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Après avoir tout tenté, Lepaon démissionne

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« Il a fallu le pousser, Thierry… » C’est dans un soupir mêlant résignation et incrédulité que le dirigeant d’une fédération de la CGT résumait les événements qui ont conduit le bureau confédéral du syndicat à annoncer mardi 6 janvier au soir que ses neuf membres, dont le secrétaire général Thierry Lepaon, allaient « remettre leur mandat » à la disposition du Comité confédéral national. Depuis, ce mercredi en milieu de journée, une source interne a annoncé à l'AFP qu'« il y aura un nouveau secrétaire général de la CGT la semaine prochaine », confirmant une information d'Europe 1.

Avant cette issue, il avait tout tenté pour rester en place. Quitte à se faire démettre par le CCN, le « parlement » de la centrale, qui devait se réunit le 13 janvier pour tenter de mettre un terme à la crise ouverte qui fait rage dans le syndicat depuis fin octobre, et les premières révélations du Canard enchaîné sur les 100 000 euros dépensés pour rénover l'appartement que le syndicat loue pour son dirigeant. L’hebdo a aussi détaillé la rénovation du bureau de Lepaon, pour 62 000 euros, et L’Express a révélé que lorsqu’il est devenu secrétaire général, en mars 2013, il a touché des indemnités de départ versées au motif qu’il quittait la direction régionale de Basse-Normandie du syndicat.

© Reuters - Benoit Tessier

Mais jusqu'à ce jour, aucune de ses révélations, ni l’indignation croissante en interne, aussi bien parmi la base que les cadres du syndicat (lire ici notre article sur les échanges internes très tendus), n’avaient jusqu’alors fait ciller Thierry Lepaon, bien décidé à conserver son poste, et criant au complot visant à déstabiliser le premier syndicat de France. Tout juste avait-il consenti à faire sauter un fusible, le trésorier Éric Lafont, qui a démissionné le 9 décembre. C’est dans ce contexte explosif qu’a lieu, ces mardi et mercredi 6 et 7 janvier, la réunion du comité exécutif du syndicat, qui rassemble ses 56 dirigeants, en vue de préparer l’ordre du jour du CCN de la semaine suivante. « Aujourd’hui, tout tourne autour d’une question simple, résumait mardi un cadre qui n’a jamais apprécié son dirigeant : Thierry Lepaon va-t-il démissionner avant le 13 janvier, ou va-t-il nous obliger à le virer ? » La réponse vient d'être donnée.

Car seul le CCN a le pouvoir de révoquer le secrétaire général s’il ne souhaite pas quitter son poste. Et selon les décomptes internes, l’issue d’un vote sur son maintien en poste ne semblait guère faire de doute : sur les 129 dirigeants de fédérations ou d’unions locales qui le composent, 80 avaient déjà pris position par écrit sur la question. Et ils auraient été seulement 20 à défendre encore Thierry Lepaon. 35 autres auraient souhaité qu’il démissionne tout seul, quand 25 dirigeants souhaitaient voir tous les membres du bureau confédéral quitter leurs fonctions.

Pour autant, le secrétaire général n'avait rien fait rien pour faciliter la tâche de ses adversaires. Ainsi, a précisé officiellement mardi la direction de la centrale à l’AFP, la remise en jeu de tous les mandats du bureau confédéral, qui avait été annoncée dans la soirée, n’équivalait pas à une démission collective. Il s’agissait donc plutôt d'organiser d’un vote de confiance, où le parlement de l’organisation approuvera ou non l’action de chacun des membres du bureau.

Des finasseries, cette distinction sur les termes ? Une des dernières tentatives de ne pas disparaître corps et biens pour Lepaon, interprétaient plutôt en interne ceux qui s’impatientaient de le voir partir. Selon les récits obtenus par Mediapart, la décision de cette remise en jeu collective avait été prise lundi 5 au soir, lors d’une réunion du bureau. Mais il aura fallu que les huit autres dirigeants annoncent leur volonté ferme de se soumettre au vote du CCN pour que Lepaon, qui pensait encore pouvoir sauver sa place, se résigne à faire de même.

Mais presque partout en interne, la tonalité était la même. Très négative : « Ce ne sont que des histoires de pouvoir. Pendant ce temps-là, on perd des militants à un moment crucial. Il doit lâcher son siège. Quelle image donne-t-il de la maison en s’accrochant ainsi au pouvoir ? Il est grillé. Et nous avec », se lamentait par exemple un membre du CCN.

Il devenait ces derniers jours de plus en plus rare de trouver des soutiens pour Lepaon. Il fallait  interroger ses proches pour obtenir autre chose que des désaveux sévères. Ainsi, un de ses amis refusait de participer à une « comédie qui vise à affaiblir la gauche à un moment politique trouble » et « de hurler avec les loups ». Le secrétaire général ne serait qu’« un très bon militant, victime de l’appareil CGT ». « Ce n’est pas Thierry qui a mis la CGT dans cet état. C’est l’état de la CGT qui fait que cette affaire apparaît. Tous les cadres responsables de Montreuil vivent sur le dos de la bête, assurait ce proche. Il s’inscrit dans la tradition. Thorez roulait en Rolls à une époque où le PC l’assumait. »

Peut-être. Mais en se défendant bec et ongles depuis plus de deux mois, Lepaon semble bien s’être enferré dans des mensonges, plus ou moins graves. C’est ce qu’a révélé le rapport de la commission financière de contrôle du syndicat, qui a rendu ses conclusions mercredi matin à la commission exécutive, et que Le Parisien a détaillées. Exemple le plus caricatural : le 9 décembre, il avait juré avoir fait baisser son salaire dès son arrivée, en avril 2013, de 5 200 € à 4 000 € net par mois (sur 13 mois). En fait, ses bulletins de paye démontrent que cette baisse n’est intervenue qu’en… décembre 2014 !

Il aurait aussi reçu des informations sur le chantier en cours dans son appartement, et n’aurait donc pas appris son coût « dans la presse », comme il l’a toujours affirmé. De plus, des soupçons de surfacturation persistent car lors de leur visite de l’appartement, les experts de la commission financière n’ont pas trouvé trace de plusieurs meubles et équipements facturés. Enfin, le coût des travaux de son bureau ne sont pas imputables à une remise aux normes du chauffage et de la climatisation, comme il l’affirmait. Et pour cause, le chauffage est collectif pour tout l’immeuble et « l'essentiel de la facturation est en réalité dû au mobilier sur mesure, réalisé à la demande de Thierry Lepaon », indique Le Parisien.

Autant d’éléments fort embarrassants qui ont poussé à entrer dans la danse Louis Viannet, secrétaire général de 1992 à 1999 et figure morale de la CGT (notamment parce qu’il est celui qui a initié la séparation d’avec le parti communiste). L’homme a presque toujours gardé le silence depuis son départ. Y compris lors de la guerre de succession qui a ravagé la centrale en prévision du départ de son successeur Bernard Thibault, et qui a finalement abouti à l’élection de Lepaon, « par défaut » comme l’intéressé l’a lui-même reconnu. Mais le 5 janvier dans Le Monde, Viannet a pris la parole de la façon la plus directe qui soit, critiquant durement l’actuel dirigeant et l’appelant à quitter la barre.

Jusque-là, deux anciens dirigeants, Bernard Thibault sur RTL et Georges Séguy dans L’Humanité, avaient abordé la situation du syndicat, sans soutenir Lepaon, mais étaient restés dans les limites du non-dit ou de l’euphémisme. Rien de tel avec Viannet, qui estime que « si aucune faute n’avait été commise, il n’y aurait aujourd’hui ni fuite ni campagne des médias » et que puisque « ces fautes impliquent le secrétaire général, dès lors les problèmes prennent une autre dimension ». Les affaires dévoilées dans la presse ont produit un « doute sur la sincérité avec laquelle la CGT défend bec et ongles ses valeurs fondamentales », a-t-il tranché.

Bernard Thibault, Thiery Lepaon et Georges Séguy, en mars 2013Bernard Thibault, Thiery Lepaon et Georges Séguy, en mars 2013 © Reuters - Bruno Martin

Pour enfoncer le clou, Viannet est encore intervenu mardi soir, sur RTL, sur Europe 1 et sur France 2, après l’annonce de la remise en jeu de tous les mandats. Pas particulièrement dupe… « Ce que je souhaite, c’est que cette démission collective ne soit pas utilisée pour masquer ou atténuer les responsabilités individuelles », a-t-il prévenu à la télévision. « On peut considérer que Thierry Lepaon prend le soin d'emmener avec lui un certain nombre de membres du bureau confédéral » de façon qu'il « apparaisse moins », a-t-il précisé à la radio. L'ex-dirigeant a espéré que « les décisions qui vont être prises seront suffisamment judicieuses pour permettre que très vite la CGT retrouve ses capacités de rassemblement ».

Lepaon a cessé de se cacher derrière le collectif. Mais quelle suite ? Le front des « anti » représenté dans les instances dirigeantes paraît s’accorder sur l’idée de reconstruire un bureau avec certains de ses membres sortants, et de placer à sa tête un dirigeant de transition, qui ne se présenterait pas lors du prochain congrès, qui devrait se tenir courant 2016, au plus tôt en mars. « Et ce n’est qu’à ce moment, au mieux, qu’on pourra discuter sérieusement des histoires de lignes politiques et de la façon dont la CGT doit agir, estime le responsable de fédération déjà cité. D’ici là, il s’agit avant tout de faire le ménage dans nos rangs et de repartir proprement. »

BOITE NOIRECet article a été publié mercredi peu avant midi, et donc avant l'annonce de la démission de Thierry Lepaon. Il a été mis à jour à 14h15.

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