Il s’appelle Oussama. Et, comme il le dit lui-même, certains de ses amis le surnomment Oussama Ben Laden. Voilà qui n’aide pas au moment d'être présenté en comparution immédiate au Palais de justice de Paris pour « apologie du terrorisme ». Les bras croisés, un peu paumé, Oussama ne semble pas s’en rendre compte, ce jeudi 15 janvier au soir. À 22 heures pourtant, le jugement tombe : 15 mois de prison ferme. Dans la lignée des lourdes condamnations prononcées un peu partout en France depuis les attentats de Paris.
L'évolution des textes explique en partie ces jugements. Depuis la loi Cazeneuve de novembre 2014 contre le terrorisme, l'apologie du terrorisme n'est plus réprimée par la loi sur la liberté de la presse, mais par le Code pénal. Les prévenus peuvent être placés en garde à vue, et jugés sous forme de comparution immédiate. Internet est même désormais une circonstance aggravante : les peines maximales pour l'apologie d'actes terroristes passent dans ce cas de 75 000 euros et 5 ans d'emprisonnement à 7 ans et 100 000 euros d'amende.
Oussama n’a pas eu besoin d’Internet pour être lourdement sanctionné. Né en septembre 1980 en Algérie, il vit en Allemagne, à Brême, où il assure être détenteur d’un titre de séjour en bonne et due forme. C’est pourtant au Centre de rétention administrative de Vincennes que débute l’histoire, pleine de trous, que conte la juge du tribunal. Oussama explique être venu en touriste à Paris début janvier. Mais un contrôle de police, lors duquel il n’a pas pu présenter ses papiers, l’a conduit à Vincennes.
Qui est-il précisément ? Quel est son parcours ? Quel est son casier judiciaire en Allemagne ? À défaut d’enquête ou de coopération judiciaire efficace entre les deux pays, il faut se contenter du minimum et des déclarations du prévenu, qui explique avoir déjà été condamné outre-Rhin. « Une belle preuve de franchise », dit son avocate.
Toujours est-il que le 13 janvier, apparemment blessé, Oussama est conduit à l’Hôtel Dieu. Le transfert se passe bien, mais de l’avis des policiers qui l’accompagnent, unanimes, l’homme devient fou dans la salle d’attente de l’hôpital : « Je suis un terroriste. Allah Akbar. One, two, three, Viva l’Algérie ! Fuck la police. Hollande fils de pute. Police fils de pute. »
Oussama n’est pas physiquement agressif, mais il hurle. Un policier, présent à l’audience, raconte : « Il me regardait dans les yeux en faisant un bruit de mitraillette avec sa bouche. » Ses cris obligent une médecin urgentiste à venir le chercher.
Dans le box de consultation, un policier assiste à l’examen. Selon l’urgentiste, dont le récit est confirmé par ce policier, Oussama l’insulte lorsqu’elle lui dit qu’il n’y a pas besoin de faire de radiographie : « Tu es raciste. Les frères Kouachi ont eu raison. Ce sont des gentils. La France c’est de la merde. Tu as les yeux bleus, tu es juive, c’est ça ? Tu es juive ? »
La médecin dit avoir répondu : « Je suis juive, musulmane, catholique et athée. »
Lui : « Tu es bonne à frapper. Je reconnaîtrai ton visage. Tu vas mourir. Hitler n’a pas fini son travail. »
Lors de son retour vers le centre de rétention, Oussama aurait chanté les louanges de Ben Laden, crié Allah Akbar. Il aurait par ailleurs assuré vouloir placer une bombe sur les Champs-Élysées.
Face au tribunal, Oussama, qui parle en arabe, traduit par une interprète, conteste une bonne partie des faits. Il reconnaît l’outrage aux agents en ayant crié « fuck la police ». Il dit avoir insulté la médecin et la France. Il admet avoir prononcé Allah Akbar mais « au sens où Dieu est grand – ce n’est pas une injure ».
C’est tout selon lui. Ni menaces de mort (« pourquoi je parlerais de Hitler en 2015 ? ») ni apologie du terrorisme. S’il a évoqué le nom de Ben Laden, c’est en reprenant un chant de stade de football dans lequel on explique que l'ancien chef d'Al-Qaïda a « embêté les Américains et les juifs ». Et s’il s’est énervé, c’est parce que, pendant son transfert, un policier lui a montré une image de Mahomet. Sous l’effet des médicaments, il ne se souvient plus très bien de ce qu’il a dit.
« Quels médicaments ? demande la juge.
— Du Valium, répond Oussama.
— Généralement ça calme », persifle la juge.
Puis la magistrate demande à Oussama son sentiment sur les attentats.
« Ce n’est pas bien. Je suis contre. Ce n’est bien ni pour les musulmans, ni pour le monde arabe.
— Vous êtes contre quoi, demande la juge, les caricatures ? Les attentats ?
— Les deux, répond Oussama. Ni les caricatures ni ceux qui ont fait le désordre.
— Vous soutenez leur action ?
— Je suis contre le terrorisme.
— Vous avez bien dit : "Je vais buter tous les juifs et les flics de France, je vais faire le djihad et je vais revenir tous vous buter" ?
— Non. J’ai juste dit : "Nique la police, nique la France, car les policiers m’ont tapé". »
Dans un premier temps, Oussama a également refusé la prise d’empreintes digitales. Avant de s’y soumettre. Au dépôt, avant le procès, il aurait continué d’insulter les gendarmes.
Si on le croit, Oussama a été marié deux fois. Il a deux enfants. Issu d’une famille de 9 enfants, il a suivi une formation de soudeur pendant trois ans en Allemagne. Lorsqu’on lui demande s’il a une dernière chose à ajouter, il finit par s’excuser. Mollement.
Mais entre-temps, la procureur a parlé. Selon elle, « soit Oussama est complètement fou, soit c’est une personne dangereuse ». « Je me suis demandé s'il était en possession de ses facultés mentales, mais les examens montrent qu’il l’est. C’est ce qui est inquiétant.(...) Il a porté atteinte à diverses valeurs, à ce qui fonde notre république, notre société. » La procureur dénonce des « propos inadmissibles et inacceptables ». Et demande deux ans d’emprisonnement.
Face à elle, l’avocate d’Oussama dénonce un amalgame entre les chefs d’accusation. « Il ne faut pas céder à la psychose alors qu’il n’y a rien dans le dossier », argumente-t-elle. « Il n’y a pas eu de confrontation avec les policiers. Ni avec la médecin. Et les PV des policiers sont des copier-coller entre eux. »
Selon l’avocate, l’actualité récente a démontré l’inefficacité des peines de prison : « Je m’interroge. Une telle peine de prison, c’est un risque de radicalisation. Ce serait aberrant en l’espèce, pour ce type d’individu. »
Le tribunal ne l’entend pas ainsi : 15 mois de prison. Mandat de dépôt. Interdiction définitive du territoire français. 700 euros de préjudice moral pour les policiers. La messe est dite.
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