Dans la complexe loi Macron « pour la croissance et l'activité », un article est passé au travers de la polémique. Cet article n°105 concerne les licenciements collectifs et fait penser, dans sa philosophie, à la loi pour la sécurisation de l'emploi (LSE) issue de l’Accord national interprofessionnel (ANI), loi que le ministre de l'économie veut encore renforcer au détriment des salariés. Véritable totem ou poupée vaudoue brandie par des salariés en prise avec un licenciement collectif, l’ANI n'en finit pas de faire parler de lui. Tout à la fois considéré comme une traîtrise syndicale et un cadeau fait au patronat, cet accord national interprofessionnel est l'illustration même de l'impuissance de l’État français face aux plans sociaux (lire nos deux articles, ici, et également ici).
Censée favoriser la négociation entre salariés et employeurs, la loi pour la sécurisation de l'emploi est le texte qui a mis en musique les nouvelles règles imposées en 2013 par l'ANI. Ces dernières obligent notamment les entreprises de plus de 50 salariés à mettre en place un plan social – aujourd’hui appelé plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) –, au-delà de 10 licenciements économiques sur une période donnée de 30 jours.
Avant l'adoption de la LSE, chaque patron devait obligatoirement remettre un document détaillant le plan de licenciement à la Direction du travail, « même s’il était souvent négocié en amont », note un inspecteur du travail qui a souhaité rester anonyme. Aujourd’hui, l’employeur a désormais le choix : soit négocier un accord d’entreprise majoritaire avec les représentants des salariés, soit soumettre directement ses souhaits en matière de procédure et de plan social à l’homologation de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte).
Cette nouvelle règle en fait bondir plus d’un. « Cela revient ni plus ni moins à réactualiser ce vieux principe de l'autorisation administrative à licencier, abrogée dans les années 1980 », poursuit l’inspecteur du travail. Certaines centrales syndicales préfèrent y voir l'obligation faite à l'employeur de formaliser un cadre de discussion entre la direction et les représentants des salariés. À l’époque du débat sur l’ANI, c’est même l’argument massue repris par la CFDT, l’un des trois syndicats signataires de l’accord avec la CFE-CGC et la CFTC.
Entre juillet 2013 et mai 2014, 742 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ont été enclenchés à travers le pays – « un nombre qui n’a pas augmenté », selon la Secafi, entreprise qui intervient régulièrement en qualité d'expert auprès des salariés. 60 % d’entre eux se sont terminés par des accords majoritaires dans les entreprises, notamment conclus avec des syndicats qui avaient refusé de s'engager au moment de la signature de l'ANI. Cette « dynamique de négociation (est) globalement positive », insiste aujourd'hui la CFDT, qui regrette pourtant qu’elle soit « inégale selon les branches professionnelles et les entreprises ».
Car, si selon ces chiffres, la négociation a gagné du terrain, au bout du compte, elle ne bénéficie presque exclusivement qu’au patronat. Il en va ainsi du rétrécissement de la période d'information et de consultation du comité d'entreprise (CE) et des organisations syndicales : deux mois si la restructuration entraîne moins de 100 licenciements ; trois mois entre 100 et 250 licenciements ; quatre mois au-delà de 250 licenciements. La direction, elle, a tout le loisir de se préparer au bras de fer puisque c’est elle qui décide d'enclencher le PSE.
Un inspecteur du travail confirme ce déséquilibre des forces : « Dans ce jeu-là, les organisations syndicales ont un temps de retard. Elles sont obligées de se coller au dossier proposé par la direction, et cela en un temps restreint. Or, même si elles peuvent saisir l’administration pendant toute la durée de la procédure et sont assistées d'un expert, certes payé par l'employeur mais qui ne connaît pas la boîte, elles ont du mal à avoir accès à une information de qualité. Or, pendant ce temps-là, les délais, eux, courent ! »
Cette prédominance de la méthode contractuelle a fini par prendre le pas sur la norme, alors que chaque partie devrait normalement pouvoir faire valoir ses droits au moment de la négociation. « Si l'équilibre contractuel existe sur le papier, dans les faits, il y a un réel manque de savoir-faire », poursuit l'inspecteur du travail interrogé. Car, outre la réduction du temps mis à disposition, négocier un PSE est un métier auquel les représentants du personnel ne sont pas toujours préparés, ni bien armés. À la différence des grosses sociétés qui, elles, sont entourées de spécialistes du droit du travail et d'avocats qui connaissent parfaitement la mécanique et ses écueils.
C’est d’ailleurs cet avantage donné au contrat sur la convention légale que conteste Évelyne Sire-Marin. Présidente de la 31e chambre du tribunal correctionnel de Paris et spécialiste du droit du travail, elle explique qu’avec l’ANI, « le contrat est devenu supérieur à la loi. Les salariés sont dès lors abandonnés à un rapport de force qui leur est défavorable ». Nous sommes ainsi très loin de ce que fut, par exemple, ce plaidoyer de Lionel Jospin, en 2000, lors d'un congrès du parti socialiste, et que rappelle la magistrate : « La hiérarchie des normes assure la prééminence de la Constitution sur la loi, de la loi sur le règlement et, de manière générale, de toutes ces normes sur le contrat. Inverser la hiérarchie, c’est remettre en cause les fondements mêmes de la République. »
Côté administration, le bilan est en demi-teinte. Les Direcctes ont homologué près des trois quarts des PSE déposés depuis l'adoption de la loi. Mais leur mandat ne concerne que le contrôle du bon déroulé de la procédure, ainsi que la qualité du PSE, et non le motif économique du licenciement, pourtant régulièrement contesté, et avec succès, aux prud'hommes. En cas d'accord négocié, son périmètre de contrôle se limite même à la seule procédure. « Au moment d’un licenciement, on doit prendre en compte les critères de charge de la famille, d'ancienneté, de capacité à s’insérer ainsi que les qualités professionnelles du salarié, rappelle Évelyne Sire-Marin. Au lieu de quoi, les Direccte se retrouvent souvent à homologuer des PSE mal ficelés et qui, dans la majorité des cas, ne respectent pas ces points-là, pourtant clairement inscrits dans le Code du travail. »
« Avant l’ANI, résume l’avocat du travail Fiodor Rilov, proche de la CGT, quand un plan de licenciement était contesté par le CE, ce dernier pouvait saisir le juge des référés et obtenir une ordonnance qui suspendait le projet de restructuration. C’est comme ça, par exemple, que les “GoodYear” ont réussi à empêcher, pendant près de sept ans, la fermeture du site d’Amiens nord. » « On pouvait se battre alors même que les licenciements n’avaient pas eu lieu, insiste celui que toute la profession surnomme le “tsar rouge”. Mais depuis l’ANI, l’homologation des PSE par la Direccte change tout. Elle permet à l’employeur de se prévaloir de cette autorisation pour fermer son entreprise. Ainsi, même s’il existe ensuite un recours auprès du tribunal administratif dans les deux mois qui suivent l’annonce du PSE, le temps que le juge soit saisi, qu’il décide de prononcer l’annulation d’un PSE mal motivé, les lettres de licenciement sont déjà parties et les salariés sont sur le carreau, à l’annonce du jugement. »
Dans le cas où cette annulation administrative aurait lieu – ce qui s'est passé pour neuf jugements rendus sur les vingt-cinq contestés auprès du tribunal administratif –, elle ne permet plus la réintégration après coup des salariés dans l’entreprise. « Elle permet juste aux salariés de pouvoir saisir les prud’hommes en vue d’obtenir des indemnités compensatoires, précise Fiodor Rilov. Grâce à l’ANI, l’objectif des patrons de licencier en toute tranquillité est donc atteint. »
Un autre observateur, qui a souhaité rester anonyme, confirme que cet objectif est largement atteint : « La loi a été faite pour aller plus vite et pour sécuriser les procédures. Avec l'ancienne législation, c'était très compliqué pour les entreprises de connaître leur durée, d’autant que le recours pouvait prendre des années. Surtout, elles pouvaient se voir, in fine, obligées de réintégrer les salariés licenciés. Ce qui est impossible aujourd’hui avec l’ANI. »
Malgré la faiblesse des recours, le ministère n’apprécie guère d'être remis en cause. Et c'est donc là qu'intervient le texte « fourre-tout », selon la formule du dirigeant socialiste Jean-Christophe Cambadélis, de la future loi Macron. Car, outre la question du travail le dimanche et autres déréglementations, cette dernière redéfinit pour partie les modalités des plans de sauvegarde de l’emploi. Son article 105 prévoit qu’il ne pourra plus exister aucune conséquence sur les licenciements lors d’un plan de sauvegarde de l’emploi mal ficelé, comme par exemple l’obtention du versement de six mois d’indemnités de licenciement calculées sur le dernier salaire. Le défaut de motivation du plan social ou, plus grave, le délit d’entrave exercé par l’employeur contre les représentants du personnel, demeureront également sans conséquence sur les licenciements.
Agacé, notamment par la décision de la cour administrative d’appel de Versailles dans l'affaire Mory-Ducros, le ministère, par cette loi, veut également revenir sur la question du « périmètre d’application des critères d’ordre à un niveau inférieur à l’entreprise ». Pour les salariés de Mory-Ducros, la société souhaitait retenir, pour appliquer sa politique de licenciement, le périmètre de l'agence et non de l'entreprise tout entière, ce qui change singulièrement la donne en termes de compensations. Elle a été déboutée, mais ce projet de loi lui donnerait raison.
« L’objectif est clair, met en garde Évelyne Sire-Marin. Il est celui d’installer chez les salariés l’idée d’une défiance vis-à-vis de tout ce qui est juridictionnel, pour les décourager à enclencher des procédures et se plier à la stratégie des patrons. » Pour autant, « dans le cas de l’ANI comme dans celui de cette future loi, insiste Me Rilov, nous devons absolument déplacer le curseur de la seule inégalité du rapport de force entre les salariés et leurs employeurs pour dire qu’il est possible de contester cette procédure judiciaire. Il existe des brèches, notamment offertes par le droit communautaire, qui peuvent permettre dès aujourd’hui de contester l’ANI et la future loi Macron. » À suivre, donc.
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