De notre envoyée spéciale à La Rochelle
Marine Le Pen fait peur. À quelques mois des élections municipales, le PS a placé son université d’été de La Rochelle sous le signe de la lutte contre le Front national. Dès l’ouverture, à l’occasion du pot rituel de la fédération socialiste de Charente-Maritime, Harlem Désir a voulu lancer « la bataille pour les municipales et les européennes » grâce à une « dynamique de conviction ». Dit autrement : « Il faut mener une bataille idéologique contre une droite extrémisée et l’extrême-droite. »
« Bataille idéologique », les grands mots sont lâchés. Vendredi, le premier fédéral de Charente-Maritime en appelait même au « combat culturel ». « On est en guerre culturelle », lançait à la tribune Mickaël Vallet, au cours d’une intervention qui rappelait les travaux du chercheur Gaël Brustier. Samedi, la plénière phare était consacrée à la lutte contre le Front national, avec Manuel Valls en vedette américaine. « J’appelle à une croisade républicaine contre l’extrême-droite. (…) J’appelle solennellement à refaire du combat contre l’extrême-droite une priorité pour les socialistes », a lancé dimanche Harlem Désir.
Dans son discours de clôture, le premier ministre Jean-Marc Ayrault a lui aussi dénoncé les ponts de plus en plus grands entre une partie de l’UMP et le FN. « C’est le problème de la droite, mais si cela continue, ce sera le problème de la République », a-t-il prévenu, parlant d’une « tentation populiste très forte » parmi les électeurs. « Nous savons que ces périodes de crise favorisent ces mauvaises réponses. (…) Nous avons l’obligation de réussir. Ne pas laisser penser que tout a été essayé et qu’il ne reste plus qu’un recours, désespéré, celui du vote extrême », a ajouté Ayrault.
Le PS a longuement débattu avant de placer sa rentrée sous le signe de la lutte contre l’extrême-droite. Le premier secrétaire, figure de SOS Racisme, a hésité par crainte de faire monter le FN en le plaçant au centre du jeu politique. Certains continuent de juger que c’est une erreur quand d’autres préfèrent parler de « populismes » plutôt que du FN. Mais le résultat de l’élection législative partielle à Villeneuve-sur-Lot, après la démission de Jérôme Cahuzac, a été un électrochoc pour la majorité du PS – le candidat du FN avait atteint le second tour, la gauche avait été éliminée au premier tour. Une frange de la droite radicalisée s’est aussi remobilisée lors des manifestations contre le mariage pour tous, et un militant antifasciste, Clément Méric, est mort en plein Paris à la suite de coups portés par des militants d’extrême-droite.
« L’enjeu de l’année, c’est celui de l’extrême-droite », explique le porte-parole du PS David Assouline. Les cadres socialistes ont finalement été convaincus que le FN va faire un carton aux municipales et qu’il peut devenir le premier parti de France à l’issue des européennes. D’où ce choix de lancer « la bataille idéologique » pour rebâtir des digues autour de l’extrême-droite.
Mais au terme de l’université d’été de La Rochelle, clôturée dimanche, il restait bien difficile de cerner les contours de cette « bataille ». La direction du PS l’admettait volontiers : « Le contenu est en train de se construire. C’est en cours. » Un work in progress surprenant à quelques mois d’échéances électorales majeures pour la gauche au pouvoir.
À La Rochelle, les débats, auxquels participaient de nombreux ministres du gouvernement, donnaient le sentiment parfois d’un parti sclérosé, de cadres tétanisés par la peur de nuire à François Hollande ou à Jean-Marc Ayrault. Contrairement aux années Aubry à la tête du PS, très peu de représentants de la société civile – associations, syndicats, intellectuels – ont participé au rendez-vous socialiste. Les chercheurs Camille Peugny, qui a beaucoup inspiré le programme de François Hollande sur la jeunesse, et Vincent Tiberj, qui a beaucoup travaillé sur la diversité, étaient bien présents mais pour une réunion des “aubrystes” en marge de l’université d’été.
C’est aussi le signe d’un parti qui échoue depuis le début du quinquennat à trouver sa place et à être autre chose, sous la férule d’un Harlem Désir peu audible, qu’un robot à féliciter les ministres du gouvernement. « La machine du parti fonctionne pour partie à vide », décrypte l'un de ses dirigeants, qui témoigne d’un PS vidé de ses permanents partis dans les ministères et dont les cadres passent beaucoup moins de temps à Solférino.
« Cette bataille idéologique, c’est un habillage. Il aurait fallu qu’on ait des gens qui viennent et qui nous bousculent… Là on est dans la culture de l’entre-soi, avec une vraie faiblesse intellectuelle de la direction du PS », dénonce un député aubryste. « On nous ressort la bataille culturelle depuis 2002. Mais il faudrait s’en donner les moyens et un contenu », moque aussi Emmanuel Maurel, l'un de chefs de file de l’aile gauche du PS.
En réalité, ce « contenu » divise les socialistes. Et le débat entre Manuel Valls et Christiane Taubira en est d’un certain point de vue une illustration. Lors de la plénière contre le FN, le PS avait choisi pour l’incarner le ministre de l’intérieur. Drôle de choix pour un parti qui jure souvent que la priorité contre le FN est l’éducation (alors pourquoi pas Vincent Peillon ?) ou l’emploi (et Michel Sapin ?). Sauf à considérer que le combat contre l’extrême-droite est avant tout une bataille républicaine. Manuel Valls, qui a été fortement applaudi par la salle tout en subissant – fait rare – quelques sifflets de militants à l’évocation du démantèlement des camps de Roms, a surtout revendiqué sa « République intransigeante » : « Gagner contre l’extrême-droite c’est n’abandonner aucun sujet. Parlons de tout, parlons clair », a-t-il lancé.
C’est d’ailleurs sur ce thème de la République que le PS organisera à la rentrée un forum à Paris pour décliner son combat contre le FN. « Le FN reste un parti antirépublicain, raciste, réfractaire au progrès. Ce n’est pas un parti comme les autres », a redit dimanche Harlem Désir. « Cette bataille contre le FN, c’est trois choses : démasquer l’extrême droitisation et les ponts entre une partie de la droite et l’extrême droite ; faire la démonstration de l’inefficience du programme du FN ; se mobiliser sur le terrain », explique Christophe Borgel, secrétaire national aux élections du PS. « L’offensive sur les valeurs de la République est fondamentale face à l’affirmation de valeurs de plus en plus extrêmes », juge aussi le porte-parole David Assouline.
Mais le contenu de « l’offensive » est loin de faire l’unanimité. Même au sein de la majorité du PS et parmi les proches de François Hollande, qui constatent que le vote FN dépasse largement son électorat traditionnel radicalisé, ouvertement raciste et xénophobe. « La vraie question, c’est où se cristallise la progression du vote FN, et ce qui fait sa progression », explique Stéphane Le Foll, très proche du président de la République. Dans son viseur : les zones périurbaines et les études récentes selon lesquelles plus on s’éloigne des centre-villes, plus le vote FN est important. « Dans ces zones, il existe un sentiment de déclassement, d’un déclassement individuel. Il faut trouver les moyens pour que tout le monde se sente pris dans un récit collectif. Il faut réussir à donner l’idée à chacun qu’il appartient à un destin collectif », ajoute le ministre de l’agriculture.
Une préoccupation que partage pour partie le député Laurent Baumel, cofondateur du courant “Gauche populaire” constitué pour l’essentiel d’anciens strauss-kahniens et critique de la politique économique du gouvernement. « La bataille culturelle, c’est un slogan un peu creux. Tout dépend du diagnostic. La montée du FN se nourrit toujours de la crise des politiques suivies. Et les poussées politiques du FN sont toujours un symptôme des politiques gouvernementales. La meilleure réponse c’est le combat pour une réorientation de la politique économique et sociale avec, pour volet central, le pouvoir d’achat », explique-t-il, prenant lui aussi en exemple les couples salariés gagnant entre 1 000 et 1 500 euros, habitant dans une zone périurbaine et qui doivent prendre la voiture chaque jour pour aller travailler.
« C’est mon désaccord avec Manuel Valls : s’il est proche du peuple sur les questions de société, il est plutôt du côté des élites sur les questions économiques… Infléchissons notre politique économique et sociale et on privera le FN de son terrain ! » poursuit Baumel. « Ce qui est pertinent c’est de reconquérir notre base sociale. Ce n’est pas en disant à des gens dans la merde qu’ils font n’importe quoi », juge aussi le député Olivier Dussopt.
Le pouvoir d’achat était pourtant quasiment absent de l’université d’été. L’emploi était bien entendu au cœur des débats. Mais seul le Mouvement des jeunes socialistes (MJS) a évoqué les hausses du salaire et revendiqué un Smic à 1 500 euros lors des discours de clôture dimanche. « Mener la bataille culturelle, c’est jouer sur notre terrain, celui du social », a lancé à la tribune Thierry Marchal-Beck, président du MJS.
Il est aussi le seul à avoir fait entendre une musique différente sur les retraites, « trou noir » des débats à La Rochelle, selon l’expression du député de la “Gauche durable” Olivier Dussopt. Aucune réunion plénière n’a été consacrée au sujet – le PS s’est contenté d’un atelier (en plus petit comité) et sans la participation d’un ministre. À la même heure, la ministre des affaires sociales, Marisol Touraine, participait à une table ronde sur les droits des femmes. Autre curiosité : les deux syndicats, la CGT et FO, qui ont appelé à la mobilisation du 10 septembre contre la réforme Ayrault étaient absents de l’atelier retraites.
Le PS jure qu’ils ont été invités mais qu’ils ont décliné. Une version fermement démentie par Sophie Binet de la CGT, invitée pour un autre débat. « Comme il y avait déjà trop d’organisations syndicales à la table ronde sur les retraites, j’imagine que c’est la raison pour laquelle ils nous avaient réservé celle sur les femmes », ironise-t-elle.
Plus largement, juge Delphine Batho, ex-ministre de l’écologie et ancienne de SOS Racisme, « si la lutte contre le FN doit effectivement être au centre de notre militantisme de terrain, il nous faut porter nous-mêmes un projet de transformation sociale. Une part de la bataille culturelle consiste à porter l’aspiration à une vie meilleure ». À l’occasion de son limogeage, Batho avait déjà regretté un « tournant de la rigueur qui ne dit pas son nom, et qui prépare la marche au pouvoir de l’extrême droite ». Avant de préciser sa pensée : « La politique d’austérité en Europe contribue à faire le lit de l’extrême droite. »
« La réponse au FN, cela doit être les valeurs de la République, c’est-à-dire l’égalité. Nos repères doivent être les valeurs de la gauche. Il faut donner un sens au progrès parce que le seul rempart contre la montée des populismes, ce sera le Parti socialiste », explique François Lamy, le ministre délégué à la ville.
À la gauche du PS, on se méfie aussi d’une « bataille culturelle » qui pourrait substituer aux questions sociales des questions identitaires ou sociétales. « Combattre le FN, c’est assumer d’être de gauche. C’est articuler la bataille culturelle et des actes, comme ne pas donner 20 milliards d’euros dans le pacte de compétitivité. Depuis un an, pas un ministre ne parle de salaires, c’est la première fois depuis que la gauche est au pouvoir ! La seule réponse possible au FN c’est une gauche qui s’affranchisse de l’idéologie dominante… Et cela commence par les mots et par le fait d’éviter de reprendre les termes de l’adversaire comme charges sociales au lieu de cotisations ou de focaliser le discours sur l’immigration et la sécurité », estime Emmanuel Maurel, qui a recueilli près de 30 % des voix face à Harlem Désir au dernier congrès du PS.
Une analyse que partage Guillaume Balas, proche de Benoît Hamon et animateur de son courant “Un monde d’avance”. « L’urgence, c’est de ne pas nous-mêmes faire des bêtises et de relancer les débats artificiels sur l’immigration, qui détournent des vrais sujets – les questions écologiques, sociales et l’Europe. Cela ne suffira pas d’attendre la reprise de la croissance et la baisse du chômage. Il faut passer un cap et prôner un nouveau modèle de développement. Le combat culturel, il faut l’engager contre le néolibéralisme », explique-t-il. Dès la rentrée parlementaire, plusieurs courants du PS devraient d’ailleurs relancer leur appel à une grande réforme fiscale, dont ils jugent qu’elle serait aussi une arme anti-Marine Le Pen.
BOITE NOIREToutes les personnes citées ont été interrogées entre jeudi et dimanche à La Rochelle.
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