Il est habituellement très difficile, pour ne pas dire impossible, de pénétrer dans les coulisses du capitalisme parisien, et d'être à même d'observer par le menu comment les grands de ce monde – hauts fonctionnaires, politiques, financiers, banquiers, avocats, lobbyistes, patrons de presse – peuvent parfois s’entendre et prendre langue entre eux, dans une étrange et formidable consanguinité, et parfois même au mépris des règles de l’État de droit.
De ce mélange des genres, de ces stupéfiants conflits d’intérêts, entre mondanités parisiennes et vie des affaires, on ne connaît le plus souvent qu’une version édulcorée ou romancée, celle que la littérature a laissé parfois entrevoir. À la manière de Splendeurs et misères des courtisanes, le roman d’Honoré de Balzac. Mais on peine à deviner que la réalité dépasse parfois la fiction.
Et pourtant, c’est le cas. Et c’est l’immense intérêt des investigations judiciaires qui ont été conduites autour de l’affaire Pérol : outre les dysfonctionnements de la justice, qui ont fait l’objet du premier volet de notre enquête (lire Affaire Pérol : quand la justice se libère de ses entraves 1/3), elles permettent aussi d’entrer dans les lieux de pouvoir où l’on n’accède d’ordinaire jamais : à la lisière entre les sommets de l’État et les cercles dominants de la haute finance ; dans le cœur même du capitalisme de connivence à la française. Et ce zoom indiscret dans le « QG » du capitalisme endogame français permet au passage de mieux cerner les charges que la justice pourrait retenir contre François Pérol.
Si cette plongée au cœur même du capitalisme français est possible, c’est parce que le juge Le Loire a d’abord été le destinataire de courriers anonymes retraçant des échanges d’e-mails sur une très longue période, entre de très nombreux protagonistes de notre histoire. À Mediapart, nous avions aussi été informés de l’existence de ces mails, mais ne sachant pas dans un premier temps comment la justice allait les apprécier, nous n’en avions fait qu’une brève mention à l’occasion de l’une de nos enquêtes dès le 31 janvier 2011 (lire La justice va décider si l’affaire Pérol sera ou non étouffée).
Vérification faite, ces échanges de mails – tantôt cocasses, tantôt stupéfiants – figurent bel et bien dans le dossier d’instruction du juge Roger Le Loire, qui s’est appliqué à vérifier s’ils confirmaient ou non l’implication directe de François Pérol dans les dossiers des Caisses d’épargne et des Banques populaires. Ce sont même ces mails qui ont visiblement servi au magistrat de fil conducteur pour conduire ses investigations, et lui permettre d’arriver à la conviction que François Pérol ne s’est pas borné à éclairer Nicolas Sarkozy sur les décisions qu’il devait prendre, mais qu’il a réellement exercé l’autorité publique sur les deux banques dont il a pris ultérieurement la présidence. Ces mails ont aussi souvent servi de trame à la police judiciaire pour conduire les auditions de témoin voulues par le magistrat. Et, dans la foulée, ce sont ces mêmes mails qui éclairent sous un jour cru les ressorts du fonctionnement du capitalisme parisien.
Une bonne partie de ces mails ont pour émetteur ou pour destinataire un avocat, Me François Sureau, qui joue dans cette histoire des Caisses d’épargne et de l’affaire Pérol un rôle singulier – comme on l’a vu, son bureau a d’ailleurs fait l’objet d’une perquisition dans le cadre de l’enquête judiciaire autour de l’affaire Pérol et il a lui-même été entendu comme témoin. Avocat des Caisses d’épargne du temps de Charles Milhaud, il est ensuite devenu l’avocat de François Pérol.
Très proche ami d’Alain Minc, François Sureau l’a accompagné et assisté par le passé dans beaucoup de ses joutes au sein des arcanes complexes du capitalisme parisien. Il a ainsi été à ses côtés quand, à la fin des années 1980, il a piloté la désastreuse OPA lancée par Cerus, la filiale de Carlo de Benedetti, sur la Société générale de Belgique, une OPA qui a bien failli ruiner l’industriel italien.
En ce mois de janvier 1988, quand Alain Minc pilote cette OPA qui indigne à l’époque toute la Belgique, François Sureau est en effet son adjoint. Arrogant, plastronnant à l’hôtel Hilton de Bruxelles où il a réquisitionné les trois derniers étages pour établir ses quartiers, Alain Minc assure jour après jour qu’il est en train de gagner la partie – alors qu’il organise une débâcle. Physiquement, Alain Minc n’est pourtant même pas présent en permanence à Bruxelles. Alors que tout l’avenir du jeune empire Benedetti s’y joue, il arrive en jet privé dans la capitale belge le lundi matin, et en repart le plus souvent le soir même, laissant derrière lui son adjoint, François Sureau. Dans cette catastrophe, qui a fait perdre pas loin de 800 millions d’euros à l’industriel italien, tout a été emporté. Cerus a sombré. Et il n’est resté qu’une indéfectible amitié entre Alain Minc et François Sureau. C’est ainsi qu’on les retrouve, longtemps plus tard, dans l’entourage du patron des Caisses d’épargne.
Me François Sureau est ainsi réputé de longue date pour exercer ses talents à la lisière du droit et de la vie des affaires. Il n’est d’ailleurs pas le seul à se livrer à ce délicat exercice d’équilibre. À l’époque, le cabinet dans lequel il travaille a pour figure principale Me Jean-Michel Darrois, un autre ami très proche d’Alain Minc, qui a aussi participé à la calamiteuse aventure de l’OPA sur la Société générale de Belgique. Jean-Michel Darrois est l’avocat de nombreux grands patrons du CAC 40, mais ne dédaigne pas lui-même de participer un peu plus directement à la vie des affaires. Ainsi, quand Nicolas Sarkozy n’avait pas encore décidé, au lendemain de 2012, s’il se relancerait ou non dans la vie politique, Alain Minc avait commencé à travailler pour son compte afin de créer un gigantesque fonds d’investissement ayant l’ambition de rassembler 1 milliard d’euros d’actifs. Me Darrois apparaissait dans les documents secrets préparatoires, révélés par Mediapart (lire Sarkozy veut créer un fonds d’investissement et Le business plan secret de Sarkozy et Minc). Dans la dernière de ces deux enquêtes, nous avions même révélé le business plan confidentiel de ce fonds baptisé Columbia Investment Company (business plan qui peut être consulté ici). Or dans ce document secret figurait la liste envisagée des membres du Comité d’investissement du fonds, originaires de différents pays européens ; et les deux Français pressentis pour siéger dans ce comité d’investissement étaient les deux amis, Alain Minc et Jean-Michel Darrois.
Suivant l’exemple de celui avec lequel il travaille, Me Sureau joue donc un rôle charnière, dès 2002, quand notre histoire commence. Un rôle polyvalent comme y excelle Jean-Michel Darrois : il exerce son métier d’avocat, mais il fait aussi office de lobbyiste, d’intercesseur, exactement comme Alain Minc.
Il est en effet l’avocat des Caisses d’épargne, dirigées à l’époque par Charles Milhaud ; lequel Charles Milhaud a pris secrètement comme conseil Alain Minc, l’éminence grise du capitalisme parisien et proche de Nicolas Sarkozy ; lequel Alain Minc a suggéré à Charles Milhaud de prendre pour numéro deux l’un de ses poulains, Philippe Wahl (qui depuis est devenu patron de La Poste).
Pour tous ces amis, qui ont longtemps défendu (hormis Philippe Wahl) la cause d’Édouard Balladur et qui se sont ralliés ensuite à son dauphin, Nicolas Sarkozy, l’alternance de 2002 est des plus heureuses. Ils se réjouissent d’autant plus du retour aux affaires de la droite qu’un autre ami de la même mouvance, François Pérol, proche aussi d’Alain Minc, quitte alors la direction du Trésor et devient directeur adjoint du cabinet du nouveau ministre des finances, Francis Mer, occupant donc désormais une place centrale à Bercy. Me Sureau devient alors le « passeur », celui qui fait les va-et-vient entre Charles Milhaud, Philippe Wahl et Alain Minc d’un côté ; et François Pérol de l’autre. C’est cela qui transparaît de ces mails et qui intriguera la police judiciaire : Me Sureau fait beaucoup plus que le travail habituel d’un avocat d’affaires, chargé de s’assurer de la validité juridique d’un « deal » financier. C’est lui-même qui va à Bercy pour construire ces « deals », pour en plaider la nécessité auprès des hauts fonctionnaires qu’il connaît, et tout particulièrement auprès de François Pérol, qui est un ami proche.
Pour tous ces amis, la configuration politique devient alors hautement favorable. Car ils caressent pour les Caisses d’épargne de grands projets : contribuer à ce qu’elles se désarriment progressivement de la Caisse des dépôts en emmenant avec elles le plus grand nombre d’actifs possibles ; qu’elles se banalisent ou rompent progressivement avec leurs racines mutualistes ; en somme, qu’elles deviennent une grande banque comme toutes les autres ; une grande banque privée…
Dès le lendemain du second tour des élections législatives, qui offre à Jacques Chirac une majorité à l’Assemblée nationale, le lundi 10 juin 2002 à 17 h 15, Me Sureau envoie ainsi un mail à Charles Milhaud – c’est le premier mail qui a intrigué le magistrat instructeur. Dans ce mail, l’avocat raconte qu’il vient de rencontrer François Pérol et que celui-ci est déterminé à prendre à bras le corps le dossier des Caisses d’épargne.
Le 10 octobre 2002, François Sureau relance François Pérol et lui demande s’il peut venir le voir – seul ou accompagné d’un dirigeant de la banque – pour parler avec lui de ce projet qu’ils caressent ensemble sur les Caisses d’épargne. Demande de rendez-vous que François Pérol s’empresse d’accepter, tout en priant François Sureau de venir seul.
Concrètement, un dossier très particulier occupe tout ce groupe d’amis et va mobiliser l’énergie de François Pérol pendant plusieurs années : il s’agit du dossier Ixis. Quand Francis Meyer (décédé depuis) devient directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) en décembre 2002, il se trouve en effet confronté à une situation d'extrême tension avec Charles Milhaud, le patron de la Caisse nationale des caisses d'épargne (CNCE), qui veut prendre le contrôle de la structure commune, la banque Ixis, créée par la CDC et la CNCE.
Pour trouver une porte de sortie, Francis Meyer accepte donc d'abandonner le contrôle d'Ixis à la CNCE et en contrepartie la CDC devient l'actionnaire stratégique des Caisses d'épargne à hauteur de 35 % et négocie un pacte d'actionnaires qui lui donne un fort droit de regard sur les grandes décisions de l’Écureuil.
Le temps passe, et la configuration politique évolue. À la faveur d’un remaniement ministériel, en avril 2004, Nicolas Sarkozy devient ministre des finances, et garde à ses côtés François Pérol en qualité de directeur adjoint de cabinet. Dans un mail en date du 3 avril 2004, François Sureau résume pour Charles Milhaud ce qu’il pense de la situation : selon lui, elle leur est formidablement favorable. L’avocat vient en effet d’apprendre que François Pérol a renoncé à son projet de rejoindre la banque Rothschild et qu’il restera donc, pour eux, un interlocuteur privilégié, à Bercy, aux côtés de Nicolas Sarkozy. Mieux que cela ! Me Sureau a une autre bonne nouvelle à annoncer à son client : par l’intermédiaire de la figure de proue de son cabinet, Me Jean-Michel Darrois, qui est un intime de Nicolas Sarkozy et de son proche ami Martin Bouygues, il est parvenu à faire savoir en haut lieu qu’il serait opportun de garder au cabinet de Bercy un autre haut fonctionnaire, Luc Rémont, autre membre du cabinet de Francis Mer, qui deviendra en 2007 l’un des directeurs de Merrill Lynch, une banque qui travaille, entre autres, pour… les Caisses d’épargne. Pour François Sureau, la cooptation de Luc Rémont dans le cabinet de Nicolas Sarkozy est la bienvenue, car lui aussi est un familier des dossiers de la banque et il a le contact facile avec lui.
Un mois plus tard, le 3 mai 2004, le même François Sureau adresse un nouveau mail à Charles Milhaud, dans lequel il évoque la négociation du pacte d’actionnaires qui va lier les Caisses d’épargne à son principal actionnaire, la Caisse des dépôts et consignations, au terme du conflit autour d’Ixis. Un mail qui retiendra longtemps plus tard l’attention de la police judiciaire car il vient confirmer que François Pérol est celui, au cabinet de Nicolas Sarkozy à Bercy, qui supervise le dossier des Caisses d’épargne et exerce sur elles l’autorité publique. Dans ce mail très long, Me Sureau détaille certaines modalités de ce pacte et conclut qu’il faut bien s’assurer de l’accord de François Pérol sur la rédaction prévue du pacte.
La suite de l’histoire, les mails ne la font pas apparaître pour les trois années d’après, mais dans des enquêtes antérieures, Mediapart l’a déjà méticuleusement établie (lire en particulier Douze questions que Mediapart aimerait poser à François Pérol). À la fin de l’année 2004, Nicolas Sarkozy quitte Bercy pour devenir ministre de l’intérieur. Et François Pérol, lui, fait le choix de devenir associé gérant de la banque Rothschild. À l’époque, il est donc dans l'obligation de passer devant la commission de déontologie – obligation qui sera supprimée en 2007, une réforme ayant rendu la saisine de cette commission facultative.
Le 22 décembre 2004, la commission rend donc son verdict au sujet de François Pérol. Elle l'autorise à devenir associé gérant de la banque Rothschild, mais à la condition de ne pas gérer dans les trois années suivantes (donc en 2005, 2006 et 2007) des dossiers qu'il a eus à connaître à Bercy. Cet avis (numéro 04.A0826) figure à la page 108 du rapport pour 2004 de la commission de déontologie (document PDF que l'on peut télécharger ici) : « Un conseiller au cabinet du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, précédemment chef du bureau "endettement international et assurance crédit" à la direction du Trésor, peut exercer une activité d'associé gérant au sein d'un département d'une banque d'affaires sous réserve qu'il s'abstienne de traiter toute affaire dont il a eu à connaître dans ses fonctions à la direction du Trésor et au cabinet du ministre, ainsi que de conseiller la direction du Trésor. »
Or, quelle est la principale activité de François Pérol pendant l'année 2006 ? Devenu associé gérant de Rothschild, il devient le banquier conseil des Banques populaires pour les aider à marier leur filiale Natexis avec une filiale de la CNCE, dénommée… Ixis, en vue de créer une nouvelle banque d'investissement, baptisée Natixis. En clair, François Pérol fait exactement ce que la commission de déontologie lui a interdit de faire : s'occuper du dossier des Caisses d'épargne et d'Ixis.
Selon l'enquête de Mediapart, ce n'est pas lui le véritable initiateur du projet. C'est le patron de la banque, David de Rothschild, qui est ami avec Phlippe Dupont, le patron des Banques populaires : tous deux chassent ensemble. Mais très vite, David de Rothschild passe la main à sa recrue, François Pérol, qui est ensuite épaulé dans l'opération par une autre grande figure de la banque, François Henrot.
À l’époque où nous avions mené cette enquête, nous avions même donné une évaluation des gains personnels que François Pérol avait perçus du fait de son implication comme associé gérant chez Rothschild dans le dossier Natixis en 2006 : de 1,5 à 2 millions d’euros (lire Natixis : les fabuleux honoraires de François Pérol).
Puis, à partir de 2007, de nouveaux mails viennent éclairer le rôle de François Pérol, qui officie désormais à l’Élysée comme secrétaire général adjoint. Sa mission, telle qu’il la conçoit, est-elle seulement d’éclairer les choix du nouveau président de la République, ou entend-il peser lui-même sur certains choix économiques et exercer l’autorité publique sur certaines banques ? Un premier mail de François Sureau à Charles Milhaud, en date du 29 mai 2007, juste quelques jours donc après la victoire de Nicolas Sarkozy, suggère clairement que la seconde hypothèse est la bonne. Dans ce mail, l’avocat raconte en effet qu’il vient de rencontrer longuement François Pérol et que ce dernier semble disposé à apporter son appui à une très grande opération engageant l’avenir des Caisses d’épargne, opération qui pourrait aller jusqu’à une « démutualisation totale ou partielle ». Ce mail est le seul que nous avions dans le passé déjà évoqué (lire La justice va décider si l’affaire Pérol sera ou non étouffée) et c’est sans doute, pour François Pérol, l’un des plus embarrassants.
Si François Pérol devait être renvoyé en correctionnelle – comme c’est probable –, ce mail risque en effet de prendre une grande importance. Car il constitue un indice, parmi de nombreux autres, que François Pérol n’a pas seulement éclairé le chef de l’État sur l’onde de choc de la crise financière qui commence au même moment et son impact sur les Caisses d’épargne. Non, pour cette banque, il caresse un projet très particulier, celui d’une « démutualisation ». Il s’agit, en somme, de transformer l’établissement en une banque privée ordinaire. Véritable chiffon rouge dans l’univers mutualiste, ce projet suggère que François Pérol a donc une vision bien à lui de l’avenir des Caisses d’épargne.
Dès qu’il a vent que l’Élysée caresse ce sulfureux projet, le patron des Caisses d’épargne, Charles Milhaud, qui lui-même a le projet caché de rapprocher le plus possible son établissement du monde de la finance privée, trépigne d’impatience et presse François Sureau de venir le voir au plus vite pour lui raconter en privé ce que François Pérol a dans la tête.
Au même moment, un autre mail de François Sureau à Charles Milhaud vient confirmer que le véritable centre de commandement de la politique économique française, c’est à l’Élysée qu’il se situe, et que François Pérol en est la tête de proue. Cette fois, c’est certes d’un autre dossier dont il s’agit, celui de la CNP. Le patron des Caisses d’épargne rêve de dépouiller la Caisse des dépôts de sa participation dans le groupe public d’assurances, et François Sureau lui explique que c’est encore une fois par François Pérol qu’il faut inévitablement passer pour obtenir gain de cause.
Le 5 juin 2007, François Sureau envoie ainsi un mail à Charles Milhaud. Il lui raconte qu’il vient encore une fois de rencontrer François Pérol et qu’il s’est entretenu avec lui du dossier de la CNP et des visées sur elle des Caisses d’épargne. Le mail s’arrête sur de nombreux détails, mais c’est surtout le sentiment qui s’en dégage qui est important : le propos de l’avocat fait clairement comprendre que François Pérol a la haute main sur la décision publique et que c’est lui qu’il faut convaincre.
Dans cette correspondance, François Pérol apparaît donc clairement comme celui, au sein de l’État, qui est à même de prendre les décisions les plus importantes, et si les Caisses d’épargne souhaitent mettre la main sur la CNP – elles n’y parviendront finalement pas –, elles savent que la clef de la décision, c’est François Pérol qui la détient. Le ministère des finances n’est pas même évoqué, comme s’il n’avait pas droit à la parole.
Mais dans leurs longues investigations pour percer les mystères de l’affaire Pérol, les policiers ne se sont pas intéressés qu’aux mails échangés par François Sureau, François Pérol et Charles Milhaud. D’autres mails sont aussi tombés entre leurs mains, qui les ont tout autant intéressés. Dans les premières semaines du quinquennat de Nicolas Sarkozy, Charles Milhaud reçoit ainsi d’autres conseils par mail, que lui adresse par exemple Jean-Marie Messier. Sarkozyste bon teint lui aussi, il a été embauché comme banquier d’affaires par Charles Milhaud, pour l’aider en certaines missions ou lui ouvrir des portes dans les sommets du pouvoir.
Or, là encore, dans les correspondances électroniques entre les deux hommes, qui parviendront ultérieurement entre les mains de la justice, transparaît le fait que François Pérol est un passage obligé pour toutes les grandes décisions. Dans plusieurs mails, l’un du 25 juin 2007, l’autre du 27 juin, Jean-Marie Messier évoque ainsi le projet de création d’un grand pôle de presse et de télévision dans le sud de la France – projet qui intéresse les Caisses d’épargne –, et à chaque fois, il fait comprendre que toute décision passera par François Pérol.
Dans un autre mail, le 23 septembre 2007, Jean-Marie Messier, qui est chargé lui aussi de plaider auprès de François Pérol la cause des Caisses d’épargne dans le dossier de la CNP, rend compte de ses démarches auprès de son interlocuteur à l’Élysée, et il a une formule qui laisse entendre que c’est François Pérol qui décide de tout.
Mis bout à bout, tous ces mails sont donc autant d’indices qui font clairement apparaître que François Pérol n’a pas un rôle habituel de conseiller à l’Élysée, mais qu’il occupe une véritable fonction de commandement au sommet de l’État. Dans un procès-verbal établi par une commissaire de la Division nationale d’investigations financières et fiscales (DNIFF), en date du 16 novembre 2012, ces mails ont d’ailleurs fait l’objet d’une analyse. Leurs extraits les plus significatifs sont ainsi passés en revue avec à chaque fois, en gras, les citations les plus importantes révélant le rôle central de François Pérol, omniprésent dans tous les dossiers qui concernent les Caisses d’épargne.
En bref, ce sont bel et bien ces mails, parvenus fortuitement sur le bureau du juge d’instruction, qui risquent de contribuer au renvoi de François Pérol devant un tribunal correctionnel, afin d'y être jugé pour prise illégale d’intérêt.
Bientôt, le troisième volet de notre enquête : quand un banquier passe aux aveux (3/3)
BOITE NOIREDepuis 2008, Mediapart a consacré pas loin de 150 enquêtes à la crise des Caisses d'épargne puis à l'affaire du pantouflage de François Pérol, qui a conduit à sa mise en examen pour prise illégale d'intérêt. À l'origine de très nombreuses révélations, nous avons fait l'objet de onze plaintes en diffamation, avec constitution de partie civile, de la part de l'ancienne direction des Caisses d'épargne emmenée par Charles Milhaud, à la suite de quoi François Pérol a ajouté une douzième plainte, après que nous avons révélé qu'il quittait l'Élysée pour prendre la direction de cette banque dans des conditions controversées. Edwy Plenel, en qualité de directeur de la publication de Mediapart, et l'auteur de ces lignes en qualité d'auteur des enquêtes ont donc été mis en examen à l'époque à douze reprises.
Mais finalement, à quelques jours du procès, les plaignants ont redouté la confrontation judiciaire au cours de laquelle nous entendions établir la véracité des faits et l'honnêteté de notre travail, et ont retiré leurs plaintes. Pour finir, Mediapart a donc engagé contre eux une procédure pour poursuites abusives et a obtenu réparation. On trouvera un compte rendu de cette confrontation judiciaire notamment dans ces deux articles : Mediapart gagne son procès contre les Caisses d'épargne et Caisses d'épargne : un jugement important pour la liberté de la presse.
Cette histoire des Caisses d'épargne croise aussi la mienne. C'est à la suite de la censure d'un passage de l'une de mes enquêtes sur les Caisses d'épargne, du temps où j'étais éditorialiste au Monde, que j'ai pris la décision à la fin de 2006 de quitter ce quotidien. À l'époque, j'avais cherché à comprendre les raisons de cette censure et j'avais découvert que le président du conseil de surveillance du Monde, Alain Minc, était aussi secrètement le conseil rémunéré du patron des Caisses d'épargne, auquel il demandait par ailleurs des financements pour renflouer Le Monde. J'ai raconté l'histoire de cette censure au début de mon livre Petits conseils (Stock, 2007), et dans la vidéo suivante : Pourquoi je rejoins Mediapart.
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