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Un rapport propose de muscler « la République exemplaire » de Hollande

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Les mots risquent de manquer aux élus qui dénoncent déjà le « régime de Gestapo » mis en place après l'affaire Cahuzac. Mercredi 7 janvier, le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HAT), Jean-Louis Nadal, a remis au chef de l’État un rapport qui enfonce le clou, avec une vingtaine de recommandations pour accroître l'« exemplarité des responsables publics »

Jean-Louis Nadal remet son rapport sur l'exemplarité des acteurs publics au chef de l'Etat, le 7 janvierJean-Louis Nadal remet son rapport sur l'exemplarité des acteurs publics au chef de l'Etat, le 7 janvier © Présidence de la République

Inspiré par ce travail, François Hollande devait annoncer dans la foulée, jeudi 8 janvier, une seconde étape dans la moralisation de la vie publique, mais l'attentat contre Charlie Hebdo a fait exploser l'agenda présidentiel. Il faudra donc attendre pour savoir ce que le chef de l’État retient d'un rapport discrètement commandé après le limogeage de Thomas Thévenoud, ce ministre éphémère qui ne déclarait pas ses impôts et qui a retrouvé gîte et couvert à l'Assemblée nationale.

La copie de Jean-Louis Nadal, ancien haut magistrat, un temps soutien de Martine Aubry, n'est pas révolutionnaire – dans ses vingt propositions, il n'exige pas la fin du « verrou de Bercy » sur la fraude fiscale, ni franchement la suppression de la Cour de justice de la République ou l'indépendance des procureurs de la République (il était plus explicite sur l'indépendance du parquet dans son précédent rapport de 2013 à la ministre de la justice). Mais il compile des mesures concrètes et réalisables, pouvant servir de canevas à « la République exemplaire » promise par François Hollande pendant sa campagne de 2012, défigurée depuis par les démissions de quatre ministres (Cahuzac, Benguigui, Thévenoud, Arif) et de deux conseillers à l’Élysée (Morelle et Lamdaoui), emportés par les affaires.

Comme l'écrit Jean-Louis Nadal, avec un goût prononcé pour la litote, « la nécessité d'un parachèvement des réformes déjà entreprises est pressante », qu'il s'agisse des rapports des élus avec le fisc, des moyens de la HAT pour contrôler leur patrimoine ou encore du financement des partis politiques.

Éviter un nouveau Thévenoud :

Le rapport renvoie à une note cristalline du Trésor public de 1937 consacrée à la fraude fiscale, énonçant que « les impôts sont le prix à payer pour une société civilisée ». C'est sur ce sujet de la barbarie fiscale que Jean-Louis Nadal parle le plus dru : « Il est indispensable que les titulaires des plus hautes responsabilités publiques présentent une situation fiscale incontestable », parce qu'elle « conditionne à la fois la crédibilité de leur action et l’acceptabilité de leurs décisions par les Français ». Il préconise donc que le chef de l’État et le premier ministre puissent « vérifier la situation fiscale » des personnes qu'ils s'apprêtent à nommer au gouvernement (ils resteraient cependant « libres d'en tirer les conséquences qu'ils estiment pertinentes »).

Il recommande surtout que la République exige « un certificat » de tous les candidats aux élections nationales (présidentielles, législatives, sénatoriales et européennes), « prouvant qu'ils sont à jour de leurs obligations fiscales ». Une note de bas de page liste les « obligations » en question : l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés et la TVA. Ce « certificat » minimal attesterait que les candidats ont bien rempli leurs déclarations depuis trois ans (voire qu'ils ont payé leurs avis d'imposition), mais ne supposerait pas de contrôle fiscal en bonne et due forme – sinon les services seraient débordés, estime Jean-Louis Nadal. Un fraudeur à l'ISF (impôt de solidarité sur la fortune) qui aurait omis de s'y soumettre ne serait donc pas repéré.

Alors que certains députés socialistes réclament au moins des « vérifications fiscales » approfondies et systématiques pour tous les parlementaires, comme pour les ministres depuis fin 2013 et sous l'autorité de la HAT, le rapport ne retient pas cette idée.

Se débarrasser d'un Balkany :

Après tout, si les fonctionnaires risquent la révocation en cas de fautes déontologiques graves, pourquoi pas les élus ? L'auteur suggère ainsi d'offrir à l'Assemblée et au Sénat le droit de « destituer certains de leurs membres en cas de manquement grave à l'exemplarité ». « La décision devrait d’abord résulter d’un vote à une majorité qualifiée de l’assemblée concernée », imagine Jean-Louis Nadal. Puis le Conseil constitutionnel serait saisi pour « apprécier la qualification des manquements constatés », histoire d'éviter les règlements de comptes politiques. Tout le monde pense à Patrick Balkany, Thomas Thévenoud ou Sylvie Andrieux, mais aucun nom n'est évidemment cité.

Jean-Louis Nadal retient une deuxième piste, tracée par des associations comme Transparency International ou Anticor, et même par le patron du Service central de prévention de la corruption (dans un entretien à Mediapart) : il faudrait que l'absence de condamnation pour corruption, favoritisme, détournement de fonds publics ou toute autre « atteinte à la probité » devienne une condition pour se présenter aux élections, au même titre que l'âge ou la nationalité.

Enfin, il veut « faire en sorte que les condamnations pour atteinte à la probité soient systématiquement assorties de peines d'inéligibilité ». Aujourd'hui facultatives, celles-ci sont « rarement prononcées » par les tribunaux en plus de l'amende ou de la prison, regrette Jean-Louis Nadal, qui parle de « magistrats souvent réticents ». Il préconise que l'inéligibilité devienne « une peine complémentaire obligatoire », dont le juge apprécierait la durée au coup par coup (maximum dix ans au pénal).

• Empêcher un Bygmalion bis :

En pleine affaire Bygmalion, l'ancien magistrat s'est penché sur l'argent des formations politiques et les failles béantes dans le contrôle de leurs comptes, confié pour l'essentiel à des commissaires aux comptes recrutés par les partis, accessoirement à la Commission nationale des financements politiques (CNCCFP), dont les moyens sont cruellement insuffisants (lire nos articles ici ou ). « La question (…) n'a pas été pleinement étudiée » pendant la mission, concède l'auteur, « par manque de temps et aussi d'expertise », mais il lance tout de même trois pavés dans la mare.

Jean-Louis Nadal recommande d'abord de « confier à la Cour des comptes », réputée plus puissante et pointilleuse que la CNCCFP, « le contrôle de la comptabilité des partis » – non « pas un contrôle de gestion » sur l'opportunité de telle ou telle dépense, mais pour « certifier la régularité, la sincérité et la fidélité » des chiffres. Tous ne seraient pas visés, simplement ceux qui touchent le plus de dotations publiques, soit treize partis sur plus de 300 enregistrés en France.

Cette réforme (dont Mediapart a déjà parlé ici) se heurte aux objections de moult trésoriers et professeurs de droit qui l'estiment inconstitutionnelle, au prétexte qu'elle heurterait l'article 4 de la loi fondamentale, selon lequel les partis « exercent leur activité librement ». Mais Jean-Louis Nadal argumente en droit, puis balaye. « Sous réserve d'un examen approfondi, (…) ça ne semble pas poser de difficulté. »

Deuxièmement, toujours aiguillonné par l'affaire Sarkozy-Bygmalion, il rappelle qu'en l'état de la loi, aucune peine d'inéligibilité ne permet de sanctionner les candidats à la présidentielle (en particulier le vainqueur) qui enfreignent les règles du jeu (fraudes, explosion du plafond de dépenses, etc.). « Il serait utile que le législateur se saisisse de cette question », glisse Jean-Louis Nadal, en rappelant la réponse imaginée en 2012 par la commission Jospin en cas d'élection d'un tricheur : une procédure de destitution (lire notre article).

Nicolas Sarkozy, dont le compte de campagne présidentielle a été rejetéNicolas Sarkozy, dont le compte de campagne présidentielle a été rejeté © Reuters

Enfin, pour éviter de nouveaux « contournements importants » du plafond et pallier l'insuffisance de contrôle de la CNCCFP sur les comptes de la présidentielle, il soumet « l'hypothèse » d'une publication des dépenses de chaque candidat « à intervalles réguliers », en clair en temps réel, qui permettrait « une veille citoyenne » (comme Eva Joly l'avait vaguement tenté en 2012 et comme ça « existe à l'étranger », aux États-Unis en particulier).

On devine toutefois que Jean-Louis Nadal, qui a auditionné des responsables de partis, n'y croit guère lui-même. « Une telle réforme supposerait indubitablement un accord républicain des formations représentées dans les assemblées parlementaires », note-t-il. Or, « cette concorde républicaine est rare sur les sujets institutionnels ». Depuis vingt-cinq ans, quand elle est scellée, c’est même plutôt pour enterrer toute réforme.

• Profil bas sur les enveloppes des parlementaires :

Jean-Louis Nadal sait qu'il horripile déjà dans l'hémicycle. Alors sur la question ultrasensible de l'indemnité pour frais de mandat (IRFM), cette enveloppe de 6 000 euros mensuels versée aux 925 parlementaires sans l'once d'un contrôle pour couvrir leurs frais professionnels, et régulièrement détournée à des fins personnelles, il botte en touche (voir nos révélations sur Jérôme Cahuzac ou le socialiste Pascal Terrasse).

En décembre, il a pourtant effectué un déplacement à Londres où le "scandale des notes de frais" de 2009 a décimé la moitié du Parlement, où des lords ont écopé de prison ferme pour quelques milliers d'euros escroqués, où désormais les députés sont remboursés uniquement sur factures (avec un bataillon de dizaines de fonctionnaires pour les trier).

Quelle leçon faut-il en tirer ? « Il n’appartient pas au présent rapport (…) de préconiser l’encadrement de tel ou tel dispositif qui relève de l’autonomie des assemblées », se retient Jean-Louis Nadal, qui escompte que l'Assemblée et le Sénat profiteront de la fin du cumul des mandats pour remettre à plat la question de leurs moyens matériels et de leur usage. Pas un mot, non plus, sur les abus d'« emplois familiaux » aux frais du contribuable.

• Des pouvoirs renforcés pour la HAT :

Quitte à ironiser sur son conflit d'intérêts, le rapporteur Jean-Louis Nadal recommande de doper les pouvoirs de Nadal Jean-Louis, président de la HAT. Depuis un an, en effet, l'autorité indépendante semble se heurter, en coulisse, à mille et un obstacles pour éplucher les déclarations de patrimoine et d'intérêts des responsables publics, en particulier dans ses rapports avec l'administration fiscale (9 000 personnes assujetties, "seulement" un millier de documents vérifiés pour l’instant).

Sur demande, le fisc est censé fournir « tous les éléments permettant d'apprécier » que les déclarations sont exhaustives et sincères. Dans les faits, la collaboration est « parfois inutilement longue et fastidieuse », révèle Jean-Louis Nadal.

Pour pallier ces « lacunes », il préconise donc que la Haute Autorité soit dotée « de moyens d'enquête propres, juridiques et humains, de nature à la rendre autonome, y compris de l'administration fiscale ». Décliné en pratique, cela signifierait un accès direct pour les agents de la HAT aux données du fisc, au fichier Ficoba (liste des comptes bancaires), aux signalements de Tracfin (cellule anti-blanchiment de Bercy), à la base Patrim (utilisée par Bercy pour estimer des biens immobiliers), voire à certaines procédures judiciaires.

Pour faciliter le « dialogue » avec les élus sur la valeur de leurs maisons (gros sujet de tensions), le patron de la HAT revendique aussi le droit « de faire réaliser des expertises » en direct, par des experts agréés auprès des tribunaux.

Cette batterie de recommandations a évidemment de quoi faire paniquer ceux des parlementaires qui ont voté contre les lois sur la transparence et la HAT en 2013 (la quasi-totalité de l’UMP). Mais Jean-Louis Nadal en fait une question de principe : « Dépendre du concours du pouvoir exécutif pour assurer le contrôle, notamment des membres du Parlement, n’est pas sans soulever de questions au regard du principe de la séparation des pouvoirs. » Il faut donc « parachever l'indépendance de la Haute Autorité ».
 

Au-delà de ces recommandations majeures, le rapport prône également une transparence accrue sur les marchés publics des collectivités ou sur les activités menées par les lobbyistes auprès des administrations, ou bien encore un renforcement de la Commission de déontologie des fonctionnaires, censée réguler le cumul d’activités et les départs dans le privé, mais qui surveille à l’aveugle faute d’informations. Sur la déontologie des fonctionnaires et des magistrats, plusieurs projets de loi sont d'ailleurs en carafe à l’Assemblée nationale depuis des mois, tance Jean-Louis Nadal. Un mauvais signal, à l'heure où il faut agir vite.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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