En pleine séquence antiterroriste, François Hollande prend le risque que ses annonces sur l'exemplarité des élus passent inaperçues. Elles sont pourtant bien là – quelques-unes en tout cas. Mardi 20 janvier, un an après les « lois Cahuzac », le président de la République a promis un second train de réformes en faveur de la transparence et de la probité des responsables publics, à l'occasion de ses vœux aux plus hauts représentants de l'État.
Tirées d'un rapport commandé à Jean-Louis Nadal (remis à quelques heures des attentats), ces mesures devraient se répartir entre plusieurs « projets de loi bientôt inscrits à l'ordre du jour », la rédaction du plus gros morceau étant confiée au ministre des finances, Michel Sapin.
Si le train est bien lancé, le nombre de wagons, et leur contenu, reste toutefois difficile à cerner. Jean-Louis Nadal, le président de la Haute autorité pour la transparence (HAT), désireux de renforcer les contrôles, devrait pousser en coulisse pour en accrocher un maximum et les remplir à ras bord. Mais une poignée de ses recommandations semble d'ores et déjà abandonnée, et nombre de mesures risquent de se heurter aux résistances de parlementaires et de hauts fonctionnaires.
« Pour les élus, je ne sais pas ce qu'on peut faire de plus, si ce n'est à la marge, a d'ailleurs réagi à chaud Christian Jacob, le patron des députés UMP. Il y a un moment où il faut trouver la limite entre la transparence et le voyeurisme ! » Peut-être soucieux de ne pas braquer, François Hollande a multiplié les phrases sibyllines. Décryptage.
- « Pour éviter que des manquements ne soient connus postérieurement à l'entrée en fonction des intéressés, il devra être procédé à des vérifications avant toutes les nominations les plus importantes »
Le chef de l'État veut prévenir une nouvelle « affaire Thévenoud », ce député PS bombardé secrétaire d'État le 26 août alors qu'il ne déclarait pas ses impôts. À l'époque, d'après nos informations, le secrétaire d'État au budget, Christian Eckert, le savait déjà depuis des mois. « J'étais au courant (…) avant les vacances d'été », a-t-il confié à Mediapart. Détenteur de la tutelle sur les services fiscaux, le secrétaire d'État au budget est en effet « informé des situations de particuliers ou d'entreprises ayant un caractère particulier eu égard à un montant (d'impôts) exceptionnel, ou concernant des personnes ou des entreprises connues du grand public », nous a expliqué cet automne Christian Eckert, en certifiant qu'il gardait ces informations pour lui seul. Pourquoi n'a-t-il pas alerté François Hollande juste avant la nomination de Thomas Thévenoud ? Personne ne lui aurait rien demandé, tout bonnement.
En réaction, Jean-Louis Nadal a donc préconisé dans son rapport que le chef de l’État et le premier ministre puissent « vérifier la situation fiscale » des personnes pressenties au gouvernement (ils resteraient « libres d'en tirer les conséquences qu'ils estiment pertinentes »). Cette idée est désormais retenue. Dans l'absolu, les patrons de l'exécutif pourraient en plus, quand il s'agit de promouvoir un élu, demander un avis à la HAT, déjà détentrice de ses déclarations de patrimoine et d'intérêts. Toutefois, le chef de l'État ne précise pas la nature des « vérifications » souhaitées.
En évoquant « toutes les nominations les plus importantes », il semble viser non seulement les ministres, mais toute une série d'emplois attribués en conseil des ministres, tels les conseillers d'État, les ambassadeurs, les préfets, les recteurs, etc. Bref, l'élite administrative du pays. Dans sa copie, Jean-Louis Nadal recommandait que les candidats à ces postes fournissent un « certificat de régularité fiscale » et un extrait de casier judiciaire. De quoi provoquer quelques levées de boucliers. Le futur projet de loi devra d'ailleurs être soumis au conseil d'État...
- « Je sais aussi que les assemblées travaillent sur des propositions par rapport aux candidatures aux élections »
François Hollande fait ici référence à l'instauration d'un « certificat fiscal » pour tous les candidats aux élections législatives et sénatoriales, qu'il paraît soutenir en creux. Dans l'esprit de Jean-Louis Nadal, ce « certificat » minimal attesterait qu'ils ont dûment rempli leurs déclarations de revenus trois ans durant. Mais il n'impliquerait pas de contrôle fiscal en bonne et due forme – les services seraient sinon débordés, selon le président de la HAT. Au Parlement, plusieurs voix réclament haut et fort une telle mesure pour 2017, qu'il s'agisse du déontologue de l'Assemblée nationale ou d'élus de gauche – voire sur des bancs de droite.
Mais en semblant renvoyer l'Assemblée nationale et le Sénat à leurs responsabilités, François Hollande ne se mouille pas. Difficile de savoir si cette mesure sera prévue par un projet de loi spécifique du gouvernement ou abandonnée à une hypothétique initiative parlementaire.
- « Pour un meilleur encadrement des groupes de pression (...), les citoyens sauront désormais qui est intervenu pour améliorer, corriger ou modifier une réforme, à quel niveau auprès des décideurs publics, et quels ont été les arguments utilisés »
A priori, c'est la traduction du concept d'« empreinte normative » ardemment défendu par des associations comme Transparency international et repris par Jean-Louis Nadal. Les Français doivent savoir quel lobby intervient auprès de quel parlementaire, quel conseiller de ministre, quel directeur d'administration, quel membre d'autorité indépendante (de santé, etc.). Pour Jean-Louis Nadal, cette transparence permettrait de « responsabiliser les décideurs publics ». Mais François Hollande parle-t-il bien d'un registre obligatoire pour tout lobbyiste, où chaque intervention devrait laisser une trace ? Avec quelles sanctions en cas d'omission ? Cette réforme devrait constituer le socle de la future loi Sapin.
- « Pour aller aussi loin que possible dans cette exemplarité et dans cette transparence, le premier ministre a demandé à Michel Sapin de préparer un projet de loi pour évoquer la transparence dans la vie économique »
Outre le dossier « lobbies », le ministre des finances pourrait bien être chargé de réfléchir au renforcement des pouvoirs de la HAT. Chargée d'éplucher des milliers de déclarations de patrimoine et d'intérêts, l'autorité indépendante se heurte en effet, dans la coulisse, à mille et un obstacles, en particulier dans ses rapports avec l'administration fiscale. Si le fisc est censé lui fournir « tous les éléments permettant d'apprécier » que les déclarations sont exhaustives et sincères, la collaboration est « parfois inutilement longue et fastidieuse », selon Jean-Louis Nadal.
Pour pallier ces « lacunes », son rapport soulignait la nécessité que les agents de la HAT puissent accéder en direct aux données du fisc, au fichier Ficoba (liste des comptes bancaires), aux signalements de Tracfin (cellule anti-blanchiment de Bercy) ou encore à la base Patrim (utilisée par Bercy pour estimer des biens immobiliers). De quoi faire paniquer certains parlementaires et agacer quelques hauts fonctionnaires des finances, jaloux de leurs prérogatives ou craignant un relâchement du secret fiscal. Patron de Bercy, Michel Sapin va être pris entre deux feux. Sollicité par Mediapart, son cabinet n'a pas retourné pour l'instant nos appels. À ce stade, l'Élysée ne précise pas non plus ses intentions.
- « L'exemplarité suppose aussi une justice indépendante. (…) J'exprime de nouveau le souhait que la garde des Sceaux puisse reprendre le projet de loi constitutionnelle pour donner de nouveaux pouvoirs au conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour la nomination des juges du parquet »
C'est le serpent de mer du quinquennat. Dès mars 2013, un projet de loi de nature constitutionnelle prétendait favoriser l'indépendance des procureurs (placés sous l'autorité du ministre de la justice qui les choisit), en prévoyant que leur nomination serait soumise au CSM pour « avis conforme » et plus seulement consultatif. La composition de cette instance devait être renforcée au passage. Mais depuis, ce texte voté à l'Assemblée nationale est en carafe au Sénat. Faute d'une majorité des trois cinquièmes pour l'adopter parmi les parlementaires, il a toutes les chances d'y rester.
- « Les nouvelles règles déontologiques seront étendues à tous les acteurs publics, fonctionnaires comme magistrats »
Ici, le chef de l'État fait référence à trois autres projets de loi ensablés depuis un an et demi au parlement, initialement pensés comme des compléments aux lois sur la transparence de 2013, mais toujours pas examinés en commission. Le premier précise les règles déontologiques applicables aux fonctionnaires, en particulier en cas de conflits d'intérêts (obligation de se déporter du dossier). Les autres instaurent non pas des déclarations d'intérêts pour tous les magistrats de l'ordre judiciaire, mais des « entretiens déontologiques », ainsi qu'une déclaration de patrimoine pour les plus hauts "gradés". Là encore, quelques grincements se font entendre.
À l'arrivée, plusieurs propositions formulées par Jean-Louis Nadal manquent au discours du président : la possibilité de destituer un parlementaire en cas de « manquement grave à la probité », la certification des finances de certains partis par la cour des comptes, l'exigence d'un casier judiciaire vierge de toute atteinte à la probité pour candidater aux élections, etc. Pourtant, même en l'état, il va falloir du souffle à l'exécutif et une majorité en formation de combat.
Dès mardi, le président socialiste de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui avait bataillé en 2013 contre la publication du patrimoine des parlementaires et dénoncé une « démocratie-paparazzi », a livré ses premières impressions à l'AFP : « L'Assemblée nationale n'a pas attendu le rapport Nadal – quelle que soit sa qualité – pour travailler sur la question de la transparence. » On a déjà vu déclaration plus chaleureuse.
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