Si d’aventure le Medef parvient à ses fins, ce qui est loin d’être improbable, compte tenu du soutien dont il profite actuellement jusqu'au sommet de l’État, ce sera une régression sociale majeure : dans le cadre de ses négociations avec les syndicats sur la modernisation du dialogue social, qui reprennent les jeudi 15 et vendredi 16 janvier, le patronat défend un projet qui vise à mettre à bas tout le système actuel de représentation des salariés au sein des entreprises, organisé autour des délégués du personnel, des comités d’entreprise (CE) et des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), pour y substituer une instance unique, le conseil d’entreprise. La réforme, si elle aboutit, aurait des incidences majeures sur la démocratie sociale au sein des entreprises, sur le droit des salariés et de leurs représentants, mais bafouerait aussi certains des principes fondateurs de la République.
Pour l’heure, il est encore impossible de savoir si cette ultime séance de négociation entre les partenaires sociaux a des chances d’aboutir. Car même si certaines confédérations, dont la CFDT, semblent disposées à avaliser cette régression sociale majeure, en contrepartie de modestes compensations, le mouvement syndical est divisé sur la question. Et au sein même du patronat, toutes les organisations ou fédérations ne parlent pas d’une même voix. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la réunion, qui devait initialement se tenir les 18 et 19 décembre, a été reportée aux 15 et 16 janvier, le temps pour le patronat de mettre de l’ordre dans ses rangs et de trouver un consensus, notamment sur la question de la représentation des salariés dans les entreprises de moins de 11 salariés, qui est l’une des pommes de discorde.
Mais enfin ! Le Medef sait qu’avec ce gouvernement socialiste – qui conduit une politique économique et sociale par bien des aspects beaucoup plus à droite encore que celle impulsée par Nicolas Sarkozy sous le précédent quinquennat –, il profite de circonstances politiques exceptionnelles pour dynamiter les règles anciennes du dialogue social au sein des entreprises. Car ce projet de refonte du dialogue social s’intègre à une politique d’ensemble, qui vise à démanteler, sous le faux prétexte d’une meilleure compétitivité des entreprises, des pans entiers du Code du travail.
Avant d’examiner les coups de boutoirs successifs qui ont été portés depuis 2012 au Code du travail, voyons ce que contient ce projet du Medef. Voici sa dernière mouture, en date du 11 décembre 2014. On peut la télécharger ici ou la consulter ci-dessous :
À la lecture de ce document, on comprend d'emblée que le projet du Medef contient effectivement une disposition majeure, affichée en son article 2 : « Le conseil d’entreprise est l’instance unique de représentation du personnel. » En clair, cette nouvelle instance unique reprend « les prérogatives et moyens des délégués du personnel » dans les entreprises qui comprennent entre 11 et 49 salariés, comme le précise l’article 2.1.3.
Et pour les entreprises qui comprennent plus de 50 salariés et sont actuellement soumises, dès qu’elles franchissent ce seuil des 50, à l’obligation de créer un comité d’entreprise et un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ce serait un véritable big bang. Ce conseil d’entreprise se substituerait aux trois institutions actuelles de représentation du personnel que sont les délégués du personnel, les CE et les CHSCT. Et si ce projet devait aboutir, il s’agirait d’une révolution majeure. Ou plutôt d’une contre-révolution sociale sans précédent dans l’histoire contemporaine du mouvement social en France.
L’intitulé même de cette nouvelle institution, le « conseil d’entreprise », résume la philosophie du projet. Il s’agit de remettre purement et simplement en cause le principe démocratique selon lequel les salariés peuvent disposer d’institutions qui les représentent au sein des entreprises pour reléguer ces institutions à une simple fonction de « conseil ». C’est ce qu’explique très bien un avocat spécialiste du droit du travail, Me Samuel Gaillard, dans un remarquable point de vue, publié par Miroir social. On peut le consulter ici : Enjeu des négociations sur la modernisation du dialogue social : une déflagration sans précédent.
Dans le cas des comités d’entreprise, qui seraient donc supprimés, la loi actuelle définit de manière très précise les fonctions qu'ils doivent assumer. Le Code du travail, notamment dans son article L2323, alinéas 1 à 5, stipule en particulier que le comité d’entreprise a donc non pas une fonction de conseil, mais, dans une logique radicalement opposée, qu'il « a pour objet d'assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise, à l'organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production ».
En somme, le Code du travail entérine le fait qu’employeurs et salariés n’ont pas nécessairement des intérêts communs, et que ces derniers, les salariés, ont en tout cas des intérêts spécifiques, sinon même opposés – et qu'ils peuvent donc légitimement avoir des institutions propres qui les représentent. D’où tous les pouvoirs qui sont conférés par le Code du travail aux comités d’entreprise, et qui sont présentés de manière didactique sur Service public, le site internet officiel de l’administration française. Lisons ce que rappelle ce site : « Le CE assure l'expression collective des salariés. Il permet la prise en compte de leurs intérêts dans les décisions relatives à la vie dans l'entreprise. » Le Code du travail codifie aussi de manière très stricte les obligations auxquelles sont soumis les employeurs en matière d’information et de consultation des CE, lesquels peuvent aussi, en cas de situation de difficultés de l’entreprise, exercer un droit d’alerte et demander des explications à l’employeur – qui est obligé de les fournir –, une expertise auprès des tribunaux, ou encore la récusation des commissaires aux comptes, sans parler des missions sociales et culturelles des mêmes CE.
Avec le projet du Medef, c’est donc la philosophie même du Code du travail qui serait bouleversée. Et tous ces droits attachés aux comités d’entreprise seraient anéantis. Me Gaillard en conclut donc, et il a malheureusement raison, que ce sont les valeurs mêmes de la République qui seraient mises en cause : « C’est ainsi que tout l’esprit du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 vole en éclats et que l’on assiste à un retour en arrière à la IIIe République », déplore-t-il. Les articles du Code du travail qui sont directement menacés par le projet patronal ne sont en effet que la retranscription de l’article 8 de ce préambule de la Constitution du 27 septembre 1946, qui édicte ce principe qui a valeur constitutionnelle : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. »
On pourrait d’ailleurs tout autant observer que ce projet patronal constituerait aussi une remise en cause de nombreux autres textes fondateurs. À l’évidence, il est ainsi également en contradiction avec l’article 21 et plus encore avec l’article 22 de la Charte sociale européenne (que l’on peut consulter ici), qui garantit « l'exercice effectif du droit des travailleurs de prendre part à la détermination et à l'amélioration des conditions de travail et du milieu du travail dans l'entreprise ». Comme il constituerait une remise en cause d’une importante directive européenne, celle du 11 mars 2002, que l’on peut consulter ici.
En quelque sorte, ce projet vise à nier que les salariés puissent avoir des intérêts spécifiques à défendre – et profiter de garanties légales pour pouvoir le faire. Vieux projet réactionnaire qui fleure bon l’association capital-travail qui, depuis des lustres, a ses défenseurs dans les milieux patronaux – et pas seulement !
Une autre disposition du projet vient confirmer qu’il s’agirait bel et bien d’une régression sociale majeure, si le Medef parvenait à ses fins. Il s’agit de la disposition qui conduit à la quasi-disparition des CHSCT. Comme le rappelle le site internet du ministère de l’emploi (on peut le consulter ici), la constitution d’un CHSCT est une obligation légale dans toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Ce sont les lois Auroux, en 1982, qui ont apporté ces nouveaux droits aux salariés. Une haut fonctionnaire y avait à l’époque beaucoup contribué : il s’agissait de la directrice du travail de l’époque, une dénommée… Martine Aubry.
Or, dans le projet du Medef, les CHSCT ne résulteraient plus d’une obligation légale dans les entreprises de plus de 50 salariés mais seraient seulement facultatifs et ne disposeraient pas de leurs prérogatives actuelles. C’est consigné à l’article 2.1.4.1 du projet du Medef : « Le conseil d’entreprise ou d’établissement peut constituer en son sein une commission chargée de l’assister pour l’exercice de ses attributions liées aux questions d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail. Dans les établissements entre 50 et 500 salariés, cette commission est mise en place par accord d’établissement ou d’entreprise. Dans les établissements de 500 salariés et plus, la commission est constituée si plus de la moitié des membres du conseil le demande. »
La formule utilisée dit bien ce qu’elle veut dire. Si une telle commission est mise en place dans les établissements qui comptent entre 50 et 500 salariés « par accord d’établissement ou d’entreprise », cela veut dire clairement que l’existence d’une telle commission dépendrait de la volonté de l’employeur d’approuver un tel accord. Disons les choses de manière plus abrupte : si l’employeur ne veut pas d’une telle commission, elle n’a aucune possibilité de voir le jour.
Or il faut bien mesurer que les CHSCT jouent depuis plus de trente ans un rôle social majeur et que leur disparition aurait des répercussions gravissimes. Au fil des ans, les CHSCT sont devenus au sein des entreprises l’acteur majeur de prévention des risques professionnels et doivent être obligatoirement consultés, notamment, comme le rappelle le site du ministère du travail, « avant toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, par exemple : avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l’outillage, d’un changement de produit ou de l’organisation du travail ; avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail ; sur le plan d’adaptation lors de la mise en œuvre de mutations technologiques importantes et rapides ; sur le projet d’introduction et lors de l’introduction de nouvelles technologies sur les conséquences de ce projet ou de cette introduction sur la santé et la sécurité des travailleurs ».
Les CHSCT peuvent aussi « recourir, aux frais de l’employeur, à un expert agréé : 1-lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement ; 2- en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l’article L. 4612-8 du Code du travail, c’est-à-dire, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l’outillage, d’un changement de produit ou de l’organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail ».
La mise à mort des CHSCT, voulue par le Medef, serait donc socialement très préoccupante. « Faut-il rappeler l’explosion des cas de harcèlements, d'épuisement professionnel, d’astreintes jour et nuit et de sous-traitance ? Faut-il rappeler les problématiques récurrentes de TMS, de produits cancérigènes, d’incendies, de bruits, d’agressions physiques, d’accidents de transports, de déménagements effectués pour dégraisser à bon compte les effectifs ? » s’inquiète l’avocat.
L’utilité sociale des CHSCT est méticuleusement décrite par un autre professeur de droit de renom, Pierre-Yves Verkindt (Paris I – Sorbonne) qui, à la demande du ministre du travail, a réalisé un long rapport sur le sujet, rendu public en février 2014. Ce rapport, on peut le télécharger ici ou le consulter ci-dessous :
Dans ce rapport, le professeur de droit formulait 33 propositions pour rendre l’institution des CHSCT plus démocratique, pour améliorer leur fonctionnement ou la formation de ses membres ou encore mieux encadrer les expertises qu’ils peuvent commanditer. Mais s’il fait toutes ces propositions, qui résonnent comme autant de critiques, c’est précisément parce qu’il juge très précieuse leur existence même. L'ambition du rapport était donc de renforcer les CHSCT et surtout pas de les… supprimer ! Pour comprendre l'importance des CHSCT, on peut également se référer au point de vue récent du directeur général du cabinet Technologia, Jean-Claude Delgènes, publié également par Miroir social : Coup de torchon magistral sur les CHSCT.
Alors, pourquoi le Medef veut-il leur disparition ? La bonne explication, c’est Me Samuel Gaillard qui la donne : « C’est l’arrêt Snecma du 5 mars 2008, la bête noire des employeurs, qui est à l’origine de la volonté du Medef de faire disparaître le CHSCT. » Et il explique : « Par cet arrêt, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel le juge pouvait suspendre la mise en œuvre d’une réorganisation lorsqu’elle était de nature à compromettre la santé et la sécurité des travailleurs concernés, obligation dite de résultat. Il s’agit là d’une jurisprudence essentielle qui, pour la première fois, posait le principe selon lequel le pouvoir de direction de l’employeur, jusqu’ici sans aucune limite, était désormais subordonné au principe d’ordre public de la santé et de la sécurité des salariés. Les décisions d’annulation sont en réalité fort rares, mais il est certain que le CHSCT dispose ainsi, par cet arrêt, d’un réel pouvoir de contrainte vis-à-vis des employeurs, afin d'obliger ceux-ci à respecter leurs obligations de santé et de sécurité des salariés qui sont issues du droit européen. »
Et l’avocat ajoute : « Le droit européen étant apparemment difficile à changer pour le Medef et les magistrats de la Chambre sociale de la Cour de cassation, il fallait alors supprimer le CHSCT et c’est ce que ce texte vise, d’abord et de manière explicite pour les entreprises de 50 à 500 salariés. Pour les établissements de plus de 500 salariés, c’est une simple commission du conseil d’entreprise qui est prévue par le texte du Medef, mais qui est cantonnée à un rôle croupion “d’assistance” au conseil d'entreprise. Au passage, toutes les prérogatives du CHSCT en matière notamment d’enquête et de danger grave et imminent, qui constituent l'un des socles essentiels de contrôle par le CHSCT de l’activité de l’employeur, sont balayées d’un trait de plume. Désormais, en matière de danger grave et imminent, la procédure n’est pas enclenchée d’office au seul constat d’un danger grave et imminent par un membre du CHSCT. Il faut que le conseil d’entreprise se réunisse et qu’il charge la commission d’effectuer une enquête dans un tel cas. »
Pour quiconque veut comprendre plus avant la grande importance de cet « arrêt Snecma » qu’évoque Me Gaillard, on peut se référer au décryptage qu’il en avait fait à l’époque dans Miroir social (et que l’on peut télécharger ici). L’arrêt lui-même peut être téléchargé ici ou être consulté ci-dessous :
La volonté du patronat de reléguer la représentation des personnels à une fonction purement supplétive est confirmée par une dernière suggestion de son projet, celle qui vise à remettre en cause la possibilité ouverte actuellement aux CE ou CHSCT de recourir à des expertises indépendantes, financières ou sociales. Cette régression est consignée à l’article 4.3.5.2 du projet : « Le choix de l’expert, ainsi que la nature, l’étendue de sa mission et le montant de ses honoraires se font d’un commun accord entre l’employeur et les membres élus du conseil, le cas échéant après un appel d’offres si les délais dans lesquels le conseil doit rendre son avis le permettent. »
Dans cette formulation, chaque mot à son importance. Si le choix se fait « d’un commun accord » entre l’employeur et les membres du conseil d’entreprise, cela veut donc dire là encore, c’est une lapalissade, que l’accord… de l’employeur est nécessaire. En clair, c’est la remise en cause des expertises indépendantes. Plus de rapports indépendants pointant des jongleries financières ! Plus de rapports indépendants pointant des souffrances sociales que l’employeur ne veut pas reconnaître ! Ce serait effectivement une régression sociale considérable.
Et puis, ce projet aurait une autre grave conséquence potentielle. Le remplacement des trois institutions actuelles (DP, CE et CHSCT) par une seule, le conseil d’entreprise, aurait pour conséquence mécanique de réduire de manière spectaculaire le nombre des personnes qui, au sein des entreprises, bénéficient du statut de salarié protégé, un statut très protecteur qui est méticuleusement encadré par le Code du travail.
Alors qu’adviendrait-il de tous les salariés qui ont actuellement une fonction de représentation des salariés dans les entreprises et qui pourraient perdre leur statut de salarié protégé ? Qu’adviendrait-il de tous ceux qui, du fait de ces fonctions, se sont opposés dans le passé, parfois âprement, à leurs patrons ? Il n’est guère besoin d’être grand clerc pour deviner que le projet a aussi ce dessein caché : permettre, dans la foulée, une purge syndicale…
Reste donc une question majeure : comment serait-il concevable qu’un tel nouveau coup de boutoir contre le droit du travail puisse voir le jour ? En fait, il y a deux réponses. La première est que le front syndical ne sera pas forcément uni pour faire capoter le projet patronal. La CFDT, pour ne pas la nommer, pourrait-elle par exemple accepter la philosophie du projet patronal, en contrepartie de garanties, même mineures, sinon illusoires, pour améliorer la représentation des salariés dans les très petites entreprises ?
Mais surtout, le Medef sait sans doute qu’il peut une nouvelle fois compter sur le gouvernement pour qu’il appuie, ouvertement ou en sous-main, son projet. Depuis plusieurs mois, celui-ci ne s’est en effet pas privé de faire valoir que la remise en cause, au moins provisoire, des obligations sociales liées au franchissement des seuils légaux n’était plus pour lui un tabou. À peine installé au ministère du travail, François Rebsamen avait, le premier, donné le ton, à l’occasion d’un entretien avec Le Bien public, le 28 mai 2014 : « Gardons le principe des seuils, à 10 pour créer des délégués du personnel, et à 50 pour le comité d’entreprise, mais suspendons leur enclenchement pendant trois ans (…) Si cela crée de l’emploi, tant mieux, sinon, on remettra les seuils en vigueur et on n’entendra plus l’argument patronal. » Manuel Valls, puis François Hollande, lui avaient emboîté le pas. Dans une interview au Monde, le 20 août, le chef de l’État insistait : « Chacun doit admettre la nécessité de lever un certain nombre de verrous et de réduire les effets de seuil » (lire : Supprimer les seuils sociaux n’aura « aucun effet sur l’emploi »).
Ce projet visant à créer des conseils d'entreprise n'est d'ailleurs pas une lubie récente du patronat : il s'inscrit dans une histoire ancienne qu'il faut connaître pour comprendre pourquoi le Medef semble si sûr de son fait. C'est qu'en fait, le projet était l'une des mesures phares du rapport rédigé en janvier 2008 pour Nicolas Sarkozy par Jacques Attali et son rapporteur… Emmanuel Macron (lire Aux origines de la loi Marcron: un projet néolibéral concocté pour Sarkozy). Dans ce rapport (que l'on peut télécharger ici), il était fait ce commentaire, dans un sous-chapitre intitulé « Assouplir les seuils sociaux » : « Les seuils sociaux constituent aujourd’hui un frein à la croissance et à la création d’emploi. À titre d’exemple, le passage de 49 à 50 salariés entraîne actuellement l’application de 34 législations et réglementations supplémentaires dont le coût représente 4 % de la masse salariale. » Suivait aussitôt la proposition 37 du rapport, ainsi énoncée : « Mettre en place une représentation unique dans toutes les PME de moins de 250 salariés, sous la forme d’un conseil d’entreprise exerçant les fonctions du comité d’entreprise, des délégués du personnel, des délégués syndicaux et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Ce conseil d’entreprise serait le lieu privilégié de la négociation. »
Le projet du Medef n'est donc que le décalque de cette proposition du rapport Attali-Macron.
Cette stupéfiante convergence de vue n’est pourtant pas pour surprendre. Car voilà maintenant longtemps que le gouvernement fait valoir que les droits sociaux des salariés sont un frein à la compétitivité des entreprises. C’est la raison pour laquelle il a déjà lourdement pesé pour que les partenaires sociaux entérinent le fameux accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 « sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi » (on peut le télécharger ici). Cet accord avait déjà porté de très violents coups de boutoir contre le Code du travail en facilitant grandement les procédures de licenciement, en échange de contreparties dérisoires.
À l’époque, cet accord dit de flexi-sécurité avait mis en émoi une bonne partie de la gauche, y compris dans les rangs socialistes. C’est dire si le nouveau projet qui se profile, beaucoup plus grave encore que le précédent, risque de faire des vagues, car il accélère brutalement la déréglementation sociale déjà engagée par le gouvernement depuis 2013.
D’autres signes attestent d’ailleurs que le gouvernement travaille dans le même direction. Complétant le projet du Medef qui veut limiter les droits de recours des salariés, François Hollande a ainsi donné son accord à une mesure de très grande importance, la dépénalisation du délit d’entrave. Lors du dernier « Conseil stratégique de l'attractivité », qui se tenait dimanche 19 octobre 2014 à l'Élysée, et auquel avait été conviée une ribambelle de grands patrons étrangers, François Hollande a annoncé la suppression de la peine de prison en cas de délit d'entrave. Actuellement, le Code du travail, en son article L483-1, prévoit une peine de prison pouvant aller jusqu’à deux ans pour « toute entrave apportée, soit à la constitution d'un comité d'entreprise, d'un comité d'établissement ou d'un comité central d'entreprise, soit à la libre désignation de leurs membres, soit à leur fonctionnement régulier ».
La disposition visant à remplacer les peines d’emprisonnement par de simples sanctions financières a donc été instillée dans le projet de loi concocté par le ministre l’économie, Emmanuel Macron, dont le Parlement va dans les prochains jours commencer l’examen.
Et puis, dans ce même projet de loi Macron, si controversé, qui arrive devant les députés, a aussi été instillé une autre disposition visant à faciliter encore un peu plus les licenciements collectifs, dans le prolongement des premières dispositions de déréglementation prises exactement dans le même domaine par l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, accord qui avait abouti à la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 (lire Dans la foulée de l'ANI, la loi Macron veut faciliter les licenciements collectifs).
En somme, il y a une grande cohérence entre les plans du Medef et ceux du gouvernement. Ils s’emboîtent les uns dans les autres et s’inscrivent dans une seule et même philosophie sociale : démanteler le Code du travail au nom de la recherche d’une compétitivité accrue. Le seul problème, pour la gauche, c’est que cette philosophie est à l’exact opposé de celle qu’elle a le plus souvent défendue tout au long de sa longue histoire, comme l’a souligné avec force Pierre Joxe, à l’occasion d’une émission récente « en direct de Mediapart » (lire Pierre Joxe : « Je suis éberlué par cette politique qui va contre notre histoire »).
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