Le maire divers droite du village de Champlan (Essonne), qui a refusé d’inhumer Maria Francesca, le bébé décédé au lendemain de Noël, a beau se poser en victime, il n’en est pas à son coup d’essai à l’égard des familles roms installées dans sa commune. Mediapart s’est procuré l’enregistrement du conseil municipal du 28 novembre 2014 au cours duquel Christian Leclerc stigmatise ouvertement les enfants de cette communauté scolarisés et nourrit les préjugés en les opposant aux « petits Champlanais et petites Champlanaises » qui « eux prennent une douche tous les matins ».
En l’espace de quelques jours, le maire de Champlan, pour justifier son refus d'inhumer, n’a cessé de modifier sa défense. Il a d’abord plaidé le « peu de places disponibles » au cimetière et la « priorité donnée à ceux qui paient leurs impôts locaux ». Puis, évoqué un « malentendu », avant de nier son refus d’inhumer le bébé de deux mois et demi. Il a ensuite parlé d’« erreur administrative », de propos « sortis de leur contexte », et « vivement » souhaité que le nourrisson soit finalement enterré dans sa commune. Il a dénoncé une « mascarade », une « mayonnaise ». Menacé d’attaquer pour « diffamation ». Aujourd’hui, il serait « effondré » par le tour que les choses ont pris depuis les premières révélations du Parisien, samedi 3 janvier.
C’est du moins ainsi que Christian Leclerc est désormais décrit à 20 Minutes par Richard Tranquier, l’édile UMP de Wissous, une commune voisine où les obsèques de Maria Francesca ont finalement eu lieu lundi. « Je connais bien Christian Leclerc. Il n'est pas raciste et est modéré dans ses propos, précise l’élu. Il était en congé la semaine dernière et n'a pas pu gérer facilement la situation. » C’est le moins que l’on puisse dire.
Dès dimanche, et face à l’ampleur de la polémique et la multiplication des réactions indignées, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, s’est saisi d’office de la situation, indiquant sur Europe 1 qu’il entendait lancer « un certain nombre d'investigations » afin de rechercher « toutes les informations utiles ». Lundi après-midi, c’est le parquet d’Évry qui a annoncé ouvrir une enquête préliminaire pour « discriminations ». Pour le maire de Wissous, « tout ça est allé trop loin ». Pour celui de Champlan, les choses risquent encore de se corser.
Que sait-on de cet élu DVD qui n’était encore, fin 2014, qu’un illustre inconnu ? Peu de chose hormis qu’il occupe le fauteuil de maire de Champlan depuis 2008 et qu’il a été réélu en mars dernier dès le premier tour, avec 74,11 % des voix. Jusqu’alors soutenu par Nathalie Kosciusko-Morizet, la députée de l’Essonne fraîchement nommée vice-présidente de l’UMP, il a reçu en janvier 2012 le titre de chevalier de la Légion d'honneur, sur proposition de l’ancienne ministre de l’écologie qui voulait le remercier pour son action en faveur de l’environnement.
Dimanche, une petite demi-heure après la publication du tweet de réaction de Manuel Valls – « Refuser la sépulture à un enfant en raison de son origine : une injure à sa mémoire, une injure à ce qu'est la France. #Champlan #Essonne » –, NKM est sortie à son tour du silence pour se désolidariser de son ancien protégé. « Je ne m'explique pas ce qui lui a pris », a-t-elle indiqué dans le courant de l’après-midi. « Ce refus est pitoyable, indéfendable, injustifiable. Refuser l’inhumation à un être humain, c’est le tuer une seconde fois. Ce comportement est à l’opposé de toutes les valeurs humanistes que je défends. »
« Il n’y a pas d’écrit dans cette affaire-là parce que ce sont des choses qui se sont passées au téléphone », a-t-elle cependant indiqué mardi matin sur France Inter, prenant acte des dénégations de Christian Leclerc. Ce n’est pourtant pas la première fois que celui-ci franchit les limites des fameuses « valeurs humanistes » que prône la n°2 de l’UMP. Et pour les précédents, les traces existent bel et bien.
Le conseil municipal du 28 novembre dernier a ainsi donné lieu à une discussion d’une rare violence à l’égard des Roms, mais également des gens du voyage installés sur le parking d’une entreprise. « C’est rempli de caravanes et de tout ce qui s’ensuit, explique le maire de Champlan. On a fait valoir le fait que s’il y avait un péril imminent, un départ de feu ou quoi que ce soit, non seulement ils étaient tous grillés, mais aussi bien les gens du voyages que les stocks de Tang Frères et tout ça. Y en a pour plusieurs millions d’euros. »
Le débat enchaîne sur « le problème des Roms à Champlan ». Christian Leclerc multiplie alors les propos discriminatoires à l’égard de cette communauté, parlant de « Moyen Âge » et accusant la puissance publique de mensonge : « On nous cache des choses. » Tous les fantasmes sont alimentés : le maire parle de « rats gros comme ça » qui rôderaient dans le bidonville et explique au sujet des Roms qu’« on les voit partout, dans les transports publics, aussi bien RATP que dans le bus Europe Essonne, aussi bien à l’école de la Butte, ils sont partout ».
Un conseiller municipal de la majorité ajoute lui aussi de l’eau au moulin à préjugés : « Avant hier, je suis passé au camp, y avait des 4×4 BMW qui étaient garés dans le camp, je voudrais bien savoir comment ils ont bien pu récupérer de l’argent, enfin y a quelque chose qui m’échappe à ce niveau. » Sur un ton plus proche de la discussion de comptoir que du débat municipal, le maire s’emploie à monter tout le monde (État, élus locaux, Agence régionale de la santé, enseignants, parents d’élèves…) les uns contre les autres.
Les enfants roms scolarisés « au milieu des petits Champlanais et petites Champlanaises qui eux prennent une douche tous les matins » sont directement pris pour cible. Ils « sont hyper couvés par l’éducation nationale », regrette encore Christian Leclerc : « C’est comme si on avait l’impression que pour les instits, c’était plus intéressant de s’occuper des enfants roms que des enfants champlanais. » Lui ne souhaite qu’une seule chose : que la communauté soit définitivement expulsée de sa commune. Pour aller où ? « Ça, c’est pas mon problème du tout », tranche-t-il.
Les esprits s’échauffent autour de la table. Une conseillère municipale de l’opposition prend la parole et se dit « choquée » par la situation. « Ça me choque dans les deux sens. Ça me choque effectivement parce qu’il y a les enfants de la commune et il y a quand même un risque de sécurité et sanitaire… Mais ça me choque aussi que… Bon, qu’est-ce qu’on en fait, quoi ? »
Quelques jours avant ce conseil municipal, le maire de Champlan s’était publiquement adressé à ses 2 700 administrés pour se plaindre des « conditions d’hygiène » dans ce qu’il appelle les « camps » où vivent ces personnes démunies. Faisant peu de cas du secret médical, et quitte à nourrir l’inquiétude, il a désigné cette communauté à la vindicte populaire en rendant publiques des informations qui auraient dû rester confidentielles selon l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France.
Dans un « avis » que les Champlanais – tout du moins ceux qu’il considère comme tels – ont reçu dans leur boîte aux lettres, Christian Leclerc évoque le cas d’un enfant « appartenant à la communauté rom » porteur d’un bacille de tuberculose ainsi que de « multiples cas de gale dans les écoles ». Alarmiste, il assure que la « situation sanitaire actuelle » est « très préoccupante » et même « ingérable ». Et il interpelle la puissance publique sur cette « véritable situation d’urgence sanitaire ». Jugeant la procédure d’expulsion en cours trop lente, il en appelle implicitement au préfet pour qu’il intervienne promptement et démantèle les habitations précaires. L’appel aux CRS plutôt qu’à une meilleure prise en charge sanitaire de l’enfant : la dénonciation d’un cas supposé de tuberculose lui paraît un prétexte acceptable pour exiger le recours aux forces de l’ordre.
Alors même qu’il a été informé par les autorités compétentes que l’enfant en question fait l’objet d’un suivi à l’hôpital et qu’il n’est pas contagieux, le maire de Champlan a demandé à ses services de « désinfecter à plusieurs reprises » le car municipal ainsi que les locaux scolaires tels que la cantine et le dortoir. Il a entretenu un climat de peur obligeant à la fois les services de santé de l’État et l’inspection de l’éducation nationale à intervenir pour rassurer la population et mettre fin à la stigmatisation.
Michel Huguet, le délégué territorial de l’Essonne, s’adresse ainsi vertement à Christian Leclerc au nom de l’ARS dans un courrier en date du 28 novembre. Il l’enjoint tout d’abord de « respecter le secret médical », avant de marteler que l’enfant, s’il est infecté, ne peut être considéré ni comme malade, ni comme contagieux. Grâce au traitement qu’il reçoit, les bacilles de Koch, bactéries responsables de la tuberculose, restent « endormies » selon la terminologie médicale.
« Le service de pédiatrie de l’hôpital d’Orsay assure le suivi de cet enfant amené régulièrement par ses parents. Ce suivi permet de confirmer que l’observance du traitement est parfaite », insiste-t-il. En réponse au maire qui affirme agir pour « protéger les habitants », Michel Huguet indique qu’une réunion a été organisée dans le groupe scolaire de la Butte le 20 novembre afin de « rassurer » les enseignants et les parents. « Il a été souligné qu’une tuberculose latente ne nécessite pas d’éviction scolaire du fait de sa non contagiosité et ne représente en aucun cas un risque sanitaire pour la population qui fréquente les écoles ou qui peut être en contact avec cet enfant. » Concernant la gale, « un seul cas » a été signalé. Et pas chez un Rom, mais « chez une animatrice périscolaire ». « Aucun autre cas n’a été signalé dans les deux structures scolaires et les suspicions n’ont pas été confirmées par les médecins. »
Le courrier du maire n’en a pas moins fait son effet. Il a semé le trouble, voire la panique, parmi les riverains, les animateurs, dont certains ont souhaité faire valoir leur « droit de retrait », et les parents d’élèves au point que l’inspection de l’éducation nationale a dû se fendre d’une mise au point collée dans les cahiers de correspondance. « Vous avez été destinataires (…) d’un avis distribué par les animateurs à vos enfants à la sortie des écoles. Ce texte peut prêter à confusion et générer de l’inquiétude dans les familles. Il apparaît donc nécessaire de clarifier les faits et de vous donner les éléments pour comprendre la situation en toute rationalité », écrit l’inspectrice Martine Degorce-Dumas.
Elle aussi rappelle que l’enfant n’est pas malade et, à propos de la gale, elle souligne qu’« il y a des règles d’hygiène ordinaire à respecter mais aucune désinfection à grande ampleur n’est utile ». « L’École est un lieu de vie collective où s’apprennent les valeurs de la République. Parmi celles-ci, la tolérance et le respect d’autrui », appuie-t-elle. Le maire de Champlan attise les peurs à propos des Roms, mais pas seulement. L’environnement n’est pas un simple axe de campagne, « il s’en sert pour affoler les habitants, explique son opposant socialiste Jean-François Castell, il a fait des communiqués épouvantables sur le sujet, on avait l’impression qu’on allait tous mourir ».
Les foudres médiatiques se sont abattues sur Christian Leclerc, mais le maire de Wissous n’est pas non plus considéré localement comme un “ami des Roms”. « Il n’a pas fait procéder à des expulsions parce que son prédécesseur s’en était chargé », ironise Serge Guichard, de l’Association de solidarité en Essonne avec les familles roumaines et roms (Asefrr), qui note qu’il s’est lui aussi rendu coupable de discrimination non pas à l’égard de cette population… Mais de femmes portant le voile en leur interdisant l’accès, l’été dernier, à la piscine municipale – un règlement suspendu depuis par la justice.
BOITE NOIRENous avons essayé de joindre Christian Leclerc à la mairie de Champlan, le lundi 5 janvier. Pour l'heure, ni lui ni le responsable de la communication n'ont retourné notre appel.
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