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Affaire Jouyet-Fillon : les «trucs» et les «machins» du secrétaire général de l’Elysée

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C’est un enregistrement de neuf petites minutes, entrecoupé de deux coupures de quelques secondes. Neuf petites minutes extraites d’une conversation qui aura duré cinquante-trois minutes en tout. On y entend Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire général de l’Élysée, intime de François Hollande, converser avec les deux journalistes du Monde qui ont révélé début novembre, en ouverture de leur livre Sarko s’est tuer (Éd. Stock), l’affaire dite “Jouyet-Fillon”, que l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy avait rapidement requalifiée d’« affaire d’État »

Jean-Pierre Jouyet et François Hollande, Nicolas Sarkozy et François Fillon.Jean-Pierre Jouyet et François Hollande, Nicolas Sarkozy et François Fillon. © Reuters

De quoi s’agit-il exactement ? D’un entretien réalisé par nos confrères le 20 septembre, à l’Élysée, au cours duquel Jean-Pierre Jouyet leur « confirme » avoir déjeuné dans un restaurant du VIIIe arrondissement de Paris, le 24 juin, en plein scandale Bygmalion, avec François Fillon et Antoine Gosset-Grainville, un ami et ancien collaborateur des deux hommes, qui fut notamment directeur adjoint de cabinet de Fillon à Matignon, avant de travailler aux côtés de Jouyet à la caisse des dépôts et consignations. À l’occasion de ce déjeuner, l’ancien premier ministre aurait demandé au secrétaire général de l’Élysée – qui fut secrétaire d'État de son gouvernement de mai 2007 à décembre 2008 – de « taper vite » contre Nicolas Sarkozy pour accélérer les procédures judiciaires qui le visent. C’est du moins ce que raconte Jouyet aux deux journalistes ce jour-là.

« Formellement » démentis par Fillon et par Gosset-Grainville, ces propos valent au secrétaire général de l’Élysée, mais aussi à nos confrères, au Monde et aux éditions Stock qui ont publié leurs écrits, d’être poursuivis en diffamation par l’ancien premier ministre. Ce dernier n’a pas, comme il le souhaitait, récupéré la totalité des 53 minutes d’enregistrement, la justice ayant estimé que sa demande en référé n’était pas « légalement admissible ». En revanche, les courts extraits concernant le fameux déjeuner du 24 juin ont été versés au dossier par la défense et seront diffusés à l’occasion du procès qui se tiendra le 28 mai prochain.

Comme d’autres organes de presse, Mediapart a pu écouter cet enregistrement de quelques minutes. Des bribes de cette conversation fragmentée ont déjà été révélées par Le Monde, mais l’intégralité des neuf minutes d’échange n’a jusqu’alors pas été rendue publique. Nous publions aujourd’hui leur retranscription sur procès-verbal, réalisée mi-novembre par un huissier de justice, à la demande des deux journalistes.

Les extraits de l’entretien qu’a eu Jean-Pierre Jouyet avec nos confrères le 20 septembre sont surprenants à bien des égards. D’abord, parce que la conversation est coupée à deux reprises. Présentés comme « trois extraits » différenciés, on comprend toutefois à l’écoute qu’il s’agit d’une discussion au long cours. Les deux coupures ne semblent pas correspondre à un changement de sujet. Aussi ont-elles sans doute été effectuées au même titre que le reste des 44 minutes d’enregistrement : pour couvrir le secret professionnel, celui des sources et celui de la vie privée.

Un argument qui ne tient pas aux yeux de l’avocat de François Fillon, Me Jean-Pierre Versini-Campinchi, qui avait estimé dès la première audience de novembre que les deux journalistes avaient eux-mêmes « pulvérisé » leur source. « L'objectif majeur de cette action (la demande en référé pour obtenir l’enregistrement – ndlr) est atteint », avait-il encore confié à l’Agence France-Presse. Nous avons fait la démonstration qu'il y a quelque chose à dissimuler dans cet enregistrement. »

Les deux coupures interviennent précisément aux moments où Jean-Pierre Jouyet parle de François Hollande et s'apprête à expliquer « comment les choses se passent à l’Élysée » depuis son élection. « Je ne peux pas ne pas voir dans ces attaques invraisemblables une forme de déstabilisation et de complot », avait sous-entendu l’ancien premier ministre dans une interview accordée au Journal du Dimanche, bientôt soutenu par une bonne partie des ténors de l’UMP, dont certains avaient appelé à la démission de Jean-Pierre Jouyet.

Le secrétaire général de l’Élysée « a menti aux Français » et « n'a pas d'autre choix que de remettre sa démission », avait ainsi affirmé, le 9 novembre, Bruno Le Maire au Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro, au sujet des différentes versions livrées par Jouyet. Démentant dans un premier temps avoir tenu de tels propos à nos confrères du Monde, allant même jusqu’à envoyer un SMS à Fillon pour lui dire qu’il était « désolé de ces bruits de couloirs élyséens rapportés à des journalistes », l’ami intime de François Hollande avait fini par reconnaître les faits trois jours plus tard.

Bernard Kouchner, Nicolas Sarkozy et Jean-Pierre Jouyet à Bruxelles, en 2007.Bernard Kouchner, Nicolas Sarkozy et Jean-Pierre Jouyet à Bruxelles, en 2007. © Reuters

Les neuf minutes d’enregistrement versées au dossier sont à l’image de cette volte-face : Jean-Pierre Jouyet y apparaît hésitant, il parle de « truc », de « machin », se trompe sur certaines informations, à commencer par le restaurant dans lequel il dit avoir déjeuné avec François Fillon et Antoine Gosset-Grainville, le 24 juin. Il évoque ainsi un italien de la rue Boissy d’Anglas, alors que les trois hommes se sont retrouvés au Ledoyen, à quelques encablures de là.

Au-delà de ce type de détails, le plus intéressant porte sur la façon dont le secrétaire général de l’Élysée relate les supposées demandes de Fillon destinées à accélérer les procédures visant Nicolas Sarkozy. En début de conversation, Jouyet est plus ou moins catégorique : « Il m’a dit… Il me dit : “Mais…”. En gros son machin, c’était de dire : “Mais tapez vite ! Tapez vite.” » Un peu plus loin, il précise : « Et après, deuxième partie du déjeuner, c’était pour me faire passer : “Mais agissez ! Agissez ! Faites le truc !” »

Lorsque les deux journalistes le relancent sur l’expression « tapez vite », le secrétaire général de l’Élysée commence à nuancer son propos : « C’était… Oui, y avait… C’était, c’était plutôt “il faut quand même sortir vite”, ou quelque chose comme ça. » En fin de conversation, il répète : « Il m’a dit “il faut aller vite”, ça je m’en souviens… », avant de se contenter de reprendre les expressions de ses deux interlocuteurs :

« Interlocuteur 3 (journaliste) : Il faut aller vite

Interlocuteur 1 (journaliste) : Parce qu’il anticipait le retour…

Interlocuteur 2 (Jouyet) : Oui voilà.

Interlocuteur 3 (journaliste) : Mais oui, pour lui casser les pattes…

Interlocuteur 2 (Jouyet) : Pour lui casser les pattes avant

Interlocuteur 3 (journaliste) : … Avant…

Interlocuteur 1 (journaliste) : Non mais il réfléchissait avec le vieux logiciel…

Interlocuteur 2 (Jouyet) : Oui, avec le vieux logiciel. »

Le secrétaire général de l’Élysée se défend d’utiliser ce « vieux logiciel » qui consiste à penser, selon ses propres mots, « que l’Élysée a toujours une main invisible sur la justice ». « J'ai fait part à mes interlocuteurs (François Fillon et Antoine Gosset-Grainville – ndlr) du fait que la présidence de la République ne pouvait rien s'agissant de cette procédure relevant de la justice, avait-t-il indiqué à l’Agence France-Presse, le dimanche 9 novembre. J'ai également rappelé que, depuis mai 2012, il n'y a plus aucune intervention de la présidence de la République dans une procédure judiciaire. »

Là encore, Jean-Pierre Jouyet est moins catégorique lorsqu’il s’adresse aux deux journalistes du Monde. Même s’il leur assure s’être immédiatement opposé à la prétendue demande de Fillon, il précise toutefois : « Je dis à Gosset-Grainville : “Ben vois plutôt Sylvie Hubac (l’ancienne directrice de cabinet de François Hollande, qui a quitté ses fonctions fin 2014 – ndlr) ou vois plutôt tout ça. Moi on me dit qu’on ne peut pas aller plus vite et que c’est la justice qui instruit normalement les trucs… »

Annoncé “sur la sellette” après les révélations du Monde, le secrétaire général de l’Élysée occupe toujours son poste. François Hollande lui a d'ailleurs apporté un discret soutien mi-novembre, à l’occasion d'une conférence de presse organisée en marge du sommet du G20 de Brisbane (Australie). « Jean-Pierre Jouyet est secrétaire général de l’Élysée et est un bon secrétaire général de l’Élysée », avait alors commenté le président de la République, visiblement agacé par une question sur le « mensonge » de son ami.

« Le secrétaire général de l'Élysée n'était pas présent ici au G20 parce que ce n'était pas sa place et donc je pourrais ne pas répondre à votre question parce qu'elle n'a pas sa place non plus », avait-il souligné en préambule de réponse. Reste à savoir ce que Jouyet répondra aux juges le 28 mai lorsque les neuf petites minutes de sa conversation seront diffusées en audience publique.

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