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Pourquoi il faut supprimer la Cour de justice de la République

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Juridiction d’exception s’il en est, la Cour de justice de la République (CJR) offre de nouveau à voir, de façon éclatante, ce qu’elle a toujours été depuis sa création : une usine à gaz désuète, et même, pour tout dire, une anomalie démocratique. Cette juridiction qui, depuis vingt ans, est seule habilitée à poursuivre et à juger les ministres (et anciens ministres) pour des crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions, vient à nouveau de montrer ses limites dans deux dossiers emblématiques, les affaires Éric Woerth et Christine Lagarde. Or, sa suppression n’étant plus à l’ordre du jour, il est à craindre que la CJR traite encore nombre de scandales politico-financiers de façon très discutable dans les années qui viennent. Car si la CJR croule sous les critiques depuis qu’elle existe, un examen attentif des dossiers qu’elle a traités montre que ces reproches sont fondés.

Capture d'écranCapture d'écran
  • Le dossier Éric Woerth ? Enterré

Dans l'affaire de la cession par l’État de l’hippodrome et des terrains forestiers de Compiègne, les magistrats de la commission d’instruction de la CJR, présidée par Michel Arnould, viennent de rendre un non-lieu en faveur d’Éric Woerth le 11 décembre 2014. Ces trois magistrats (voir ici la composition de la commission d’instruction) ont donc estimé qu’il n’y avait pas de charges suffisantes pour reprocher un délit de « prise illégale d’intérêts » à l'ex-ministre du budget, qu’ils s’étaient d’ailleurs contentés de placer sous le statut de témoin assisté dans cette procédure. En substance, ils ont estimé qu’Éric Woerth n’avait pas agi par intérêt personnel ou politicien, mais dans celui de l’État. Dont acte.

Eric WoerthEric Woerth © Reuters

Il reste, au vu du dossier dont Mediapart a pu prendre connaissance, que rien n'était normal, dans la vente de l'hippodrome et des terrains forestiers. D'abord, le ministre du budget a cédé un bien de l’État qui était inaliénable, accédant à une demande (formulée par la Société des courses de Compiègne) qui avait auparavant été refusée pour ce motif précis par plusieurs ministres de l‘agriculture. Il demeure également qu’Éric Woerth a décidé cette cession en toute hâte, et à la demande de certains de ses amis politiques de son département de l'Oise. Et, surtout, il reste que l’hippodrome et les terrains forestiers, situés dans un site exceptionnel, tout proche du château de Compiègne, ont bel et bien été bradés : vendus 2,5 millions, ils valaient 8,3 millions au bas mot, selon un volumineux rapport remis par trois experts à la CJR, et que Mediapart a révélé en 2012. Les experts soulignant, au passage, les risques de déboisement pour l'avenir si la Société des courses de Compiègne devenait propriétaire des terrains forestiers.

Les arguties juridiques, ainsi que les arguments de défense d'Éric Woerth, l'ont donc emporté. L'une des raisons de ce fiasco judiciaire réside dans le fait que l’instruction portant sur le volet non-ministériel de cette affaire, menée parallèlement par les juges René Grouman et Roger Le Loire, et qui devait également nourrir l’enquête de la CJR par échanges de PV réciproques, n’a pas donné grand-chose. Les prudences et les lenteurs précautionneuses se sont manifestées de toute part : à l'origine, c'est le parquet de Paris qui avait traîné des pieds avant d’ouvrir une information judiciaire, et une année a été perdue en enquête préliminaire. Mais après cela, les deux juges d’instruction désignés n’ont pas forcé leur talent, et ils se sont contentés de faire le strict minimum dans ce dossier.

Autre point d'achoppement : selon certains juristes, la qualification retenue (la prise illégale d’intérêts) par la CJR pour enquêter sur le rôle d'Éric Woerth était discutable dès le départ. Il aurait été possible de viser une qualification d’« abus d’autorité », par exemple, mais cette infraction n’est quasiment jamais poursuivie dans les tribunaux, et la voie semblait très étroite. Il était tout aussi envisageable de poursuivre un délit de « favoritisme » : c'est justement ce qu’avait requis l’avocat général devant la commission des requêtes de la CJR, au tout début du dossier.

Mais les deux conseillers d’État qui siègent au sein de la dite commission des requêtes s'y étaient opposés, au motif (juridique) que la cession d’un bien (ou d’une forêt domaniale) n’est pas un marché public, et qu'un appel d'offres n'était pas obligatoire dans ce cas d'espèce. Argument discutable. La preuve, un changement de législation sur ce point précis, visant à rendre les poursuites plus efficaces, vient d’être soumis à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HAT), dans le cadre de la mission « exemplarité » qu'elle conduit actuellement.

Difficile à caractériser, la prise illégale d'intérêt dont Éric Woerth était soupçonné n'a, quoi qu'il en soit, donné lieu qu'à une enquête très « soft » de la commission d'instruction de la CJR. Pire, alors que l'on pensait la mise en examen de l'ex-ministre du budget inéluctable, c'est son successeur à Bercy, un certain Jérôme Cahuzac, qui lui a donné un sérieux coup de frein.

Au lieu de faire annuler la cession de l'hippodrome et des terrains forestiers de Compiègne, comme le ministre (PS) du budget en avait la possibilité (et comme le demandait un syndicat de l'ONF, le Snupfen, rejoint par la suite par deux députés écologistes), Jérôme Cahuzac avait, tout au contraire, fait le choix étonnant de commander une étude juridique à une de ses relations, le professeur Terneyre.

Cette courte note concluait que la cession de l'hippodrome était légale... et elle fuitait opportunément dans la presse. « Cela a eu pour effet immédiat de congeler l’instruction, alors que la note Terneyre n'a été transmise par Bercy à la CJR qu’un an plus tard », confie une source proche du dossier. Les ardeurs – déjà très mesurées – des magistrats de la CJR ont, en tout cas, été refroidies.

  • L’affaire Christine Lagarde ? Rabotée

Dans l’affaire Christine Lagarde, là encore, les magistrats de la commission d’instruction de la CJR se sont montrés pour le moins frileux. Le dossier, un arbitrage arrangé permettant d'offrir 403 millions d'euros d'argent public à Bernard Tapie avec la bénédiction de l'État, avait pourtant démarré sur les chapeaux de roue. La CJR avait été saisie par un réquisitoire accablant du procureur général Jean-Louis Nadal, et la mise en examen de l’ex-ministre de l’économie semblait déjà acquise avant qu’elle soit nommée au FMI, en juin 2011.

Fait notable, dans cette affaire, et à la différence du cas d'Éric Woerth, les juges d’instruction chargés du volet non ministériel de l’affaire, Serge Tournaire, Guillaume Daïeff et Claire Thépaut, du pôle financier du Paris, n’ont pas renâclé à la tâche. Ils ont multiplié les actes d'instruction, aidant en cela la CJR, et ont procédé sans trembler à plusieurs mises en examen retentissantes : Bernard Tapie, Stéphane Richard, Maurice Lantourne, Pierre Estoup, Jean-François Rocchi et Bernard Scemama sont poursuivis pour « escroquerie en bande organisée ».

Mais la CJR, comme à son habitude, a procédé à des auditions courtoises et paisibles, pendant trois longues années, et, pour finir, a singulièrement allégé les soupçons qui pesaient sur Christine Lagarde. La commission d‘instruction, qui était saisie de faits de « complicité de détournement de fonds publics », s’est finalement contentée de reprocher à l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy un délit non intentionnel : la « négligence ». Une broutille. Comme si Christine Lagarde avait malencontreusement égaré un sac contenant 403 millions d’euros...

Christine LagardeChristine Lagarde © Reuters

Il est à noter que la commission d'instruction de la CJR ne retient, avec la « négligence », qu'un délit somme toute assez modeste (et rarement invoqué) contre Christine Lagarde, alors que celui de « complicité de détournement de fonds publics », initialement visé par la commission des requêtes, est puni par une peine maximum de dix ans de prison et une amende d'un million d'euros (article 432-15 du Code pénal). Soit la même peine qu'encourent les mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » dans le volet non ministériel de ce même dossier – qui auront certainement quelques motifs de contester cette inégalité de traitement. Surtout Stéphane Richard, son ancien directeur de cabinet (actuel patron d'Orange), qui se retrouve chargé du plus mauvais rôle.

Or, dès le démarrage du dossier, il apparaissait pourtant que Christine Lagarde avait agi en connaissance de cause. Voici par exemple ce qu'écrivait en conclusion le procureur général Jean-Louis Nadal, quand il a saisi la commission des requêtes de la CJR en mai 2011: « L'ensemble de ces éléments, attestés dans les pièces figurant en annexe, peuvent être analysés comme des indices que madame la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, personne dépositaire de l'autorité publique, dans l'exercice de ses fonctions, a pris des mesures destinées à faire échec à la loi, en l'espèce celle prévoyant la structure de défaisance prévue pour apurer le litige Tapie/Adidas. »

Le procureur général Nadal ajoutait ceci : « Il apparaît, comme en témoignent le nombre et les nuances des notes répétées faites à son attention, tant au moment de la décision de recourir à un tribunal arbitral qu'à celui où le Crédit lyonnais est écarté du débat sur le processus arbitral, qu'à celui où une récusation des arbitres proposés est envisagée, ou à celui où le CDR est appelé à connaître de la sentence arbitrale, et enfin à celui où un recours en annulation est envisagé, que madame la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a constamment exercé ses pouvoirs ministériels pour aboutir à la solution favorable à Bernard Tapie que l'assemblée plénière de la Cour de cassation paraissait pourtant avoir compromise. »  

La commission des requêtes de la CJR s'était montrée plus sévère encore avec Christine Lagarde, dans la décision motivée en 12 points rendue en août 2011, et révélée par Mediapart, par laquelle elle se prononçait pour une saisine de la commission d'instruction pour des faits de « complicité de faux par simulation d'acte » et de « complicité de détournement de fonds publics ». Des délits beaucoup plus graves que l'abus d'autorité initialement pointé par le procureur général Nadal.

Mais voilà, menée sur un mode très feutré par des magistrats décidément peu offensifs, l'instruction de la CJR n'a pas bousculé Christine Lagarde, loin de là. Lors de ses auditions, l'actuelle patronne du FMI a même pu prendre quelques libertés avec les faits, comme l'a montré mon confrère Laurent Mauduit. Là encore, on a fait la part belle aux arguments de défense ministériels. Et tant pis pour les lampistes.

  • Une véritable usine à gaz

Les dysfonctionnements de la CJR ont d'abord des causes structurelles : « La Cour de justice de la République a été conçue pour ne pas fonctionner », confiait à Mediapart un haut magistrat désabusé qui a eu à y siéger.

Sa création a été décidée par une loi de révision constitutionnelle, impulsée par la droite, et adoptée le 27 juillet 1993. Mise sur pied début 1994, la CJR est née d’un traumatisme : celui de l’affaire du sang contaminé. Le retard dramatique pris par les pouvoirs publics dans la mise en œuvre de mesures préventives, dans les années 1980, avait entraîné de nombreuses contaminations par le virus du sida.

Ce scandale majeur est révélé en 1991. Médecins et scientifiques sont jugés par la justice ordinaire. Quant aux anciens ministres Laurent Fabius, Georgina Dufoix et Edmond Hervé, ils sont finalement renvoyés, en 1998, devant la formation de jugement de la CJR pour « homicides involontaires » (voir ci-dessous le journal de 20 heures de France 2).

Les voix des victimes et la peur de l’opinion publique ont pesé dans ce dossier. La droite, quant à elle, n'était pas trop fâchée de voir juger Laurent Fabius. Mais toutes tendances confondues, députés et ministres étaient surtout préoccupés par leur statut et leur avenir politique. Jaloux de leurs prérogatives, en mettant sur pied la CJR, ils conçoivent alors un système complexe, hybride, qui est censé mettre la politique à l’abri des plaintes partisanes, et empêcher la fameuse instrumentalisation de la justice.

Laurent FabiusLaurent Fabius © Reuters

Dans les faits, la CJR a essentiellement pour mérite (ou pour tare, selon les points de vue) d’épargner aux ministres les rigueurs de la justice ordinaire, celle des simples citoyens. Son architecture est celle d’une usine à gaz. Un premier filtre très efficace a été conçu pour écarter d’emblée les plaintes considérées comme fantaisistes, insuffisamment fondées, ou uniquement instrumentalisées à des fins politiques : il s'agit de la commission des requêtes, composée de caciques (trois magistrats de la Cour de cassation, deux conseillers d’État et deux conseillers de la Cour des comptes), qui effectuent un tri draconien. Environ une centaine de plaintes sont déposées chaque année, mais la plupart sont rejetées. Résultat, la CJR n’a jugé que quatre affaires depuis 1994.

Une fois passée à travers ce tamis de la commission des requêtes, une plainte sérieuse et argumentée peut, éventuellement, atterrir à la fameuse commission d’instruction de la CJR. Celle-ci est composée de trois magistrats du siège, issus de la Cour de cassation. Élus par leurs pairs, ce sont le plus souvent des magistrats en fin de carrière. Une fois en poste à la commission d'instruction de la CJR, ils font preuve de plus de sagesse que de curiosité dans leurs investigations.

Si, par extraordinaire, le ministre visé est mis en examen par la commission d'instruction, le parcours au sein de la CJR est loin d'être achevé : il faut encore attendre les réquisitions du parquet général de la Cour de cassation avant un éventuel renvoi devant la juridiction de jugement. À ce stade, l'accusation est pilotée par le procureur général près la Cour de cassation, un poste très politique.

Depuis 2011, le titulaire du poste, choisi par le CSM avec l'onction de Nicolas Sarkozy, est Jean-Claude Marin, un haut magistrat florentin et plutôt marqué à droite, malgré ses protestations de neutralité et d'impartialité. Dans les dossiers Éric Woerth et Christine Lagarde, en tout cas, le procureur général Marin n'a pas poussé les feux. Il a requis un non-lieu en faveur de l'ex-ministre du budget, et se montre très réservé sur les poursuites visant l'ex-ministre de l'économie.

Quand, enfin, aucune autre solution que la tenue d'un procès public n'a pu être trouvée à la CJR, les ministres concernés ne s'y rendent pas en tremblant de peur, loin de là. Huit ou dix ans de procédure ont passé, et ils vont être entendus poliment par leurs pairs. La formation de jugement de la CJR est en effet composée majoritairement de parlementaires (douze juges sur quinze, contre seulement trois magistrats professionnels). Ces parlementaires, anciens ou futurs ministres, ont déjà montré leur profonde réticence à juger l'un des leurs, lors du procès de Charles Pasqua, en 2010. L'incongruité du système est donc telle qu'à un bout de la chaîne, se trouvent des politiques complaisants et, à l'autre, des magistrats frileux.

« La CJR est une juridiction faite par des élus pour des élus », constatait avec franchise François Colcombet, ancien magistrat et ex-député PS, interrogé par Mediapart après la triste farce du procès Pasqua. « On puise dans un vivier beaucoup trop petit pour la constituer : les parlementaires connaissent l'homme qu'ils jugent ; ils ne peuvent pas ne pas en tenir compte. C'est le cas dans cette affaire… Je ne veux pas dire que c'est une juridiction de connivence, mais c'est l'équivalent d'un tribunal de commerce de petite ville, où les commerçants se connaissent tous et se jugent entre eux, avec tous les dangers que cela représente, notamment celui d'être exagérément bienveillant. Est-on sûr, dans le cas présent, que personne n'a jamais reçu de médaille du ministère de l'intérieur, du temps de Pasqua (de 1986 à 1988, puis de 1993 à 1995) ? En stricte justice, presque tous les parlementaires de la CJR auraient dû se déporter… »

  • Une litanie de désastres

Au terme d'une procédure qui s'apparente à une véritable course d'obstacles, les rares procès qui ont tout de même pu être organisés par la Cour de justice de la République ont laissé des souvenirs plus que mitigés. En 1999, pour ce qui est son premier rendez-vous public depuis sa création, la CJR juge trois anciens ministres dans l’affaire du sang contaminé (voir ci-dessous le reportage d'époque de FR3).

À l'issue des débats, Laurent Fabius (ex-premier ministre) et Georgina Dufoix (ex-ministre des affaires sociales) sont relaxés, Edmond Hervé (ex-secrétaire d'État à la santé) est pour sa part condamné pour « manquement à une obligation de sécurité ou de prudence », mais dispensé de peine. Cette décision, loin d’être infondée en droit, mais tardive et clémente, déclenche une nouvelle polémique sur l’irresponsabilité pénale des décideurs politiques.

Ségolène RoyalSégolène Royal © Reuters

Changement de genre l’année suivante : dans un accès de rigueur pour le moins surprenant, la CJR se met en tête de juger un ministre pour une petite affaire de diffamation ! Il s’agit de Ségolène Royal, visée par la plainte de deux enseignants en raison de propos qu'elle avait tenus publiquement sur le bizutage. Ridicule, l'affaire se termine par une relaxe, en 2000. Autant dire que le prestige et la crédibilité de la CJR ne s'en sont pas trouvés rehaussés.

La première affaire politico-financière jugée par la CJR, en 2004, concerne Michel Gillibert. Cet ancien hommes d’affaires, tétraplégique depuis un accident d’hélicoptère, avait été nommé secrétaire d’État aux handicapés sous François Mitterrand (de 1988 à 1993). Jugé tardivement, en 2004, après une longue instruction, Michel Gillibert doit alors répondre du détournement, à des fins politiques et personnelles, de 1,3 million d’euros de subventions.

Michel GillibertMichel Gillibert

L'ex-secrétaire d'État indélicat est finalement condamné à trois ans de prison avec sursis, 20 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité. L'ancienneté des faits et l'état de santé du prévenu, qui n'a pas pu assister à son procès, peuvent expliquer (pour partie) la mansuétude de la CJR. Malade, Michel Gillibert décède trois mois après le jugement.

Après six années de sieste (la commission d'instruction a encore pris tout son temps), la CJR siège à nouveau en 2010, avec le procès de Charles Pasqua. Bien qu'il doive répondre de faits graves, l'ex-ministre de l'intérieur est très tranquille. Les débats sont une véritable parodie, au cours de laquelle la moitié des juges parlementaires garde sagement le silence, quand l’autre moitié n'ose que quelques questions prudentes et ampoulées, voire quelques compliments déplacés à Charles Pasqua.

Au bout du compte, le sénateur UMP des Hauts-de-Seine est relaxé dans deux dossiers de corruption très lourds (ceux du casino d'Annemasse et de GEC-Alsthom) – pour lesquels plusieurs personnes avaient écopé de peines de prison ferme devant le tribunal correctionnel de Paris. L’ancien ministre de l’intérieur n'est condamné qu'à un an de prison avec sursis pour « complicité et recel d'abus de biens sociaux », au sujet des détournements de fonds commis au préjudice de la Sofremi, société sous tutelle de son ministère. Une condamnation plus que symbolique, dans le dossier le moins grave des trois, et sans aucune mesure d’inéligibilité, cela « compte tenu de l'âge de M. Pasqua et de son passé au service de la France... ».

Charles PasquaCharles Pasqua © Reuters

Selon les confidences faites par l'un des juges de la CJR, on est même passé à deux doigts d’une relaxe pure et simple de Charles Pasqua sur les trois dossiers, les parlementaires hésitant au dernier moment à signer de leur nom un jugement inique, et qui serait resté comme tel dans l'histoire.

Par ailleurs, la question des finances publiques a parfois été mise en avant pour critiquer la Cour de justice de la République. On lui a notamment reproché ses locaux feutrés et confortables, un bel hôtel particulier (818 m2), rue de Constantine, sur l’esplanade des Invalides à Paris, et le coût des loyers. Mais la CJR a « un coût très limité pour le budget de l’État », selon un rapport parlementaire, même si son budget annuel est de 866 000 euros en 2014, avec un loyer représentant à lui seul 450 000 euros par an. À l'avenir, et si elle n'est pas supprimée d'ici là, la CJR devrait toutefois rejoindre l'actuel Palais de justice de l'île de la Cité (où se trouve déjà la Cour de cassation), après la construction du nouveau tribunal de grande instance de Paris aux Batignolles, bâtiment qui doit théoriquement être livré mi-2017.

Edouard BalladurEdouard Balladur © Reuters

On l'a compris, la Cour de justice de la République est une anomalie démocratique. Elle n'est ni efficace, ni à l'abri des interférences politiques. Sa survivance ne peut que renforcer chez le citoyen le sentiment d’une justice à plusieurs vitesses, d’une inégalité entre les humbles et les puissants devant la loi, voire d’une immunité organisée des politiques. Pour illustrer – par l'absurde – son obsolescence, on peut aussi rappeler que nul n'a songé à saisir la CJR lorsqu'il s'est agi de faire juger l'ancien ministre Dominique de Villepin dans l'affaire Clearstream.

La suppression de la CJR était une des promesses du candidat Hollande en 2012. Après avoir temporisé, en confiant d'abord son sort à la commission Jospin, puis avoir semblé renoncer, le président de la République a finalement relancé l'idée de supprimer la CJR en juin dernier, mais sans aucune garantie de calendrier. 

À cette inégalité de traitement propre à la CJR s'ajoute le problème des délais, le temps passé ayant pour effet de réduire le sens du procès et de la peine éventuellement prononcée, tout en adoucissant les sanctions. On risque encore de constater ce hiatus avec le dernier dossier arrivé à la CJR, celui de Karachi, dans lequel les ex-ministres Édouard Balladur et François Léotard sont susceptibles d'être poursuivis pour des faits qui remontent au début des années 1990. Et rien ne dit que de nouveaux cas ne seront pas soumis à la CJR....

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