« Il est des coïncidences qui n’en sont pas. » C’est Pierre Lellouche, de l’UMP, qui a le mieux résumé la succession des deux débats de ce mardi 13 janvier au Parlement : le premier, consacré aux attentats de la semaine passée, le second au vote prolongeant l’intervention militaire française en Irak. Une différence de taille distinguait toutefois les deux moments : autant l’hémicycle de l’Assemblée nationale était plein à craquer pour rendre hommage aux victimes des attaques terroristes de Paris, autant il n’y avait quasiment personne pour débattre de la poursuite des missions aériennes tricolores.
Certes, l’enjeu du vote était mince, puisque tous les groupes politiques avaient annoncé au préalable qu’ils se prononceraient en faveur de la continuation de l’opération militaire Chammal (sauf les députés du Front de gauche qui défendaient l’abstention). Mais cela montre, une fois de plus, après les votes sur l’Afghanistan, le Mali ou la Centrafrique, que l’implication du Parlement dans les interventions extérieures demeure très faible, malgré la réforme de l’article 35 de la Constitution de 2008. Au bout du compte, la prolongation des missions aériennes au-dessus de l’Irak a été approuvée par 488 voix pour, une contre, et 13 abstentions. Mais, soulignant sans doute un certain malaise par rapport à l’attitude très martiale de Manuel Valls, 42 députés socialistes n’ont pas pris part au scrutin.
En effet, le premier ministre Manuel Valls, qui avait déclaré dans son premier discours de la journée que « la France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme et l’extrémisme islamique », a entamé le second, sur l’intervention en Irak, de la même manière : « Nous devons agir là-bas pour nous protéger ici. » Une phrase qui est la traduction presque mot pour mot d’une des maximes préférées de George W. Bush : « We will fight them overseas so we do not have to fight them here at home. » Histoire de bien appuyer son propos sur la lutte globale contre le terrorisme, le chef du gouvernement a tenu à souligner la date des manifestations du dimanche 11 janvier 2015 pour la mettre en parallèle avec celle de « l’engagement des forces françaises au Mali le 11 janvier 2013 et la mort de trois membres des services de renseignement, le même jour en Somalie ».
Le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian a appuyé dans le même sens en parlant de « réponse globale », en mettant sur le même continuum les trois opérations extérieures françaises (Mali, Centrafrique, Irak) et la mobilisation des militaires tricolores sur le sol national. Il a par ailleurs averti de la constitution d’un « nouveau califat en Afrique » sous l’égide de Boko Haram, laissant entendre que cela pourrait être un prochain théâtre d’intervention…
Dans le même ordre d’idées, tous les orateurs du débat à l’Assemblée nationale ont insisté sur la perspective d’un conflit (contre l’Irak mais aussi contre le terrorisme) qui sera « long », qui « s’inscrira dans la durée », rappelant encore une fois la rhétorique de l’administration Bush qui, à partir de 2006, avait rebaptisé sa « guerre globale contre la terreur » en « longue guerre ».
Manuel Valls ne s’est pas contenté de rappeler l’implication française au-dessus de l’Irak depuis septembre 2014 (plus de 300 missions, 34 frappes, 1 000 militaires et 15 avions mobilisés, de la collecte de renseignement aérien, envoi du porte-avions Charles-de-Gaulle dans le golfe Persique…), il a également souligné la « nécessité d’une stratégie politique ». Le problème est que, hormis quelques mots-clés comme « travail de reconstruction », « gouvernement inclusif », « formation des forces de sécurité », « chantier immense », le chef du gouvernement n’a rien suggéré de concret, démontrant une fois de plus que cette énième intervention occidentale au Moyen-Orient n’a pas du tout été pensée politiquement.
La plupart des intervenants ont souligné cette faille dans l’intervention française (qui n’est pas propre à l’Irak, puisqu’on constate la même chose au Mali ou en Centrafrique), mais n’ont proposé aucune solution alternative et ont approuvé la prolongation des missions aériennes (sauf le Front de gauche, même s’il a soutenu l’idée qu’il « faut aider l’État irakien à éradiquer ces barbares ! »). Du côté irakien, le premier ministre Haidar al-Abadi s’est plaint que « la coalition internationale est très lente dans ses aides et dans sa contribution à la formation de l’armée », rappelant que la réponse occidentale demeure pour le moment cantonnée à des frappes aériennes.
Les forces militaires de la France, même si le pays est l’un des plus impliqués derrière les États-Unis, ne pèsent que très peu aux côtés des Américains (qui, eux, frappent également en Syrie). Le Pentagone a rappelé ces derniers jours avoir visé 3 222 objectifs au cours de 1 676 raids. À l’aide de 4 775 bombes et missiles… Pour autant, dans le contexte actuel de plusieurs opérations extérieures et de la mobilisation d’environ 10 000 soldats sur le territoire national, la question du budget des forces armées se pose avec acuité. L’UMP a dénoncé l’inadéquation des ambitions françaises actuelles et des moyens. Pierre Lellouche a évoqué un « trou » de près de 7 milliards d’euros entre les « Opex » financées hors budget et des factures impayées. Même Patricia Adam, la présidente socialiste de la commission de la défense de l’Assemblée, a soutenu qu’il allait falloir « revoir à la hausse le budget des forces armées », si le gouvernement voulait être cohérent avec la manière dont il envisage désormais la lutte contre le terrorisme…
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