Ils se sont donné rendez-vous au métro Oberkampf (Paris XIe) pour défiler tous ensemble. Pour faire bloc. Et participer, « comme des citoyens ordinaires », à une marche qu’ils souhaitent « digne » et « silencieuse », selon les mots de Frédéric Péchenard, l’ancien grand flic devenu directeur général de l’UMP. Chacun des ténors de la droite interrogés ce dimanche 11 janvier par Mediapart en marge du cortège parisien tient à insister sur la nécessité de rester unis pour « faire face » à ce que Nathalie Kosciusko-Morizet, la numéro 2 du parti, décrit comme une « ère de nouveaux dangers ».
La plupart d’entre eux portent une écharpe tricolore à l’épaule, mais quelques-uns ont choisi de la laisser chez eux. « Parce que les politiques, aujourd’hui, c’est le peuple français », souligne Bruno Le Maire. Quelques centaines de mètres plus haut, une vingtaine de responsables de l’UMP prennent place dans un carré melting pot composé d’élus de tous bords. Il y a là Jean-François Copé, Christian Jacob, François Baroin, Valérie Pécresse, mais aussi les sarkozystes Brice Hortefeux, Nadine Morano, Christian Estrosi et Henri Guaino.
Bruno Le Maire et Nathalie Kosciusko-Morizet étaient prévus dans ce “cortège VIP”, mais ils ont finalement rejoint le groupe d’Oberkampf. Tout en tête de manifestation, on retrouve enfin une poignée d’anciens premiers ministres – François Fillon, Alain Juppé, Édouard Balladur… – et quelques mètres devant encore, le président de l’UMP, Nicolas Sarkozy, qui après avoir marché légèrement derrière François Hollande, a finalement réussi à jouer des coudes pour s’incruster sur la première ligne avec sa femme, Carla Bruni-Sarkozy.
Une fois le décor planté, les sourires affichés, la photo de groupe prise et les odes à l’unité nationale lancées, surgissent de nouvelles questions et de nouvelles dissonances. Car tous les responsables de l’opposition ne sont pas d’accord sur le scénario du “jour d’après”. La communion politique peut-elle survivre à cette journée de manifestation ? Le député de Paris Pierre Lellouche n’en est pas franchement certain. « Le dispositif actuel a montré ses limites, dit-il. Aujourd’hui, c’était une journée de deuil, mais demain il faudra passer à l’action. Si on reste tel quel, juste dans un discours de paix, ça ne marchera pas. »
Lui souhaiterait que François Hollande « dise ce qu’il se passe vraiment », qu’il « prononce les mots qui fâchent », à commencer par celui de « guerre ». Une expression que le président de la République s’est pour l’heure bien gardé d’employer, contrairement à son premier ministre qui a lui parlé de « guerre contre le terrorisme ». « Pas une guerre contre une religion, contre l’islam », mais « une guerre pour nos valeurs », a précisé Manuel Valls lors d’une visite au siège de Libération, comme pour mieux répondre à Nicolas Sarkozy qui avait pour sa part évoqué une « guerre déclarée à la civilisation ». Une expression qui gêne jusque dans les propres rangs de l'UMP. « Ça n'est pas une guerre de civilisation, a ainsi déclaré Rachida Dati sur France Info. De quelle civilisation parle-t-on ? Daech, c'est une civilisation ? Le nazisme était une civilisation ? Non ! »
Le député de la Marne, Benoist Apparu, explique de son côté qu’« il faut assumer le mot guerre dans une logique de débat ». Plus largement, s’il envisage le fait que « la droite et la gauche ne soient pas d’accord sur les solutions à apporter », l’ancien ministre du logement espère toutefois que « les débats sur l’identité nationale ou l’intégration » pourront désormais « s’ouvrir de façon plus sereine ». Le député du Val-d’Oise, Jérôme Chartier, veut pour sa part croire aux lendemains de l’unité nationale, y compris sur la question des réponses à apporter.
« La ligne de crête ne sera pas facile, mais je sens une mobilisation », assure ce proche de François Fillon. Le député et maire juppéiste du Havre, Édouard Philippe, est moins optimiste que son collègue parlementaire. « On ne sera pas d’accord sur tout, c’est évident, tranche-t-il. L’unanimisme n’est pas une solution. C’est très sain d’avoir des désaccords dans un débat démocratique. Surtout lorsqu’on se retrouve sur l’essentiel : la liberté. »
La liberté. C’est précisément le sujet qui risque d’animer les futurs débats politiques. Invité de RTL ce lundi 12 janvier, Nicolas Sarkozy a appelé à revoir « l'équilibre » entre liberté et sécurité. Son ancien ministre de l'intérieur, Claude Guéant, a pour sa part estimé sur France 2 « qu'il y a aussi des libertés qui peuvent être facilement abandonnées ». « Il y a un débat inévitable que nous devrons avoir, glisse le député de Paris, Claude Goasguen. C’est celui que les États-Unis ont eu après le 11-Septembre, celui du Patriot Act. » Cette loi américaine, votée dans l'urgence après les attentats de 2001 pour lutter contre le terrorisme, a été vivement dénoncée par les défenseurs des libertés civiles. « Il ne faudra pas tomber dans les mêmes dérives, poursuit Goasguen. On ne fera pas de Guantanamo en France ! »
Valérie Pécresse veut également son Patriot Act made in France. « Il faudra bien entendu un Patriot Act à la française, a-t-elle indiqué ce dimanche. Il faut une réponse ferme et globale. » François Baroin, lui, se dit opposé à « un décalque du Patriot Act US en France ». « Il faut trouver le bon dosage entre plus de sécurité et le respect de nos libertés », a-t-il indiqué au Monde. Alors que 3,7 millions de personnes ont manifesté dimanche pour défendre le principe de « liberté », l’immersion d’une loi liberticide dans le débat public peut paraître étrange. C’est sans compter l’embarras dans lequel la droite se retrouve après les attentats de Paris.
Il faudra bien entendu un Patriot Act à la française. Il faut une réponse ferme et globale #renseignement #securité #laicite #education— Valérie Pécresse (@vpecresse) 11 Janvier 2015
« L’UMP est emmerdée sur les questions de sécurité, souligne un membre du gouvernement sous couvert de “off”. C’est eux qui ont baissé les effectifs de la police. Aujourd’hui, ils risquent de se lancer dans une course à l’échalote contre le FN… » Une analyse qui va dans le sens de la position adoptée par les différents ténors de l'UMP interrogés dimanche par Mediapart sur la question des responsabilités. « Vu les responsabilités que j’occupais avant (directeur général de la police nationale – ndlr), je ne me vois pas pointer du doigt nos services de renseignements », explique Frédéric Péchenard. « Chacun fera en sorte de ne pas se renvoyer la responsabilité », ajoute le député de la Drôme, Hervé Mariton.
Le député de Paris Philippe Goujon reconnaît volontiers que « la droite aurait pu prendre davantage de mesures », mais tient toutefois à souligner que « l’UMP a voté les deux lois antiterroristes adoptées sous Hollande, alors que la gauche ne l’avait pas fait sous Sarkozy ». Nathalie Kosciusko-Morizet estime quant à elle qu’il y a « un bilan à faire sur ce qu’il s’est passé », mais insiste sur le fait que « tout cela doit se faire dans un esprit de responsabilités, entre adultes ». Pas de ping-pong de recherche de responsables, donc. « Nous n’avons pas le temps », affirme le député du Val-d’Oise, Jérôme Chartier.
« Les Français ne veulent pas de polémiques sur ces sujets », renchérit son collègue de Seine-et-Marne, Franck Riester, rejoint sur ce point par Bruno Le Maire. « Les Français nous ont donné une leçon d’unité et courage, dit-il. Nos débats politiques devront être à la hauteur de cet esprit national. Les questions que nous devrons nous poser ne sont pas seulement des questions de sécurité. Le mal est plus profond : c’est l'ensemble de notre système éducatif, économique, politique qu’il faut revoir. Nos valeurs aussi. »
Sur RTL, Nicolas Sarkozy a pris soin de donner le “la” à ses troupes, en insistant sur la nécessité de prolonger l’union nationale. « Il faut essayer de surmonter les clivages partisans sans détruire la nécessité du débat démocratique », a-t-il indiqué, avant de dérouler un certain nombre de propositions : empêcher le retour au pays des djihadistes français, isoler les détenus islamistes radicaux en prison, former les imams et expulser ceux qui tiennent des propos extrémistes, associer les responsables religieux au débat, donner plus de moyens pour les services de renseignement et les policiers, surveiller internet…
Proposant la mise en place d’« une commission d’experts parlementaire » ou « un groupe de travail bipartisan », le patron de l’UMP souhaite aller « au fond des choses », « sans esprit polémique, sans esprit partisan » : « N’ajoutons pas à la tragédie nationale le sectarisme et les donneurs de leçons, a-t-il encore affirmé. Je dois mesurer mes propos pour éviter que nous basculions de l’union nationale à l’affrontement national. »
BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été interrogées dans le cortège parisien du 11 janvier.
Mise à jour : ce papier a été actualisé lundi 12 janvier, à 13h, après les déclarations de Claude Guéant et de Nicolas Sarkozy.
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