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Grenades offensives: enquête sur le précédent de Creys-Malville en 1977

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Après la mort de Rémi Fraisse, le 26 octobre 2014, le ministère de l’intérieur et la gendarmerie nationale ont soutenu à plusieurs reprises que les grenades offensives n’avaient jamais tué personne auparavant. Le 29 octobre, Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale, affirmait ainsi sur BFMTV que la gendarmerie n’a « jamais eu de problème en maintien de l’ordre avec des grenades offensives », alors qu’il s’agit d’une « munition régulièrement engagée ». Dans la nuit du 26 octobre, le patron de la gendarmerie indique à Bernard Cazeneuve « qu’une grenade offensive avait été lancée mais que la gendarmerie considérait qu’elle n’était pas à l’origine de la mort pour des raisons qui tiennent au fait qu’aucune grenade offensive n’a occasionné la mort de manifestants au cours des dernières années », selon le récit du ministre sur France Inter. Cette conviction est partagée par tous nos interlocuteurs au ministère de l'intérieur.

Comment expliquer cette forme de déni collectif, alors qu’une grenade offensive avait été sérieusement mise en cause dans la mort, en 1977, d’un jeune manifestant écologiste ? Le 31 juillet 1977, Vital Michalon, professeur de physique de 31 ans, fut tué par l’effet de souffle d’une explosion lors d’un rassemblement contre la construction de la centrale nucléaire Superphénix à Creys-Malville (Isère). « Un réel débat organisé à l’échelle nationale aurait permis d’éviter le drame qui vient d’avoir lieu », lançait son père, Jacques Michalon, sur France Inter, en août 1977. À l’époque, l’opposition socialiste, par la voix de l’ex-député de l’Isère Louis Mermaz, avait appelé à l’interdiction de ce matériel militaire.

« Nous pensions d’ailleurs que cette grenade avait été suspendue », explique aujourd'hui Franck Michalon, l’un des frères de Vital. Mais il a fallu attendre la mort, 37 ans plus tard, d’un autre jeune manifestant écologiste, Rémi Fraisse, pour qu’un ministre de l’intérieur PS, Bernard Cazeneuve, suspende puis interdise la grenade offensive OF F1, le 13 novembre 2014. Comme beaucoup de dossiers où sont suspectées des violences policières, l’instruction ouverte suite à la mort de Vital Michalon s’était close le 21 novembre 1980 par un non-lieu, confirmé deux mois plus tard par la cour d’appel de Grenoble.

Le 31 juillet 1977, entre 20 000 et 60 000 personnes venues de toute l’Europe sont rassemblées sous la pluie pour marcher en direction du chantier du surgénérateur nucléaire Superphénix. Les trois colonnes de manifestants sont bloquées à Faverges, à 1,4 kilomètre de la centrale. « Leur masse impressionnante était concentrée sur le même point, c’est-à-dire le hameau de Faverges, décrit Le Progrès dans son numéro du 1er aout 1977. Surgissant des bois sur un front de près de 800 mètres, ils firent face pendant une vingtaine de minutes aux forces de l’ordre, de part et d’autre d’une dépression faite de maïs et d’embouches. »

Une dizaine de compagnies républicaines de sécurité (1 200 hommes) et 16 escadrons de gendarmes mobiles (1 300 hommes) ont pour mission de les tenir en deçà de la ligne interdite fixée par le préfet de l’Isère. La préfecture a multiplié les contrôles routiers, tandis que des hélicoptères survolent la zone interdite. La veille, les forces de l’ordre ont procédé à des arrestations préventives lors d’un ratissage à Morestel où campaient, selon le préfet René Jannin, « plus d’un millier d’Allemands ». Le maire de Morestel déclarera devant des journalistes qu’il ne tolérera pas que les « descendants » des « nazis » « viennent faire la loi une seconde fois ».

Entre 11 h 15 et 15 heures, s’engagent de « violents affrontements » entre certains manifestants et les forces de l’ordre, « en particulier dans les champs de culture et prairies entrecoupés de haies », décrira le réquisitoire du procureur de Bourgoin-Jallieu. Vers 12 h 30, la voiture d’un journaliste garée sur la départementale tenue par les forces de l’ordre « est incendiée par un cocktail Molotov ».

Même si « la grande masse des manifestants » n’était pas « animée d’intentions agressives », des armes ont été retrouvées les jours précédents lors d’opérations de contrôle. « Bâtons ferrés », « frondes individuelles et collectives », « cocktails Molotov », « sachets d’explosifs artisanaux », « articles explosifs à vocation antipersonnelle lancés à la main ou par fronde », liste un rapport d’expertise du 29 octobre 1979. Le ministre de l'intérieur estimera à 2 000 les contestataires armés et casqués souhaitant en découdre, les journalistes sur place à 150 personnes maximum.

Selon ce même rapport, les grenades lacrymogènes classiques se révèlent vite « inefficaces » du fait « de l’état détrempé du sol dans lequel elles s’enfonçaient » et des manifestants « qui les enterraient ». Vers midi, le commandant de groupement de gendarmerie mobile, désireux « d’éviter des corps à corps », obtient l’autorisation via une réquisition préfectorale d’utiliser des grenades offensives. Débutent des tirs intenses de grenades à main OF modèle 1937 et de GLI F4 (mixte lacrymogène-effet de souffle) au fusil. Au total, 4 218 grenades furent utilisées, dont 594 GLI et 444 OF 37.

« Dès l’éclatement du premier tir de grenades devant Faverges à 11h55, on ne pouvait s’empêcher de penser, en voyant les vagues d’assaut de manifestants s’avancer vers les barrages sombres des gendarmes mobiles, qu’il fallait avoir du cœur au ventre pour être venu ici crotté, transi, battu par la pluie, crevé de fatigue et de veille, chercher ici des coups venus en vertu d’une conception gratuite et lointaine de la société », s’émeut Le Progrès. Les experts de l’époque, eux, concluront froidement, après un magnifique calcul de la densité de grenades lancées par hectare de terrain, qu’« on n’était ni à la Malmaison (1918), ni à Verdun (1916) ».

Arme militaire, la grenade OF modèle 1937 est l’ancêtre de la grenade qui, le 25 octobre 2014, tua Rémi Fraisse. La différence principale est que sa coque était métallique, et non en plastique comme celle de la OF F1. « Cette grenade est destinée en temps de guerre à neutraliser un adversaire très proche et à l’air libre, ou presque, le temps nécessaire à l’attaquant pour être sur lui dans la plénitude de ses propres moyens, alors que ceux de l’adversaire, situé à 30 ou 40 m, ont été diminués par le bruit et le souffle », décrit le rapport d’expertise de 1979.

On y apprend que « des millions de grenades OF 1937 ont été consommées durant les guerres 1939-1945, d’Indochine, d’Algérie, du Tchad, Mauritanie, Liban ». Elles furent également utilisées au moment des « événements » de Mai 1968, selon Le Figaro du 4 août 1977. « Leur réglage de mise à feu était de sept secondes, explique le quotidien. Du fait que ce laps de temps permettait aux manifestants de les retourner, il fut décidé d’abaisser à 4 secondes le moment entre lequel l’engin est lancé et le moment où il explose. » Le rapport d’expertise note que ces grenades creusent dans le sol des cratères allant jusqu’à 15 cm de profondeur et 50 cm de diamètre.

Coupure de presse de 1977.Coupure de presse de 1977.

À Creys-Malville, les blessés graves se succèdent dans un laps de temps très court. Vers 13 heures, un manifestant allemand, Manfred Schultz, a la main droite arrachée par une grenade OF 37. « Habitué aux engins de la police de son pays (RFA) », manifestement moins dangereux, le jeune homme de 18 ans l’avait ramassée pour la rejeter. Une demi-heure plus tard, un autre manifestant, Michel Grandjean, a le pied arraché par une grenade OF 37 sur laquelle il a marché. À 13 h 45, c’est un gendarme, le maréchal des logis chef Touzeau, 46 ans, qui a la main arrachée par une grenade OF 37 qu’il avait trop tardé à lancer. L’explosion entraîne celle de deux autres grenades dans sa sacoche et blesse sérieusement cinq de ses collègues. Au total, à la fin de l’après-midi, on dénombrera une centaine de blessés.

Michel Grandjean a titré cette photo de sa jambe : «inoffensif...»Michel Grandjean a titré cette photo de sa jambe : «inoffensif...»

« Nous avons vu passer Manfred Schultz qui brandissait sa main arrachée, puis Michel Grandjean, le pied arraché, porté par des secouristes », raconte Paul Michalon, enseignant, qui se trouvait avec son frère, Vital. Au milieu des champs, les deux frères observent les affrontements, tête nue, sans bouclier, ni arme. « Vital était passionnément non-violent, mais il aimait voir les choses de près, prendre des risques, explique Franck Michalon, loueur d'instruments de musique. Quand il faisait de la chute libre, il rajoutait toujours quelques secondes avant d’ouvrir le parachute. »

Vital Michalon, qui avait fait son service militaire comme sous-officier à l’école militaire de Coëtquidan, connaissait très bien ces grenades qu’il avait maniées en exercice. « Quand ça tombait, il me disait :“Ça c’est une OF, ça c’est une lacrymo” », se souvient Paul Michalon.

 

Le Progrès, le 1er août 1977.Le Progrès, le 1er août 1977.
Vers 14 h 10, au moment de la charge finale des forces de l’ordre, les deux frères se retrouvent séparés par une haie. Les derniers manifestants prennent leurs jambes à leur cou au milieu des lacrymos lancées en tir tendu (comme le reconnaît le dossier d’instruction) et des grenades offensives. Ils sont repoussés vers une haie touffue avec peu de passages. « En haut du raidillon, on faisait la queue à quatre pattes pour passer, raconte Paul Michalon. Quand je suis passé, j’ai ressenti l’effet de souffle d’une grenade tombée dans la haie. Elles venaient toutes de derrière. C’était terrifiant. » Il pense avoir franchi la haie quelques minutes avant son frère, qui s’écroule, mort, vers 14 h 15.

Voici ce que dit le réquisitoire de non-lieu du procureur de Bourgoin-Jallieu : « Le 31 juillet 1977, vers 14 heures 15, le corps de Vital Michalon, âgé de 31 ans, professeur, était découvert (…) à quelques mètres de la haie surplombant ce talus. » À 37 années de distance, la phrase résonne étrangement avec le communiqué qui, le 26 octobre 2014 au matin, annonça la mort de Rémi Fraisse : « Le corps d’un homme a été découvert dans la nuit de samedi à dimanche sur le site du barrage contesté de Sivens (Tarn). »

Le Progrès, le 1er août 1977Le Progrès, le 1er août 1977

Le médecin, qui se rend très vite auprès de Vital Michalon, constate immédiatement des signes de mort clinique : « une cyanose marquée autour de la bouche, sur les paupières et les lobes des oreilles », selon le dossier d'instruction. Après avoir déplacé le corps pour le mettre à l’abri des grenades lacrymogènes qui continuaient à tomber, il procède avec une secouriste à une « vaine tentative de réanimation ». « À ce moment les commandants d’escadrons (…) venaient de commander une nouvelle charge », explique l’ordonnance de non-lieu du juge d’instruction Jack Gauthier. Des CRS et des gendarmes mobiles franchissent la haie, talonnant les derniers fuyards.

Un manifestant, Joël Larrivée, témoignera lors de l’enquête avoir vu Vital Michalon sortir de la haie penché en avant, avant de s’effondrer au sol. Puis surgir à sa suite deux agents des forces de l’ordre qui auraient pointé leurs fusils vers le corps inanimé au sol avant de repartir. Ils ne seront jamais retrouvés pour être confrontés à ce témoin. « Les recherches effectuées par nous-mêmes pour identifier les deux CRS ou gendarmes mobiles (…) sont demeurées infructueuses », constatera le juge d’instruction Jack Gauthier dans son ordonnance.

« Le juge avait joué sur les mots, se souvient Franck Michalon. Il nous a dit qu’il n’avait pas retrouvé les deux CRS. Mais qu’il n’avait pas cherché parmi les gendarmes mobiles, puisqu’on lui avait parlé de CRS. Et après Creys-Malville, tous les membres des forces de l’ordre impliqués dans les assauts de première ligne ont été dispersés en Guadeloupe, à La Réunion et ailleurs. »

Le rapport d’autopsie du 2 août 1977 conclut à un décès et fait état « de lésions pulmonaires qui sont dues au souffle d’une explosion », sans se prononcer sur l’engin à l’origine de celle-ci. Le rapport évoque un « poumon de blast », « communément décrit depuis la Première Guerre ». Le pull et le ciré que portait la victime ne seront examinés qu’un an après les faits, par trois experts désignés par le juge. Dans leur rapport d’octobre 1979, les experts réservent leur avis « quant aux explosifs artisanaux » en soulignant que le « temps écoulé entre les événements du 31 juillet 1977 et le moment où les vêtements nous furent remis [élimine] toute possibilité de recherche de ces éléments ».

Des manifestants armés, Le Progrès, 1er août 1977.Des manifestants armés, Le Progrès, 1er août 1977.

Il semble que le temps glisse en revanche miraculeusement, sans les altérer, sur les traces d’explosifs militaires. Car à partir de ce même ciré, les experts se montrent « catégoriques » sur l’absence de débris métallique ou plastique et de toute matière explosive industrielle. « Le temps écoulé et les manipulations effectuées (…) ont eu les mêmes effets sur d’éventuelles traces d’explosifs industriels que sur d’éventuelles traces d’explosifs artisanaux », s’étonnera, en vain, la famille dans un courrier adressé au juge d’instruction.

Tous les vêtements de Vital Michalon, « pull, chemise et pantalon », seront rendus à la famille, sauf ce fameux ciré. Après la mort de Rémi Fraisse en 2014, c’est justement l’examen de ses vêtements qui a permis de trouver des traces de TNT et de confirmer l'hypothèse d'une grenade des gendarmes.

Les experts mènent également divers essais sur des silhouettes équipées de capteurs de pression. Premier enseignement intéressant : tous les engins testés (engin chloraté artisanal, grenade OF 1937 et GLI F4) peuvent « créer un effet de souffle létal en dessous de 0,50 mètre », constatent-ils. Petit aparté : malgré ces conclusions inquiétantes, il a fallu attendre le 13 novembre 2014 pour que la grenade OF F1 soit interdite en France. La grenade GLI F4, manifestement aussi dangereuse, est, elle, toujours utilisée. Mais « l’explosion d’une grande offensive OF 37 ou d’une GLI F4 à moins d’un mètre de distance (…) crible la silhouette d’impacts particulaires », poursuivent les experts. Or le visage de Vital Michalon est « intact », ses « vêtements non perforés ».

Photo d'une grenade OF 37 dans la presse en 1977Photo d'une grenade OF 37 dans la presse en 1977

Au terme d’un rapport de 77 pages, les experts excluent donc formellement que le jeune enseignant ait pu « être victime de l’explosion d’une grenade OF 37 ou d’une GLI F4 explosant à moins d’un mètre de lui ». Et penchent pour un explosif artisanal à base de dynamite ou d’une « charge de chlorate de soude de mélangée à du sucre glace ».

« Ça ne tient pas, si ça avait été une bombe artisanale, il aurait été défiguré, remarque Franck Michalon. Et pourquoi dans ce cas n’ont-ils pas été plus loin ? Pourquoi n’ont-ils pas recherché l’auteur ? » Autre incohérence, dans le cas de Michel Grandjean, dont le pied a indiscutablement été arraché par une grenade offensive OF 37, « aucun éclat métallique n’apparaît sur les radiographies », notent les experts. Pourquoi dans un cas, l’absence de ces éclats disqualifie-t-elle la grenade offensive et pas dans l’autre ?

Le juge d’instruction Jack Gauthier rend son ordonnance de non-lieu le 21 novembre 1980. C’est un simple copié-collé du réquisitoire du procureur de Bourgoin-Jallieu daté du même jour. Le 19 novembre, le même juge d’instruction avait rendu une autre ordonnance de non-lieu dans l’affaire de Michel Grandjean, à défaut d’avoir pu déterminer « dans quelles conditions et par qui » l’engin « a pu être lancé ». Michel Grandjean avait dû être amputé sous le genou après son arrivée à l’hôpital de Lyon. « La Croix-Rouge ne pouvait intervenir pour ramasser les blessés à cause des barrages policiers, ce qui fait que, blessé vers 13 h 30, je ne suis arrivé à l’hôpital qu’en fin d’après-midi, raconte Michel Grandjean. Et les gendarmes ont eu le culot de venir m’interroger à l’hôpital pour tenter de m’inculper. » Aujourd'hui retraité, il étudie le Talmud à Strasbourg.

Malgré le non-lieu, les proches de Vital Michalon ont la certitude que le jeune professeur de physique a bien été tué par une des quelque 500 grenades offensives lancées ce jour-là. Comme le confirme le rapport d’expertise, ils ont photographié des cratères de grenades au-delà de la haie et produit des « pièces de grenades offensives ramassées au bas du talus à l’intérieur de la haie, au passage emprunté par Vital Michalon ». « La grenade a sans doute explosé entre lui et le sol à un moment où il était à quatre pattes, soit parce qu’il escaladait le talus, soit, comme nous le croyons, parce qu’il avait été touché par un tir tendu de grenade lacrymogène », explique Franck Michalon. Vu le contexte politique de l’époque, les frères ne se sont jamais fait d’illusions. « Ce n’était pas l’État policier de l’époque qui allait reconnaître qu’il s’agissait d’un engin lancé par les forces de l’ordre, estime Franck Michalon. Les forces de l’ordre ont tout fait pour se disculper. »

Dès le 3 août, le colonel Gilbert Roy, responsable de la gendarmerie de l'Isère, soutenait que le décès de Vital Michalon n'est pas imputable à l'explosion d'une grenade offensive. « Je suis persuadé que M. Michalon n'est pas mort des conséquences de l'explosion d'une grenade offensive, mais a été victime d'un de ces engins de fabrication artisanale dont la puissance était supérieure à celle de nos grenades », déclarait-il dans Le Monde. Avec un argument imparable :« Des milliers de grenades offensives ont été utilisées depuis quarante ans, et elles n'ont jamais tué personne. Leur usage, en tout cas, a permis d'éviter dimanche des corps-à-corps qui auraient été infiniment plus graves. »

Les autorités de l’époque feront tout pour discréditer les manifestants écologistes, avec de forts relents de germanophobie. Au vu de la présence de jeunes venus d'au-delà du Rhin, le préfet de l'Isère, M. René Jannin, déclara : « Pour la seconde fois, Morestel est occupé par les Allemands. » C’est pourtant un film, tourné par les autorités allemandes lors d’affrontements entre des policiers et des contestataires antinucléaires au printemps 1977, qui déterminera la tactique à Creys-Malville. « J’ai voulu éviter absolument le corps-à-corps, justifiera le préfet Jannin dans Le Monde. D’où l’emploi en plus des grenades lacrymogènes (…), des grenades offensives. Je n’ai rien à me reprocher. C’était la seule façon de tenir les contestataires violents à distance. »

Dès le 31 juillet au soir, le ministre de l’intérieur Christian Bonnet accusera quant à lui « des groupes d’action et d’inspiration anarchiste qui ignorent les frontières et qui se sont fait la main ailleurs ». Comme en écho au drapeau djihadiste qu’assurera avoir aperçu, à Sivens, en octobre 2014, le directeur de cabinet du préfet du Tarn, le rapport des experts de 1979 évoquait, lui, des manifestants ayant « subi un entraînement dans des camps de terroristes au Moyen-Orient ».

Le Dauphiné Libéré du 5 août 1977.Le Dauphiné Libéré du 5 août 1977.

L’opposition socialiste monte très vite au créneau par la voix du député Louis Mermaz, président du conseil général de l’Isère. « Quel but avez-vous poursuivi le 31 juillet en prenant le parti de la répression la plus féroce ? » attaque le député PS dans une lettre ouverte au ministre de l’intérieur, le 5 août 1977. Avec des questions qui restent d’actualité. « Pourquoi le recours systématique et massif à des armes redoutables, comme les grenades offensives (…) alors que les forces de l’ordre contrôlaient parfaitement la situation ? » Comme à Sivens, le préfet, qui suivait les événements depuis une sous-préfecture, était le grand absent de Creys-Malville. « Comment expliquez-vous l’absence de toute autorité administrative sur le site où avaient lieu les manifestations, ce qui a conduit le préfet à reprendre et à amplifier les informations, exactes ou erronées, qui pouvaient lui parvenir (…) ? » demande encore Louis Mermaz.

La pétition lancée en 1977 par Emmanuel Michalon et Michel Grandjean.La pétition lancée en 1977 par Emmanuel Michalon et Michel Grandjean.

Michel Grandjean et Emmanuel Michalon lanceront une pétition en vue de l’interdiction de « l’usage d’armes de guerre » en maintien de l’ordre. Outre Louis Mermaz, elle est signée par quatre grandes consciences socialistes : Jean Poperen, député du Rhône appartenant à la gauche du PS, Georges Fillioud, député de la Drôme, qui deviendra le ministre des radios libres, Louis Besson, député de la Savoie, qui sera le ministre de la loi SRU (prévoyant au minimum 20 % de logements sociaux par commune) et Hubert Dubebout, maire d’un Grenoble autogestionnaire et tourné vers l’écologie.

Le 19 octobre 1977, le député Louis Mermaz profite des questions au gouvernement pour demander l’interdiction d’un « matériel de guerre » « qui nuit à la réputation de la police ». Il annonce que le groupe du PS et des radicaux de gauche comptent déposer une proposition de loi « proscrivant l’utilisation d’un tel matériel répressif et notamment des grenades offensives qui se sont révélées meurtrières ». Face à lui, le ministre de l’intérieur Christian Bonnet salue le « sang-froid » des forces de l’ordre.

Le Journal, 1977Le Journal, 1977

La proposition de loi n’a sans doute jamais été déposée (Louis Mermaz n'a pas retourné nos appels). « Le PS n’avait pas la majorité donc ça ne servait à rien, puis, une fois au gouvernement, en 1981, ils n’ont pas donné suite à cette proposition de loi », regrette Michel Grandjean. Comme Paul et Franck Michalon, il salue l’interdiction de la grenade offensive par Bernard Cazeneuve, le 13 novembre 2014. Mais la juge bien tardive.

Les militants écologistes de 1977 ont été choqués par les propos des responsables politiques socialistes après la mort de Rémi Fraisse. « Il nous est insupportable de relire les engagements des responsables politiques socialistes d’il y a 37 ans et de voir ce bord politique tenir aujourd’hui le langage de la droite d’alors », dit Franck Michalon. Il poursuit : « La violence de départ, c’est de ne pas demander l’avis des gens. À Sivens, comme à Creys-Malville, il y avait des gens éclairés qui voulaient débattre, on leur a imposé pour seule réponse des forces de l’ordre utilisant des armes de guerre. La responsabilité de l’État est énorme. » 

Mise en service en 1985, la centrale nucléaire Superphénix a été définitivement mise à l’arrêt par le gouvernement Jospin en 1998. Elle est en cours de démantèlement. Le 5 novembre 2014, EDF a été condamnée par le tribunal correctionnel de Bourgoin-Jallieu pour violation d’une mise en demeure de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Cette condamnation sans peine faisait suite à une plainte du réseau Sortir du nucléaire.

Lire également sous l'onglet Prolonger de cet article un texte de Paul Michalon, frère de Vital Michalon.

BOITE NOIREJe remercie Emmanuel, Franck et Paul Michalon, ainsi que Michel Grandjean, qui m'ont ouvert leurs souvenirs et leurs archives. Cert article s'appuie sur le dossier d'instruction et les coupures de presse de l'époque. Nous avons cherché en vain à contacter les magistrats qui suivirent ce dossier.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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