De nos envoyés spéciaux à La Rochelle et à Marseille
La « contribution climat énergie » à La Rochelle, c’est le petit manuel de la gauche au pouvoir. Une communication ratée, des ministres, pris par surprise, qui se contredisent, un flottement sur la ligne politique, une mesure dont les contours resteront flous pendant encore plusieurs semaines, et des partenaires écologistes qui ne peuvent même pas savourer leur victoire. Un épisode qui illustre aussi, à nouveau, les limites de la gouvernance Hollande, plus manœuvrier que jamais, qui laisse chacun s'ébrouer et animer le rapport de force interne, avant de trancher à la fin, se croyant revenu aux plus belles heures des nuits de résolutions où se rédigeaient les synthèses programmatiques socialistes.
Vendredi matin, les ministres présents à l’université d’été de leur parti tombaient tous des nues. Stéphane Le Foll avoue qu’il doit passer quelques coups de téléphone pour savoir de quoi il s’agit précisément. Le ministre de l’agriculture, cosignataire il y a une semaine d’une lettre commune avec les deux ministres écologistes et son collègue de l’écologie, Philippe Martin, avait été consulté en amont mais n’a pas été prévenu de cette annonce lors des journées d’été d’Europe Ecologie-Les Verts. « C’est agaçant », lâche un autre ministre sous couvert d’anonymat.
Pierre Moscovici, le ministre des finances, qui venait à peine de parler de « ras-le-bol fiscal », botte en touche et renvoie au milieu des militants vers son camarade Martin. Qui lâche quelques mots, promet que ce ne sera pas une nouvelle taxe, évoque des « transferts », mais refuse d’en dire plus. Quelques minutes plus tard, il croise Bernard Cazeneuve, le ministre du budget, qui s’écarte pour discuter en apparté. Le ministre du budget, qui s’était gardé de toute déclaration publique avant le projet de loi de finances, discuté à l’automne au parlement, est finalement contraint de participer au déminage. « Le ministre du budget, c’est un soutier du gouvernement », explique Cazeneuve dans un sourire. Avant de promettre que la nouvelle « contribution climat énergie » ne sera pas un impôt supplémentaire, que son principe avait déjà été annoncé à plusieurs reprises – et par lui et par le premier ministre, c’est un fait – et qu’il s’agira du « verdissement d’une fiscalité existante ».
Au PS, en attendant, c’est silence dans les rangs, ou presque. La plupart des responsables rencontrés sont contre – mais ce seront les mêmes qui jureront dans quelques jours qu’ils sont pour si Matignon confirme le dispositif. Les plus écolos attendent de connaître les détails avant de s’exprimer quand d’autres déplorent que l’annonce faite devant les militants EELV passe pour une « concession faite aux écolos ». Stéphane Le Foll, qui s’est avancé sur le terrain vert en prônant, il y a plusieurs mois, l’agroécologie et qui vient de cosigner une lettre avec les ministres verts du gouvernement, est plus qu’embarrassé, sur la forme et sur le fond. Il est convaincu que la priorité est d’économiser l’énergie et qu’il faut veiller à ne pas rendre « inacceptable » l’impôt. En évoquant l’idée soulevée par certains de taxer le vin pour lutter contre la surconsommation, il lâche : « Certains inventent maintenant la fiscalité comportementale… On peut faire de l’éducation. On ne va pas tout prendre par la fiscalité ! »
Et quand on lui fait remarquer que la « fiscalité comportementale » est au cœur du programme des écologistes depuis de nombreuses années, il lâche : « Et c’est pas ça qui a fait avancer l’écologie. » Le Foll est en revanche intarissable sur les économies possibles, dans l’isolation des bâtiments, le labour des champs ou un rapprochement très progressif des prix de l’essence et du diesel.
À Marseille en revanche, les écologistes, réunis eux aussi pour leur rentrée politique, affichaient le sourire des bons jours (lire notre reportage aux Journées d’été d’Europe Ecologie-Les Verts). Mais les remous socialistes les ont vite contraints à baisser d’un ton et à convoquer les journalistes au fil de la journée de vendredi et des mauvais échos rochelais, pour calmer le jeu. « C'est normal que chez certains socialistes ayant du mal avec le changement, ça chiffonne », explique la ministre du logement, Cécile Duflot, pas franchement ravie de voir se rejouer la séquence « taxe carbone » de 2009, quand Ségolène Royal et de nombreux socialistes s'en étaient pris aux écologistes qui soutenaient l'une des mesures phares du Grenelle de l'environnement, conduisant finalement à son enterrement. « Les moments de changement sont toujours des moments compliqués, l'essentiel c'est que la vie des gens change. On est très en retard par rapport au reste de l'Europe. Dans les autres pays où il n'y a pas eu d'évolution environnementale de la fiscalité, la compétitivité a été affaiblie. »
« Les modalités seront annoncées d'ici un mois. On est dans le récit de la transition. Il ne faut pas être sur la défensive quand on fait des réformes, parce que c'est notre responsabilité. Il ne faut pas avoir la réforme honteuse », abonde son camarade Pascal Canfin, ministre délégué au développement. Avant d’ajouter : « On n’est pas dans le punitif, on est dans la transition. C'est une réforme d'intérêt général. C'est un dispositif qui ne signifie pas une augmentation générale des impôts. C'est une restructuration, où l'on taxe davantage les pollutions, mais où on peut en parallèle baisser la TVA sur la rénovation thermique ou imaginer des crédits d'impôt pour les pompes à chaleur. L'idée, c'est que l'État taxe davantage une pollution, et apporte des contreparties. »
Mais les écologistes sont bien conscients que les impôts ne sont plus très à la mode dans ce gouvernement de gauche. À l’instar de Stéphane Le Foll, Cécile Duflot préfère elle aussi insister sur les autres versants réputés moins impopulaires, notamment dans les zones périurbaines, de la transition écologique. « Dans quelques jours on va pouvoir montrer la partie redistributive de cette réforme. L'isolation thermique, c'est un gain de pouvoir d'achat de 200 € par mois, qui concerne les catégories populaires qui vivent à 50 km des centre-ville et qui ont des voitures. La contribution climat énergie, c'est permettre la transition. Ne rien faire, c'est pire, c'est laisser les gens tout seuls. » Même si elle paraît fatiguée à l'avance de la polémique des jours à venir, elle veut croire que « dans deux semaines, on ne parlera plus que du plan d'isolation thermique… ».
Certains à Marseille s'interrogent sur une « nouvelle manip'» de Hollande, qui en envoyant Philippe Martin au feu de la réconciliation avec les écolos, savait très bien que les socialistes allaient s'insurger. Une façon de renverser le rapport de force avec ses ministres EELV, après les avoir choyé tout l'été, suite au limogeage de Delphine Batho. Les écologistes savent aussi que ce sont eux qui devront monter au front, pour défendre la fiscalité écologique, dont ils avaient fait une ligne rouge pour rester au gouvernement. Plus prudent que ses camarades ministres, le secrétaire national d’EELV Pascal Durand en convient : « C'est sûr qu'ils vont nous laisser aller tout seuls au carton pour faire la pédagogie de cette réforme. Mais les choses bougent, lentement. On sent un frémissement. Est-il opportuniste ? Je n'espère pas. De toute façon, si on ne connaît pas à l'automne tous les contours de la transition énergétique, c'est que ça ne se fera pas. »
L’épisode de cette « taxe carbone » nouvelle formule, qui avait coûté si cher à Nicolas Sarkozy, est finalement révélateur des dysfonctionnements de la majorité depuis plus d’un an. La communication est désastreuse, avec des ministres se contredisent faute d'avoir été mis au courant en amont par l'Elysée ou Matignon, au point que plus personne ne sait vraiment ce qui se passe, et que personne ne puisse plus dire quel message politique vient d’être envoyé. Les appels à « assumer » les choix politiques, qu’ils viennent des écologistes, de la gauche ou de la droite du PS, sont pour l’instant lettre morte. Et le nouveau ministre de l'écologie, Philippe Martin, au bout de seulement deux mois, se retrouve déjà dans l'œil du cyclone, alors qu'il est le troisième titulaire du poste en un an de hollandisme au pouvoir.
[[lire_aussi]] « On aurait pu faire La Rochelle sur l’inversion de la courbe du chômage. Finalement, on la fait pour savoir si on est trop laxiste ou s’il y a trop d’impôts – des valeurs très à gauche en plus ! glisse un ministre du gouvernement sous couvert du off. C’est un enchaînement malheureux. » Car derrière le débat sur la fiscalité écologique, c’est un autre clivage qui affleure : la gauche doit-elle revendiquer l’impôt ? Ou bien doit-elle reprendre l’idée que l’impôt est définitivement impopulaire ? Plusieurs responsables socialistes jurent que pendant l’été, ils ont croisé des Français agacés par la hausse des impôts. D’autres tempèrent, estiment qu’il s’agit essentiellement des classes moyennes supérieures et que les classes populaires parlent surtout emploi et pouvoir d’achat. « Les ministres voyagent trop en 1re classe ! » se désole un ministre du gouvernement.
L’aile gauche du PS, autour du député Jérôme Guedj, de la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann et du vice-président du conseil régional d’Île-de-France Emmanuel Maurel, est peu ou prou sur la même ligne. Elle n’est pas forcément contre une contribution carbone, mais s’estime « dans le yaourt » tant elle ignore, pour l’instant, quelle sera la forme précise de cette taxation. « La question n’est pas de savoir s’il y a trop d’impôts, mais qui les paie ! La question est de savoir si c’est juste, efficace et si ça crée de la croissance », explique Lienemann. Et l’ex-ministre de rappeler la promesse de campagne de François Hollande de faire une grande réforme fiscale, depuis passée aux oubliettes. Àg Marseille, le député Sergio Coronado ne dit pas autre chose : « Ça aurait été quand même bien plus simple, pédago et enthousiasmant d'intégrer la fiscalité écologique dans une grande réforme fiscale, avec de nouvelles tranches d'impôts pour les plus riches, qui auraient naturellement permis d'éviter les débats sur la taxation des classes populaires… » En effet. Mais ce ne sera pas pour cette rentrée.
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