Dans un tel moment de trouble, l'heure est-elle à une laïcité apaisée ou à une laïcité de combat ? Si le sujet est sur toutes les lèvres quelques jours après les attentats de Paris, et alors que l’enjeu a été jugé central par le dernier éditorial de Gérard Biard dans Charlie Hebdo (« Est-ce qu'il y aura encore des “Oui mais” ? », appelant à une stricte application de « la laïcité point final »), ils sont peu à s'être vraiment avancés et à avoir formulé de réelles propositions. Des appels à abolir le délit de blasphème existant en Alsace-Moselle, et à abolir le régime concordataire qui y subsiste, se font entendre. Ainsi que d'autres favorables à une extension à l’Europe d’une « laïcité à la française », comme l’a souhaité lors d’une conférence ce lundi (lire ici) Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier a d’ailleurs déclaré ce vendredi, lors de son discours aux obsèques du rédacteur en chef de « Charlie » : « La laïcité et les laïcards moqués ont la preuve par Charb de leur sens complet. »
Mais à part des appels à une laïcité « renforcée », « plus rigoureuse » ou « moins accommodante », parmi les multiples qualificatifs entendus depuis une semaine, peu ont développé leur propos. Beaucoup d’incantations pour « rétablir la laïcité », comme le dit Marine Le Pen, voire l’inclure dans la devise républicaine, aux côtés de « liberté, égalité et fraternité », ainsi que le souhaite le centriste Jean-Christophe Lagarde. Beaucoup d’intentions en bloc, mais guère de détails.
L’Observatoire de la laïcité a fait connaître, dans un avis publié ce jeudi, onze préconisations « dans le but de renforcer la cohésion nationale ». « On a repris pour l’essentiel des avis déjà adoptés à l’unanimité par le passé, ou des discussions où se dégageait une large majorité, et avons fait valider les propositions par mails auprès des membres du collège », explique le rapporteur général de l’observatoire, Nicolas Cadène.
Parmi les propositions émises par ce collège laïque (composé de 23 membres – quatre parlementaires, sept directeurs d’administration et dix personnalités qualifiées, en plus de Bianco et Cadène), on retrouve notamment des incitations à diffuser plus largement des circulaires, des guides et des « rappels à la loi » dans les différents échelons de l’administration française, dans les écoles et dans les entreprises. Est également encouragé le « développement très large » du service civique, afin de « favoriser la mixité sociale », dit Cadène. L’idée de « semaines de la fraternité » dans chaque département est aussi avancée. Est-ce dû au passé « ségoléniste » de Jean-Louis Bianco, qui a dirigé un temps « Désirs d’avenir » ? « C’est un retour d’expérience du préfet du Gard, corrige Cadène. Après les tensions racistes à Aigues-Mortes (lire ici), il avait organisé ce type de manifestation avec des écoles, des associations, des politiques, des artistes. Ça avait très bien fonctionné. »
L’avis de l’observatoire rappelle aussi la nécessité de prodiguer davantage de « formations à la laïcité pour tous les fonctionnaires en contact avec les usagers ». « Cela doit permettre de répondre à un vrai problème, dit Cadène : la méconnaissance crasse de la loi de 1905, chez les usagers comme pour un nombre non négligeable de fonctionnaires. Ça a notamment permis de diminuer grandement les problèmes dans le secteur hospitalier. » Et d’expliquer : « On reçoit encore beaucoup de signalements de femmes à qui l’on demande d’enlever leur voile quand elle rentre en préfecture. Mais l’interdiction du voile dans les lieux publics, c’est pour les fonctionnaires, pas pour les usagers… »
Autre préconisation : le recrutement d’« aumôniers musulmans » et de « conseillers humanistes » (pour les « laïques » et les « athées ») dans les prisons. « On ré-insiste fortement auprès de la ministre de la justice sur ce point, pour que ça avance », dit Cadène, avant d’expliquer qu’aujourd’hui, « ils sont bénévoles le plus souvent, au mieux à peine défrayés ».
L’observatoire souhaite aussi « un soutien à la création d’établissements privés de théologie musulmane et de formations à l’islamologie accessibles à tous ». Une proposition que Cadène nuance et précise, conscient des hérissements qu’elle pourrait provoquer : « Il s’agit simplement de ne plus mettre de barrières administratives pour permettre l’émergence de lieux de formations “crédibles” pour les imams, c’est-à-dire du même niveau que celles sur le christianisme. Avec une approche scientifique et critique, analysant aussi l’islam progressiste et moderniste, depuis Averroès jusqu’à aujourd’hui, pour contrer les lectures rigoristes et littérales. »
Quant à l’éducation nationale, l’observatoire prône un « développement effectif de l’enseignement laïque du fait religieux », ainsi que « la prise en compte de toutes les cultures convictionnelles et confessionnelles présentes sur le territoire de la République ». « Il s’agit de donner aux élèves de la distance critique et une meilleure compréhension de la laïcité, précise Cadène, tout en intégrant tous les enfants dans le récit national, par l’apprentissage des cultures orientales et créoles. »
Si, à l’observatoire, on indique avoir de « très bons retours ministériels », et que Najat Vallaud-Belkacem à l’éducation nationale s'est déjà saisi de certaines propositions, il n’en va pas de même pour trois membres de son collège. À savoir, la sénatrice PRG Françoise Laborde (« Nounou de la laïcité » selon Libé), l’ancien grand maître du Grand-Orient de France Patrick Kessel et le député PS Jean Glavany. Dans un communiqué, tous trois jugent que les propositions de l’observatoire sont « pour l’essentiel angéliques et pusillanimes, cosmétiques dans le meilleur des cas, tandis que certaines sont clairement antilaïques et évidemment inacceptables pour la République ». Ce sont déjà les trois qui se sont le plus opposés, à l’intérieur de l’instance, à l’avis émis par l’observatoire suite à l'affaire dite « Baby-Loup ».
Contacté par Mediapart, Jean Glavany ne mâche pas ses mots. « Sur la forme, nous avons été consultés par mail, fulmine-t-il. J’étais en train de travailler à des contre-propositions, et puis on m’a dit : “Il y a une majorité qui approuve le texte donc c’est bon.” C’est amateur sur la forme, irresponsable sur le fond… » Sur le fond, le réquisitoire est en effet plus violent, bien que dénué de contre-propositions concrètes : « Il y a beaucoup de portes ouvertes enfoncées, mais aussi des propositions d’essence communautariste, pas du tout à la mesure de ce qui s’est passé ces derniers jours. Au lieu de réaffirmer la rigueur de la laïcité, c’est “tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil”. »
Glavany y insiste. « On est dans une logique judéo-chrétienne d’excuse n’ayant rien à voir avec la république », dit-il. « Des musulmans ont perpétré un massacre », et « ont flingué dix-sept de nos concitoyens », « mais il faudrait s’excuser », « dire qu’ils sont maltraités et que ce n’est pas grave ce qui s’est passé ! ».
Des récriminations que balaie d’un revers de main Nicolas Cadène, rapporteur de l’observatoire. « On se réunit une fois par semaine, on a déjà débattu plusieurs fois de ces propositions, et de façon consensuelle et unanime, dit ce proche de Jean-Louis Bianco. Même ceux qui ne viennent pas aux réunions depuis un an et demi sont tenus au courant des débats et des votes par mail. »
Cette polémique, aux airs de controverse de Valladolid inversée, pourrait avoir des conséquences sur l’osmose d'un duo exécutif surfant sur l'unité nationale. Glavany, Laborde et Kessel disent ne pas avoir démissionné « pour soutenir le premier ministre dans (son) combat ». Glavany assure d'emblée que « Matignon est furieux », il ne souhaite pas en dire davantage, « ne voulant pas parler à la place de l’équipe du premier ministre ».
Contactés, les entourages du président et du premier ministre n’ont pas retourné nos demandes d’entretien.
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