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De jeunes migrants dorment dans la rue à Paris

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Depuis plusieurs semaines, à la nuit tombée, de trente à cent jeunes migrants selon les moments se regroupent devant la Permanence d’accueil et d’orientation des mineurs isolés étrangers (Paomie) de Paris, située au 127 du boulevard de la Villette, à proximité du métro Jaurès, dans l’espoir d’être hébergés. Vingt-cinq places d’hôtel sont mises à disposition pour les plus vulnérables. Les autres dorment à la rue dans les recoins d’immeubles à proximité ou trouvent refuge chez des particuliers. Ils ont l’air de tout jeunes hommes. À peine couverts, les mains serrés dans les poches, ils disent avoir froid ce mardi soir. Venus de Côte d’Ivoire, de Guinée, du Mali, d’Afghanistan ou du Pakistan, entre autres, ils sont arrivés dans la capitale après un long périple, qui les a fait traverser le Maghreb ou le Moyen-Orient. Beaucoup disent vouloir étudier. Mais leur priorité est de survivre : ils ont faim et cherchent un toit pour se protéger des intempéries.

Photo postée sur Facebook montrant l'attente des jeunes étrangers devant la Permance d'accueil, à Paris.Photo postée sur Facebook montrant l'attente des jeunes étrangers devant la Permance d'accueil, à Paris.

Pour ne pas dormir dehors plus longtemps, une vingtaine d’entre eux ont décidé de trouver un endroit au chaud. Dimanche 21 décembre, ils ont investi un gymnase situé au 116, quai de Jemmapes dans le Xe arrondissement. Mais l’occupation a été de courte durée : le gymnase a été évacué dès le lendemain. Des places d’hôtel leur ont été proposées. La mairie de Paris s’est engagée à en garantir quinze en plus des vingt-cinq le temps du plan hivernal.

Dans une lettre diffusée sur internet (la lire dans son intégralité sur le blog de Fini de rire), ils ont expliqué leurs motivations : interpeller les autorités publiques sur le danger qu’ils encourent. « Nous, jeunes réfugiés, âgés entre 12 et 17 ans, sommes depuis deux mois livrés à nous-mêmes dans Paris. Arrivés de divers pays d’Afrique, nous vivons et dormons dehors en cette période de grand froid. Pour faire face à cette épreuve, nous avons décidé de nous regrouper », écrivent-ils. « Nous avons compris que pour l’État nous n’existons pas », déclarent-ils.

Décrivant leur « calvaire », ils affirment que « cette situation ne (peut) plus durer ». « La mairie de Paris doit également prendre ses responsabilités et nous trouver des solutions d’hébergement afin qu’aucun mineur ne reste à la rue », insistent-ils. Les jours de grande affluence, il n’est pas certain que le nombre de places proposées, même avec le supplément, suffise à abriter tout le monde.

Au fil des semaines, l’immeuble de la Paomie s’est imposé comme un lieu de rendez-vous incontournable car cet endroit, géré par l’association France terre d’asile (FTDA) pour le compte de la mairie de Paris, constitue la porte d’entrée dans le dispositif de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), confié aux départements. Tous ceux qui errent dans les alentours attendent leur « évaluation », c’est-à-dire le premier entretien à l’issue duquel ils sont déclarés mineurs ou majeurs. Problème : certains disent l’attendre longtemps. « Chaque soir, un tri est fait, se désole Sylvie Brod, militante à RESF et bénévole à l’Adjie (accompagnement et défense des jeunes isolés étrangers), qui a mis en place une permanence de suivi juridique et scolaire. Ils prennent trois Afghans, deux Tchadiens, un peu de chaque nationalité. Les filles passent plus vite, ceux qui ont l’air tout petit aussi. Les autres se retrouvent sans rien. Ça donne lieu à des bagarres. Ceux qui dorment dehors se retrouvent à la merci de la violence de la rue. L’un d’entre eux vient de passer deux semaines à l’hôpital après s’être fait tabasser. Il n’y a pas assez de nourriture. Ils ont tellement faim qu’ils se piquent les rations. Avec la drogue dans le quartier et les risques d’agressions sexuelles, la situation est catastrophique. »

Ces jeunes font les frais d’un vide juridique. Pas encore déclarés mineurs, ils ne peuvent être pris en charge pas l’ASE. Mais n’étant pas majeurs, ils n’ont pas droit au dispositif d’hébergement d’urgence relevant de l’État : le Samu social, mettant en œuvre le principe de l’accueil inconditionnel, refuse leurs demandes. Guillaume Lardanchet, directeur de l’association Hors la rue, qui vient en aide aux mineurs étrangers en difficulté, évoque une autre « zone grise administrative », touchant cette fois les jeunes évalués majeurs. Il arrive que la Paomie ne tienne pas compte des papiers d’identité présentés, les considérant comme falsifiés ou usurpés.

« Considérés majeurs par les services de l’Aide sociale à l’enfance, ils ne sont cependant pas pris en charge par le Samu social s’ils donnent leur date de naissance les établissant comme mineurs », indique-t-il. « De plus, ces jeunes n’ont comme recours juridique que la saisine du juge des enfants. Or cette saisine ne suspend pas la décision administrative de non-prise en charge par l’ASE. La saisine du juge administratif pourrait suspendre cette décision. Mais seuls les majeurs ont la capacité juridique de saisir ce juge. Et là encore, les jeunes se présentant avec leur extrait d’acte de naissance ou une déclaration de date de naissance les établissant comme mineurs se retrouvent bloqués », ajoute-t-il.

La mairie de Paris se dit consciente de cet imbroglio juridico-administratif et affirme avoir l’intention, « au premier trimestre 2015 », de « faire évoluer le dispositif pour améliorer l’accueil des jeunes ». Sylvie Brod est sceptique. Elle dénonce l’état d’esprit dans lequel se déroulent les entretiens d’évaluation. « Les évaluateurs cherchent à coincer les jeunes, assure-t-elle. Pendant une demi-heure, ils les bombardent de questions pour essayer de voir s’ils mentent, notamment sur leur âge. En dernier recours, ils peuvent leur faire passer des tests osseux dont tout le monde reconnaît qu’ils ne sont pas fiables. »

Le lycée Hector Guimard se mobilise pour ses huit lycéens sans abri.Le lycée Hector Guimard se mobilise pour ses huit lycéens sans abri.

La mairie de Paris rappelle que les jeunes isolés étrangers représentent un tiers des jeunes suivis par l’ASE à Paris. Ils étaient 700 il y a cinq ans, ils sont 2 000 aujourd’hui. Pour suivre cette évolution, le budget de 30 millions d’euros par an a été élevé à 90 millions. « Paris concentre un tiers des nouvelles arrivées annuellement », indique-t-on. « Le dispositif n’est pas parfait, mais il s’est stabilisé depuis la circulaire Taubira », poursuit-on. Cette circulaire datée du 31 mai 2013 permet aux autorités judiciaires en charge de la protection de l’enfance de confier, en fonction des places disponibles, les mineurs isolés étrangers à un autre département que celui où ils ont été repérés.

« Devant la Paomie se retrouvent aussi des jeunes qui ont été déclarés majeurs », ajoute-t-on pour expliquer les attroupements. Pourtant la démarche de ces migrants est compréhensible : à quelques mois près, ils se sentent plus en sécurité avec des jeunes mineurs qu’avec des adultes sans domicile fixe. Plutôt que de se retrouver dans un centre d’hébergement de droit commun ou un gymnase ouvert en cas de grand froid, ils espèrent pouvoir bénéficier d’une chambre dans le parc hôtelier, même si celui-ci n’est pas de premier ordre. Par ailleurs, les décisions de majorité de la Paomie sont contestées par plusieurs associations, notamment celles membres de l'Adjie (ADDE, Gisti, LDH, Mrap, RESF, etc.)

De l’État à la mairie de Paris, les responsabilités sont donc imbriquées et partagées puisque, selon la loi, la protection de l’enfance est confiée aux départements, dans le cas présent à Paris. En tant que garant de la solidarité nationale, l’État est responsable de l’hébergement d’urgence. Les autorités publiques n’ignorent pas les dysfonctionnements. Saisi par un collectif d’associations, le Défenseur des droits a rendu le 29 août 2014 un avis critique. « Force est de constater que les mineurs isolés étrangers en errance (sur le territoire parisien) peinent à être pris en charge et ne bénéficient pas des mesures de protection et d’accompagnement prévues par la Convention internationale des droits de l’enfant », note-t-il.

Sans le relais pris par plusieurs associatives, la situation serait dramatique. Un collectif pour l’accompagnement et la défense des jeunes isolés étrangers a été créé en 2012. La Fidl, syndicat étudiant, a récemment ouvert les portes de ses locaux pour offrir un toit à quelques-uns de ceux qui dormaient dehors. Les enseignants et personnels du lycée Hector-Guimard dans le XIXe arrondissement viennent quant à eux, par courrier, de « sommer » le conseil général d’héberger huit élèves sans abri, menaçant d’occuper l’établissement en cas d’absence de « solutions pérennes ». Au plus près du terrain, une page Facebook Solidarité jeunes sans papiers informe des besoins et organise l’aide individuelle. Par ce biais, des bénévoles apportent des denrées alimentaires, des couverts, des thermos ou vont à la laverie.

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