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À l'Assemblée, Manuel Valls se pose en garant de « l'esprit du 11 janvier »

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On l’avait laissé à la traîne de François Hollande, lesté d’un boulot ingrat, peinant à élargir son espace politique. En décembre, le premier ministre, englué par l’absence de résultats du gouvernement sur le front économique, avait eu du mal à faire parler de lui (lire notre article). Et de nombreux députés de la majorité pariaient déjà sur la fin anticipée de son séjour à Matignon. Mais les attentats meurtriers de Paris ont tout changé.

Mardi 13 janvier, face à l’Assemblée nationale qui faisait sa rentrée, le premier ministre Manuel Valls a livré pendant une heure un discours d’hommage aux victimes de Charlie Hebdo, de Montrouge et du supermarché casher de la porte de Vincennes. À quatre reprises, l’hémicycle, qui venait d’entonner La Marseillaise – ce qui n'était pas arrivé depuis le 11 novembre 1918, jour de l'armistice mettant fin à la Première Guerre mondiale – après une minute de silence, l’a ovationné. Droite et gauche confondues, à l’exception des deux députés FN qui n'ont applaudi qu'en de rares moments.

Lors de ce discours exalté et empreint d’émotion, Manuel Valls a de nouveau parlé de « guerre contre le terrorisme ». Il a voulu se poser en garant de l’unité nationale, deux jours après la manifestation historique du 11 janvier. « Au fond, une seule chose compte, a dit Manuel Valls. Rester fidèle à l’esprit du 11 janvier 2015. Ce moment où la France, après le choc, a dit "non" dans ce mouvement spontané d’unité nationale. »

Depuis mercredi dernier, Manuel Valls le dit à ses visiteurs : il est persuadé que les attentats de Paris valident le discours dont depuis des mois, voire des années, il a fait sa marque de fabrique. L’existence d’un « ennemi intérieur » – il a de nouveau parlé ce mardi de « menace intérieure » ; les menaces contre les juifs de France, déjà révélées par l’affaire Merah ; la nécessité de replacer la défense d’une laïcité intransigeante au centre de la gauche… « Il n’était pas à l’aise sur les questions économiques qui dominaient les débats depuis deux ans et demi, et il pense que l’actualité lui donne raison. Il se dit que son heure est venue », jugeait ce week-end un ministre, sous couvert d’anonymat.

Vendredi dernier, Manuel Valls avait annoncé (un peu vite) un nouvel arsenal législatif après les attentats. Il a rendu plusieurs hommages appuyés aux victimes juives de la tuerie de la Porte de Vincennes. Samedi soir, pour la cérémonie des vœux à la mairie d’Évry qu’il a longtemps dirigée, le premier ministre avait déjà livré un discours très musclé. « Nous devons regarder avec lucidité la montée du communautarisme, le rejet de la laïcité. (...) Chacun doit prendre ses responsabilités. Personne ne ne peut dire qu'il est indifférent (...) La menace est là, présente. La combattre, c'est le rôle de l'État, mais c'est aussi le rôle de la société », avait-il affirmé.

Mardi, son discours à l’Assemblée a tourné essentiellement autour de ces sujets, avec l’emphase permise par l’émotion suscitée par l’horreur des attentats. En revanche, l’école, l’intégration ou la place des musulmans dans la société française n’ont été évoquées que rapidement. « Ce débat n'est pas entre l'islam et la société, a d’ailleurs indiqué Manuel Valls. C'est un débat au sein même de l'islam que l'islam de France doit mener. »

Devant les députés, le premier ministre a d’abord appelé à répondre « avec détermination » et « sérénité » aux questions posées par ces attentats, et ce, « sans jamais céder à la précipitation ». Insistant sur le fait que « la France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme et l’islamisme radical », et non « contre une religion, (…) contre l’islam et les musulmans », il a prôné une « fermeté implacable dans le respect de ce que nous sommes : un État de droit ».

Pas de précipitation donc, mais une série de « mesures exceptionnelles ». « Jamais des mesures d’exception qui dérogeraient au principe du droit et des valeurs », a-t-il encore précisé, en expliquant avoir demandé « au ministère de l'intérieur de (lui) adresser dans les huit jours des propositions de renforcement », qui « devront concerner notamment internet et les réseaux sociaux », mais aussi la « surveillance des détenus considérés comme radicalisés ». Un soulagement pour les députés de la majorité, qui craignaient un “Patriot Act” à la française, version hexagonale des mesures sécuritaires massives adoptées aux États-Unis après le 11-Septembre.

Après avoir énoncé cette série de propositions qui « feront, a-t-il ajouté, l’objet d’une consultation ou d’une présentation au Parlement », Manuel Valls a vivement dénoncé ce qu’il qualifie de « nouvel antisémitisme des quartiers sur fond d'internet, de paraboles, de misère, sur fond de détestation de l'État d'Israël », appelant également la justice à être « implacable à l'égard de ces prédicateurs de la haine ». « Quelle honte que de voir un récidiviste de la haine tenir son spectacle dans des salles bondées au moment même où, samedi soir, la Nation se recueillait Porte de Vincennes », a-t-il affirmé en référence à Dieudonné. Début 2014, Manuel Valls avait fait un combat personnel de l’interdiction du spectacle de l’ex-humoriste, ouvertement antisémite.

Le premier ministre a consacré la fin de son discours à « l’autre urgence », celle qui consiste à « protéger nos compatriotes musulmans ». « Des actes anti-musulmans, inadmissibles, intolérables, se sont produits ces derniers jours, a-t-il dit. Là aussi, s’attaquer à une mosquée, à une église, à un lieu de culte, profaner un cimetière, c’est une offense à nos valeurs. » Rappelant que « l’islam est la deuxième religion de France » et qu’« elle a toute sa place en France », il a clamé : « Je ne veux plus qu'il y ait des juifs qui puissent avoir peur, je ne veux pas que des musulmans aient honte, la République est fraternelle, généreuse et elle est là pour accueillir chacun ! »

Manuel Valls à l'Assemblée nationale, le 13 janvier.Manuel Valls à l'Assemblée nationale, le 13 janvier. © Reuters

Les réactions politiques ont été quasi unanimes. « Manuel Valls a fait preuve de hauteur de vue, confie un député UMP à Mediapart sous couvert de “off”. Il a fait bien mieux que Christian Jacob et Nicolas Sarkozy. » Le député UMP des Alpes-Maritimes, Éric Ciotti, qui préside la commission parlementaire d'enquête sur les filières djihadistes, salue pour sa part « le beau discours républicain du premier ministre ». Quant au président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, Christian Jacob, qui a assuré dans son discours que « cet ennemi exècre notre héritage judéo-chrétien », il affirme : « Les intentions du premier ministre sont très louables, et on se retrouve dedans. (...) Maintenant, nous attendons le passage aux actes. Avec quelle majorité, quel texte, dans quels délais ? À ce stade, les pistes sont ouvertes, (Manuel Valls) a dit lui-même qu'il y aurait des textes, et notre volonté, c'est d'enrichir ces textes, lorsqu'ils seront sur la table. »

« En dix ans d'Assemblée, je n'ai jamais entendu un discours aussi fort que celui de Valls aujourd’hui », commente également le député UDI de Seine-et-Marne, Yves Jégo. « Manuel Valls a exprimé un juste constat et a témoigné d'une forte volonté », surenchérit dans un communiqué le président de Debout la France !, Nicolas Dupont-Aignan, qui appelle toutefois le premier ministre à « aller encore plus vite » sur les mesures à prendre. Côté FN, le député du Gard Gilbert Collard se dit « choqué » par le fait « qu'il ait fallu qu'on ait tant de morts pour que l'on prenne conscience de ce que nous, nous disons depuis des mois et des années ». « Mais ils sont en train de commettre un amalgame par omission, affirme-t-il. Lorsqu'ils parlent de terrorisme et qu'ils ne précisent pas islamique, ils n'empêchent pas tous les gens d'y penser. »

À gauche, les commentaires élogieux se sont succédé sur Twitter. Difficile de trouver une once de critique, à ce stade en tout cas. « Grand discours de Manuel Valls qui nomme les choses, dit l'inacceptable et fixe le cap de la reconquête », estime le député PS de Paris Christophe Caresche, membre des “réformateurs”, l’aile droite du PS. « Discours fort et constructif à la hauteur du drame qui a secoué notre pays », salue l'ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault.

« Scotchant », dit un autre élu socialiste, proche de Martine Aubry, déjà satisfait que le gouvernement écarte tout “Patriot Act” à la française. « Qu'est-ce que la République, qu'est-ce que la France : profond et salutaire discours de Manuel Valls », s’est encore félicitée l’ancienne ministre Aurélie Filippetti, qui a pourtant rejoint depuis cet été et son départ du gouvernement le clan des “frondeurs”. Coprésident du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, François de Rugy, cité par l’AFP, estime que Manuel Valls « a tenu des propos justes sur les suites que nous devions donner sur la sécurité des Français, sans surenchère, sans gesticulation législative ». « Je crains quand même cette rhétorique guerrière », dit un député de l'aile gauche du PS, qui ne souhaite pas être cité, alors que des victimes des drames sont encore en train d'être enterrées.

Il y a trois semaines, Manuel Valls, premier ministre en manque de troupes, était en mauvaise posture : jugé trop “com”, sans cesse menacé par la fronde législative d’une partie des socialistes réfractaires à la politique économique du gouvernement. Et trop sécuritaire : un handicap qui devient un atout, au moins à court terme, dans le contexte actuel. À lui, comme à François Hollande, l’unanimisme post-attentats de Paris donne l’occasion inespérée de se refaire une santé politique.

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