Qui sont Chérif et Saïd Kouachi, les deux frères activement recherchés par la police et principaux suspects de la tuerie à Charlie Hebdo ? Deux jeunes en rupture avec la société, orphelins dès l’enfance de leurs deux parents immigrés d'Algérie, qui trouvent dans le djihadisme « une reconnaissance mondiale alors qu’ils n’ont jamais vécu qu’à la marge de la société », comme le note le sociologue Fahrad Khosrokhavar, spécialiste de la radicalisation islamiste (notamment en prison) dans un entretien à Mediapart à lire ici. Ballottés de foyer en famille d’accueil, ils ont emprunté les voies de la délinquance puis du djihad armé selon des mécanismes de radicalisation très classiques.
À 32 ans, Chérif Kouachi, le cadet, crâne rasé et léger bouc sur le portrait diffusé par la police, domicilié à Gennevilliers, est le plus connu des services antiterroristes français et certainement le plus expérimenté de la fratrie. Pas un novice formé sur le sol syrien mais un ancien de la filière des Buttes-Chaumont, surnom Abou Issen. Ce réseau du XIXe arrondissement de Paris envoyait des combattants en Irak de 2004 à 2006 renforcer les rangs de la branche irakienne d'Al-Qaïda, dirigée à l'époque par Abou Moussab al Zarkaoui. Chérif Kouachi ne quittera jamais la France. Interpellé en 2005 juste avant de s'envoler pour l’Irak via la Syrie, avec un autre candidat, Thamer Bouchnak, il a été condamné le 14 mai 2008 à trois ans de prison dont 18 mois avec sursis.
Peu avant son arrestation, son visage était apparu dans un numéro de l'émission « Pièces à conviction » diffusé en septembre 2005 sur France 3 et consacré au terrorisme. On l'y présentait comme un « élève assidu » de Farid Benyettou et de ses prêches sur « les bienfaits » des attentats suicides.
Dans un article de 2008 que vous pouvez relire ici, Patricia Tourancheau, journaliste à Libération, chronique le procès de cette filière qui relève « plutôt du système D » que d’une organisation. Une filière où les apprentis djihadistes étaient recrutés dans les cités HLM du nord de Paris et endoctrinés dans un coin de la mosquée Adda'Wa, dans le quartier Stalingrad, par un petit prédicateur d’origine algérienne à peine plus âgé, Farid Benyettou, qui passait pour un savant de l’Islam et se faisait appeler “émir”. Leur « entraînement civique » relevait du grand amateurisme. Il passait par des footings sous la pluie dans le parc des Buttes-Chaumont, des cours sur le maniement d’une kalachnikov dans le métro parisien…
Quelques années plus tard, Chérif Kouachi qui à 20 ans ressemble « plus à un fumeur de shit des cités qu’à un islamiste du Takfir, qui boit, fume, ne porte pas la barbe et a une petite amie avant le mariage », selon le récit d’audience de Libération, est soupçonné d’être derrière l’attentat le plus meurtrier jamais perpétré depuis plus de cinquante ans sur le sol français et les heures noires de l’OAS. En moins d’une dizaine d’années, « le musulman occasionnel », gamin paumé, livreur de pizzas qui avait peur de se faire tuer en Irak, et qui était révolté par les images de la prison d’Abou Ghraib, a plongé dans l'islam le plus radical, passant de l'amateurisme à un professionnalisme glaçant, à l'exception de cette carte d'identité qui aurait été laissée dans un des véhicules ayant servi à la fuite après le carnage à Charlie Hebdo. Dans une interview au Figaro, son avocat de l’époque commis d’office, Vincent Ollivier, qui l’a suivi de 2005 à 2008, se souvient d’« un jeune qui ne savait pas quoi faire de sa vie » ; « Du jour au lendemain, il a rencontré des gens, des islamistes radicaux, qui lui ont donné l'impression d'être important. Et cet apprenti loser a basculé. »
La prison y a participé. « S’il a d'abord changé physiquement car il a pratiqué la musculation, il est aussi devenu plus discret, plus silencieux », note son ancien conseil dans cet entretien au Figaro. Incarcéré du 29 janvier 2005 au 11 octobre 2006 à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne), Chérif Kouachi retrouve la liberté dans la foulée du jugement, sa peine étant couverte par la détention provisoire. Il a pris du muscle, considérablement changé. À sa sortie, il travaille à la poissonnerie du supermarché Leclerc de Conflans-Sainte-Honorine et conserve alors des liens avec certains de ses anciens complices des Buttes-Chaumont, selon les policiers de la sous-direction antiterroriste (SDAT), cités par Le Monde.
En 2008, comme le raconte ici Le Monde, Chérif Kouachi se marie avec pour seul témoin et seule famille son frère Saïd, de deux ans son aîné. Sa femme, animatrice dans une crèche, porte le voile intégral depuis qu'ils ont fait le pèlerinage à la Mecque. La même année, son nom est cité dans le projet d'évasion de l'islamiste Smaïn Aït Ali Belkacem, l’ancien membre du Groupe islamique armé algérien (GIA), condamné en 2002 à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir commis l’attentat à la station RER Musée-d'Orsay en octobre 1995 à Paris (30 blessés). Il écopera de cinq mois de détention, avant d’être libéré à l’automne 2010 après un non-lieu du parquet faute de preuves suffisantes.
Chérif Kouachi était aussi soupçonné d'être proche de Djamel Beghal, une autre figure de l'islam radical français, qui purge une peine de dix ans de prison pour un projet d’attentat en 2001 contre l’ambassade des États-Unis à Paris et avec lequel il était soupçonné d'avoir participé à des entraînements. Après avoir été mis en examen dans cette affaire, il a toutefois bénéficié d'un non-lieu. Les deux hommes se sont connus… en prison à Fleury. Ils ont été photographiés ensemble en avril 2010 à Murat, dans le Cantal, où Beghal est assigné à résidence avec deux autres noms du terrorisme, Ahmed Laidouni, condamné pour sa participation à une filière de djihadistes en Afghanistan, et Farid Melouk, membre du Groupe salafiste pour la prédication et le combat algérien.
À propos de son frère aîné Saïd, qui apparaît en périphérie de certains dossiers, on en sait beaucoup moins. Selon le journal local L’Union de Reims, il avait élu domicile dans le quartier Croix-Rouge à Reims. Marié à une Rémoise qui porte le niqab, il vit là depuis un peu plus d’un an. Le voisinage évoque un couple très discret, mais personne ne les connaissait vraiment. Depuis plusieurs jours, le couple n'était plus apparu dans le quartier…
Les deux frères ont passé six ans de leur jeunesse en Corrèze avec leur soeur, selon le journal La Montagne, au Centre des Monédières, appartenant à la fondation Claude-Pompidou. Ils avaient été placés là par les services sociaux de Paris de 1994 jusqu'à l'orée des années 2000.
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