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Affaire Pérol: la justice se libère de ses entraves (1/3)

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Cela devrait déclencher un séisme dans les milieux financiers français mais aussi dans les cercles dirigeants de la « Sarkozie » : le juge Roger Le Loire pourrait, dans les prochaines semaines, prendre une ordonnance renvoyant devant un tribunal correctionnel François Pérol, le président de la banque BPCE et ex-secrétaire général adjoint de l’Élysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, pour y être jugé pour « prise illégale d’intérêt ». De nombreux indices suggèrent que le magistrat qui a conduit l’instruction pourrait prendre cette décision : d'abord, le Parquet national financier (PNF) a pris, dès le 7 novembre, des réquisitions en ce sens (lire Affaire Pérol : vers un procès pour prise illégale d’intérêt). Ensuite, le dossier d’instruction – que Mediapart a pu consulter – a mis au jour des faits nouveaux.

Ce dossier d’instruction, comprenant quelque 150 pièces (procès-verbaux d’audition, échanges de mails…), a d'une part l'intérêt de montrer comment fonctionne notre démocratie (et notamment comment la justice peut parfois marcher totalement de travers). D'autre part, il propose en creux, une plongée dans le monde consanguin de la haute finance et des sommets de l’État : au travers de l’affaire Pérol, on pénètre dans les coulisses du capitalisme à la française et on y découvre des scènes stupéfiantes.

Cette instruction du juge Roger Le Loire tranche en effet avec l’enquête préliminaire ouverte suite aux plaintes déposées par les syndicats CGT et Sud des Caisses d’épargne, quand François Pérol avait quitté l’Élysée pour prendre, au début de 2009, la présidence des Caisses d’épargne et des Banques populaires, puis la présidence de BPCE, la banque née de la fusion des deux précédents établissements. À l’époque, on était encore sous la présidence de Nicolas Sarkozy et la procédure avait été pour le moins expéditive.

En droit, il s’agissait d’établir si François Pérol s’était borné à avoir des contacts avec les différents responsables de ces établissements, pour éclairer les choix du président de la République, ou si, outrepassant cette fonction, il avait contribué à peser sur l’avenir de ces deux banques, en organisant lui-même leur mariage, pour ensuite prendre la présidence de la banque unifiée.

En clair, il s’agissait d’établir si François Pérol avait lui-même exercé l’autorité publique sur ces deux banques, avant d’en prendre la direction, ce que les articles 432-12 et 432-13 du Code pénal prohibent : « Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. »

Dans un « édito vidéo » que Mediapart avait mis en ligne dès le 19 mars 2009, voici comment nous résumions le scandale de ce « pantouflage » hors norme :

Or, l’enquête préliminaire s’est déroulée dans des conditions scandaleuses. A l’époque, un seul témoin a été entendu, François Pérol, comme si cela suffisait à la manifestation de la vérité. Et lors de son audition, le 8 avril 2009, devant la brigade financière – audition dont nous avons pu prendre connaissance –, François Pérol a pu expliquer sans être contredit qu’il s’était borné à éclairer les choix de Nicolas Sarkozy, sans jamais être impliqué dans la moindre décision. Ce qui a donné lieu à ces échanges étonnants:

« Avez-vous eu, en tant que secrétaire général adjoint de la présidence de la République, à suivre le rapprochement des deux groupes et/ou l'apport de 5 milliards d'euros par l'État ?, lui demande le policier de la Brigade financière.

— Le rapprochement a été annoncé en octobre 2008, j'en ai été informé de même que les autorités de régulation et de contrôle, par les deux présidents de l'époque, Messieurs Milhaud [le président de l’époque des Caisses d’épargne] et Dupont [le président de l’époque des Banques populaires], la veille ou le jour de l'annonce officielle. J'en ai informé le président de la République. Dans le contexte de crise, ce que les autorités de régulation ont dit aux deux groupes, c'est qu'il fallait aller vite pour exécuter cette opération et que les discussions soient menées rapidement, répond François Pérol.

— Aviez-vous une mission de surveillance ou de contrôle sur ces deux entreprises ou leurs filiales ? insiste le policier.

— Non, répond le banquier.

— Avez-vous eu à proposer directement aux autorités compétentes des décisions relatives à ces entreprises, en particulier dans leur rapprochement et/ou à propos de l'apport de 5 milliards par I'État ?

— Non.

— Avez-vous formulé un ou des avis aux autorités compétentes sur des décisions relatives à ces entreprises, en particulier dans leur rapprochement et/ou à propos de l 'apport de 5 milliards par I'État.

— Non. Mes avis sont destinés au président de la République et au secrétaire général de la présidence. »

Le dialogue a ainsi duré quelque temps, sans que François Pérol n’en dise plus. Et peu de temps après, sans qu’aucun autre témoin ne soit entendu, sans qu’aucune perquisition ne soit conduite pour trouver les documents concernant l’affaire, l’affaire avait été classée sans suite par le parquet… Le patron de BPCE n’aurait donc jamais été rattrapé par la justice si les deux syndicats, ne se décourageant pas, n’avaient pas de nouveau déposé plainte, cette fois avec constitution de partie civile, ce qui a conduit à ce qu’un juge indépendant, Roger Le Loire, soit chargé du dossier Pérol.

L’enquête préliminaire s’est même passée dans des conditions encore plus scandaleuses que cela, car certains des acteurs de l’histoire ont secrètement eu connaissance de certaines de ces pièces, alors qu’elles sont théoriquement inaccessibles quand il n’y a pas de parties civiles. Ces fuites suspectes, c’est, ultérieurement, l’enquête du juge Le Loire qui les a fait apparaître.

Entendu dans le cadre de cette instruction le 12 décembre 2013 par un officier de la brigade centrale de lutte contre la corruption, Bernard Comolet – qui avait pris brièvement la présidence des Caisses d’épargne lors de la chute de Charles Milhaud avant d’être évincé à son tour par François Pérol – a été interrogé sur la présence d’un CD-Rom trouvé à son domicile, à l’occasion d’une perquisition réalisée le matin même. Car dans ce CD-Rom, les policiers ont retrouvé « des pièces de procédures relatives à l’enquête en préliminaire sur la nomination du président du groupe BPCE ».

Prié de dire comment il était entré en possession de ce document, Bernard Comolet a répondu : « J’avais demandé à l’un des avocats de la Caisse d’épargne d’Île-de-France s’il savait où en était la procédure à l’encontre de François Pérol. En réponse à cette demande, il m’a fourni ce CD en me disant que j’y trouverais les éléments de réponse. Je m’intéressais à cette procédure car je m’attendais à être entendu. »

Qui est cet avocat qui a transmis ce CD-Rom à Bernard Comolet ? L’a-t-il transmis à d’autres dirigeants des Caisses d’épargne, et notamment à François Pérol ? Et comment cet avocat a-t-il obtenu un tel document accessible à l’époque qu’aux membres du parquet de Paris ? L’interrogatoire de Bernard Comolet n’évoque pas plus avant ces questions. Il suggère juste qu’il y a eu des phénomènes de porosité entre certains cercles de la haute magistrature et certains cercles du pouvoir ou de la haute finance.

Le parquet avait donc classé sans suite, en septembre 2009, cette enquête préliminaire, considérant que François Pérol s'était borné « à informer et donner un avis au président de la République sur le rapprochement des groupes Banques populaires et Caisses d'épargne, sur le soutien financier de l'État et sur l'explication à donner à l'opinion publique ».

À la suite des nouvelles plaintes de la CGT et de Sud Caisses d’épargne, le juge d'instruction Roger Le Loire s'est saisi du dossier, et a rendu une ordonnance en date du 18 juin 2010 (que l'on peut télécharger ici), estimant qu'il y avait « lieu à informer ». Un tantinet ironique, l’ordonnance du juge tourne en dérision l’enquête préliminaire : « Cette enquête relativement succincte s'est limitée à la seule audition de Monsieur François Pérol et (…) dès lors il n'est pas possible en l'état sans procéder à des investigations complémentaires contradictoires de dire quel a été le rôle exact de ce dernier dans le rapprochement des groupes Caisses d'épargne et Banques populaires, ainsi que dans l'attribution du soutien financier dont ils ont bénéficié de la part de l'État. »

Mais malgré cela, la justice est encore restée longtemps entravée. Et il a fallu que l’affaire – sans doute la plus grave qui ait eu lieu en France en matière de « pantouflage » ces dernières années – remonte jusqu’à la Cour de cassation, avant que le juge ait enfin le droit d’instruire.

En clair, alors que le pantouflage controversé de François Pérol intervient au début de 2009, les investigations judiciaires ne sont menées que quatre ans plus tard. Et encore, sans l’obstination des deux syndicats, sans la pugnacité de quelques rares journaux, dont Mediapart, qui a fait l'objet de poursuites en diffamation (voir notre Boîte noire), sans doute l’affaire aurait-elle fini par être étouffée.

Mais ensuite, quand un juge est saisi du dossier et peut enfin instruire, quelle différence ! De l’enquête de Roger Le Loire peu de choses ont transpiré. Mediapart a révélé le 24 mars 2013 que quelque temps auparavant, le domicile de François Pérol avait fait l’objet d’une perquisition (lire Affaire BPCE : un proche de Sarkozy perquisitionné). Et pour finir, on avait appris que François Pérol avait été mis en examen le 6 février 2014 pour « prise illégale d’intérêt » (lire François Pérol mis en examen pour prise illégale d’intérêt). Mais du détail des investigations judiciaires, rien ou presque n’avait transparu dans la presse. Et pourtant, avec le recul, on se rend compte que d’un seul coup, la justice s’est donné tous les moyens d’établir les faits en cause.

Il y a eu ainsi des perquisitions dont on n’a jamais parlé. Au domicile de François Pérol, mais aussi dans son bureau, au siège de la banque BPCE. Mais aussi, le 13 février 2013, au domicile marseillais de l’ex-patron des Caisses d’épargne Charles Milhaud ; au domicile parisien de l’ancien patron des Banques populaires, Philippe Dupont, ou encore au siège de la Caisse des dépôts et consignations. Une autre perquisition policière a été conduite le 12 décembre 2013 au domicile de Bernard Comolet, au cours de laquelle les policiers ont découvert un 357 Magnum, mais le banquier leur a présenté un port d’armes en règle.

Enfin, en présence d’un représentant du bâtonnier de Paris, une dernière perquisition a eu lieu le 9 janvier 2014 au cabinet de Me François Sureau, qui a longtemps travaillé aux côtés de Me Jean-Michel Darrois (avant de devenir avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation) et qui, dans cette fonction, a été le conseil d’abord de Charles Milhaud, puis de François Pérol.

En plus de ces perquisitions, il y a eu de nombreuses auditions. Ce fut le cas de l’ex-président de la commission de déontologie de la fonction publique, Olivier Fouquet (commission qui a été emportée dans la tourmente à cause de cette affaire) ; de Bernard Comolet et de son bras droit de l’époque, Alain Lemaire ; de Philippe Dupont et de son bras droit de l’époque, Bruno Mettling ; de Dominique Ferrero, l’ancien patron de Natixis ; de Stéphane Richard, à l’époque directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy et actuel patron d’Orange ; de Me François Sureau ; de Xavier Musca, qui, à l’époque des faits, était directeur du Trésor et a remplacé ensuite François Pérol à l’Élysée ; d’Augustin de Romanet, à l’époque directeur général de la Caisse des dépôts et actuel patron d’Aéroport de Paris ; de Claude Guéant, à l’époque secrétaire général de l’Élysée ; et même d’Alain Minc, l’éminence grise de Nicolas Sarkozy et d’une ribambelle de patrons dont… celui des Caisses d’épargne !

Ce sont donc ces investigations qui ont fini par convaincre le juge d’instruction qu’il disposait de suffisamment d’indices graves et concordants pour mettre en examen François Pérol pour « prise illégale d’intérêt ». Elles pourraient maintenant le conduire à prendre une ordonnance de renvoi en correctionnelle. Preuve qu’après avoir longtemps été entravée, la justice a repris un cours normal.

A suivre, le deuxième volet de notre enquête : Ces mails confientiels qui ont guidé l'enquête judiciaire

BOITE NOIREDepuis 2008, Mediapart a consacré pas loin de 150 enquêtes à la crise des Caisses d'épargne, puis à l'affaire du pantouflage de François Pérol qui a conduit à sa mise en examen pour prise illégale d'intérêt. À l'origine de très nombreuses révélations, nous avons fait l'objet de onze plaintes en diffamation, avec constitution de partie civile, de la part de l'ancienne direction des Caisses d'épargne emmenée par Charles Milhaud, à la suite de quoi François Pérol a ajouté une douzième plainte, après que nous eûmes révélé qu'il quittait l'Élysée pour prendre la direction de cette banque dans des conditions controversées. Edwy Plenel, en qualité de directeur de la publication de Mediapart, et l'auteur de ces lignes, en qualité d'auteur des enquêtes, ont donc été mis en examen à l'époque à douze reprises.

Mais finalement, à quelques jours du procès, les plaignants ont redouté la confrontation judiciaire au cours de laquelle nous entendions établir la véracité des faits et l'honnêteté de notre travail, et ont retiré leurs plaintes. Pour finir, Mediapart a donc engagé contre eux une procédure pour poursuites abusives et a obtenu réparation. On trouvera un compte-rendu de cette confrontation judiciaire notamment dans ces deux articles : Mediapart gagne son procès contre les Caisses d'épargne et Caisses d'épargne: un jugement important pour la liberté de la presse.

Cette histoire des Caisses d'épargne croise aussi la mienne. C'est à la suite de la censure d'un passage de l'une de mes enquêtes sur les Caisses d'épargne, du temps où j'étais éditorialiste au Monde, que j'ai pris le décision, à la fin de 2006, de quitter ce quotidien. À l'époque, j'avais cherché à comprendre les raisons de cette censure et j'avais découvert que le président du conseil de surveillance du Monde, Alain Minc, était aussi secrètement le conseil rémunéré du patron des Caisses d'épargne, auquel il demandait par ailleurs des financements pour renflouer Le Monde. J'ai raconté l'histoire de cette censure au début de mon livre Petits Conseils (Stock, 2007) et dans la vidéo suivante : Pourquoi je rejoins Mediapart.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Forcer l’utilisation de SSL pour se connecter à WordPress


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