laïcité, déplore-t-il. Donner son avis, caricaturer, écrire, se moquer des religions, c'est la liberté d'expression. » « La religion musulmane doit faire son aggiornamento, poursuit-il. On est le seul pays avec cette laïcité qui vient des Lumières. On ne peut pas imposer de prescription religieuse à la sphère publique. » « Le vrai problème, c'est que le repli identitaire est accentué par la crise économique », ajoute cet ancien cégétiste, un des rares parlementaires issu du monde ouvrier.
Dans le Doubs, le PS était hégémonique. Il a perdu de sa superbe. Aux dernières municipales, Montbéliard, Bavans, Bethoncourt sont passés à droite. Comme Valentigney, la ville où Pierre Moscovici était candidat. Le nom de l'ancien ministre a été biffé sur des dizaines de bulletins : tous ont été annulés, la ville a basculé de peu.
« Comme disait le président de mon club de foot, faut pas pleurer avant d'être battu », dit Barbier, qui parie sur un sursaut de mobilisation des électeurs socialistes pour passer le premier tour. Les écologistes, eux, sont partis seuls et s'attendent à un petit score. Bernard Lachambre, leur candidat, veut « redonner espoir aux gens, aux Français d'origine maghrébine, ceux qui disent "on veut pas de nous" ». Son père était dessinateur aux chemins de fer, sa mère sans emploi. « J'ai 63 ans, j'ai bénéficié de l'ascenseur social, c'était possible à l'époque, ça doit le rester. »
Sophie Montel, la candidate du Front national, reprend évidemment la musique du "Je vous l'avais bien dit", claironnée depuis les attentats par le parti d'extrême droite. Déjà conseillère régionale et députée européenne, Montel est candidate à toutes les élections. Et, comme toujours, elle fait une campagne minimale. Mercredi dernier, le vice-président du FN, Florian Philippot, est venu la soutenir : au lieu d'une réunion publique, ce fut une simple conférence de presse dans l'entresol de la maison d'un élu FN, avec cerbères équipés d'oreillettes à l'entrée, militants mutiques, et une séance de questions-réponses au milieu d'une cuisine.
Pour Montel, « cette élection est un test compte tenu des derniers événements ». Elle déplore le « changement de physionomie » des centres-villes, les « tenues vestimentaires qui sont un signe communautaire ». À ses côtés, Florian Philippot déroule l'argumentaire lepéniste : un référendum sur l'euro, la sortie de Schengen, un « plan de désarmement des banlieues », et, bien sûr, « le lien évident entre insécurité et immigration ». Montel dit que le Front national dénonce l'immigration « depuis des décennies ». « Les frontières, c'est comme la peau, ça sert de protection de l'organisme de l'entité France. » Aux européennes, l'abstention était forte, le FN a fini en tête dans presque tous les cantons de la circonscription.
« Elle casse l'élection », s'agace le candidat UMP Charles Demouge, dont le programme en matière de réponse au terrorisme est à peu de choses près celui du FN. « Elle ne fait pas campagne, confirme le candidat du Front de gauche, Vincent Adami. Ça me rend fou : on milite, on est dans les quartiers, à la sortie des boîtes, on bosse pour essayer de remettre de la politique là-dedans et eux ils ramassent. » Adami dirige une liste qui va du NPA aux chevènementistes — « ça frise l'exploit ». Il est connu pour s'être écharpé avec Marine Le Pen à la sortie de l'usine Peugeot, en 2012, pendant la présidentielle. « Elle est arrivée dans un bus, avec des journalistes et des militants, on s'est retrouvés côte à côte, elle a voulu faire un trait d'humour, j'ai pas réfléchi, c'est sorti comme ça » : ce jour-là, il fit sa fête à l'« héritière ». Quand elle reviendra, il sera là à nouveau pour lui porter la contradiction.
Depuis les attentats, tout le monde a un peu la tête en vrac. Mais Jacques Livchine, ça l'empêche même de dormir. Avec sa comparse Hervée de Lafond, il a fondé le théâtre de l'Unité d'Audincourt. Il a créé la Ligue d'improvisation française, a eu Jamel Debbouze pour élève, a dirigé la scène nationale de Montbéliard, tourne aujourd'hui partout en France. Depuis les attentats, le « metteur en songe » Livchine est tourmenté, il en a même fait un texte. « Un jeune ici, il veut être footballeur, djihadiste ou comique. Ils veulent être célèbres. Leurs pères rasaient les murs. Mais ils ne veulent pas être comme leurs pères. Aucun ne veut travailler chez Peugeot. »
Livchine, aux racines « russes et juives », est obsédé par la haine des musulmans qu'il voit suinter dans la société française. Il dit : « Je pense beaucoup en ce moment à une image, celle du champ d'orties. J'ai des orties dans mon jardin qui m'emmerdent, je les coupe sans arrêt mais elles repoussent tout le temps. Parce que le problème, c'est la terre. C'est elle qu'il faut changer. Quand tu tues les frères Kouachi, combien repoussent ensuite ? »
À quelques rues de là, Guy Vandeneeckoutte, le directeur de la MJC de Valentigney, est tout aussi préoccupé. Lui, c'est les flux et reflux médiatiques qui l'inquiètent : le déferlement des faits, l'avalanche des commentaires, et le risque qu'il n'en reste plus rien, comme souvent. « La dimension sociale des fossés culturels révélés par ces attentats est malheureusement parasitée par la lecture identitaire ou religieuse, dit-il. L'arbre culturel cache la forêt. Ce qu'on caractérise comme du repli communautaire, c'est la réponse à une difficulté de se sentir partie prenante de la société française. Il est plus facile de dire qu'il faut un flic devant chaque école que de donner du travail aux jeunes des quartiers. » Il craint que « dans quelques semaines, le soufflé ne soit retombé », que « pas grand-chose aura changé ». Les journalistes ne viendront plus le voir. Il continuera à soupirer dans son petit bureau en désordre.
« Il y aura un avant et un après 7 janvier », veut croire le socialiste Frédéric Barbier, pour qui l'heure est venue d'endiguer le fondamentalisme comme le Front national, « deux affreuses machines, un extrémisme religieux qui prospère doucement, un extrémisme politique qui se développe, et qui s'enrichissent l'un l'autre ». « Nous avons l'occasion de les arrêter : les quatre millions de Français qui ont marché, c'est un quitus donné par la population pour agir. »
Vincent Adami, le communiste, espère un « électrochoc ». « Il faut reparler de la République, de laïcité. Quand on n'utilise plus les concepts, ils disparaissent. La République dans certains quartiers a reculé. Si l'État n'y revient pas, on ne pourra pas gagner le combat des idées. » Socialiste en rupture de ban, Drici Salem, ancien adjoint à la culture de Valentigney, désormais soutien du Front de gauche, aimerait que « les citoyens refassent de la politique, s'engagent dans des associations, des partis, des syndicats, et agissent contre les politiques libérales, sinon c'est le FN qui en profitera ».
« Le pire, c'est de ne plus se parler », conclut le maire d'Audincourt, Martial Bourquin. Vendredi dernier, à l'heure de la prière, une dame est entrée dans la mosquée de Montbéliard, un bouquet de roses à la main. Elle a donné une fleur à toutes les femmes qui priaient. Elle voulait se faire pardonner « pour avoir douté des musulmans ».
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- Voir aussi le reportage photo de Raphaël Helle dans l'usine Peugeot de Sochaux sur le site La France VUE D'ICI
BOITE NOIREJe me suis rendu à Montbéliard et Audincourt (Doubs, cf. carte ©GoogleMaps) du 14 au 16 janvier. Toutes les personnes ont été interrogées sur place, la plupart lors d'entretiens, quelques-unes par téléphone.
Le premier tour de la législative partielle aura lieu le 1er février. Le second tour aura lieu une semaine plus tard, le 8. Il y a treize candidats pour cette législative. On trouve la liste sur le site de la préfecture du Doubs.
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