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Hollande sur l’immigration: un « combat » à mains nues

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Quarante-cinq minutes consacrées exclusivement aux questions migratoires : François Hollande ne l’avait encore jamais fait. C’est une première, sur un sujet régulièrement au centre de la polémique dans l’espace public, qu’il évite depuis son élection à la présidence de la République. 

Lors de l’inauguration – sept ans après son ouverture au public en octobre 2007 – du Musée de l’histoire de l’immigration logé dans le Palais de la Porte-Dorée à Paris, le chef de l’État a prononcé lundi 15 décembre un vibrant hommage aux immigrés, en présence du ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, de la ministre de la culture, Fleur Pellerin et de la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem. Devant l’une des fresques du « Forum » illustrant les « apports de la France aux colonies », et face à un parterre d’environ 500 personnes (ambassadeurs, responsables d’institution, représentants associatifs, etc.), il a voulu leur « rendre (…) la place qui leur revient dans le récit national » afin de « donner les moyens d’aborder de façon sereine la question toujours posée de l’immigration ».

Il a évoqué un musée « de toutes les immigrations, de toutes les fiertés » ; un musée qui est « plus qu’un symbole, un message de confiance dans l’histoire de notre pays, dans ce que nous sommes et ce que nous pouvons faire ». « La France est l’un des plus vieux pays d’immigration d’Europe », a-t-il rappelé. « Aujourd’hui, un Français sur quatre a au moins un grand-parent étranger (…). L’histoire de l’immigration, c’est notre histoire », a-t-il insisté. Initié au XIXe siècle pour répondre aux besoins économiques de la première révolution industrielle, l’appel à la main-d’œuvre étrangère s’est poursuivi tout au long du XXe siècle et s’est amplifié avec la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, avec la colonisation et avec la mondialisation, a-t-il ajouté.

Le chef de l’État a célébré « l’apport à la nation des immigrés et de leurs descendants par le sang versé, par le travail, par le talent, par la réussite ». Au cours des Trente Glorieuses, les ouvriers étrangers, maghrébins et africains pour la plupart, ont travaillé sans relâche pour reconstruire le pays. Un logement reconstruit sur deux leur serait dû, une machine sur sept ainsi que 90 % des autoroutes. Le président a rappelé le rôle des « troupes coloniales venues sauver la France » : parmi les poilus de 1914-1918 se trouvaient 180 000 Algériens, 60 000 Tunisiens, 37 000 Marocains, 134 000 soldats d’Afrique noire, 34 000 Malgaches. « Comment oublier que le dernier poilu Lazare Ponticelli qui est né en 1897 dans un petit village d’Italie n’était même pas français lorsqu’il s’était engagé dans une unité étrangère à 17 ans, en trichant sur son âge. En 1939, il avait demandé à être naturalisé pour participer à la guerre, à la seconde qui venait d’être déclarée », s’est-il souvenu. « C’était plus qu’un symbole que le Musée de l’immigration l’ait invité à fêter son centième anniversaire ici », a-t-il estimé, égrenant les prix Nobel, créateurs et autres réfugiés célèbres venus s’installer en France.

Pour préparer sa transition, François Hollande a rappelé que tous s’étaient battus « pour une certaine idée de la France, universelle, ouverte au monde, capable de défendre des idéaux, de progrès ». Lors de ce discours, pas un mot pour fustiger les « clandestins », les « fraudeurs », les « mauvais » immigrés. Il a prononcé un discours général, relativement progressiste, sur l’immigration, l’intégration, la laïcité, la diversité, s'adressant implicitement à un électorat de gauche humaniste qui lui reproche d'avoir abandonné ces questions à l'opposition et de n'avoir jamais mené la rupture avec la politique sarkozyste. Appelant de ses voeux une République « apaisée », il a en effet, dans un mélange de lâcheté et de tactique, renoncé jusqu'à présent à s'exprimer fortement laissant, notamment dans le milieu associatif, de nombreux militants esseulés et désabusés.

Au Musée de l'immigration, il a voulu situer son discours dans un contexte. Pourquoi maintenant ? Pour occuper le terrain, a-t-il semblé dire. Pour occuper le terrain face à l’UMP et au FN, dans un climat de montée des violences envers les musulmans et les juifs. Il n’a cité ni son prédécesseur Nicolas Sarkozy, ni l’ex-ministre de l’intérieur Claude Guéant, ni la patronne du FN Marine Le Pen, ni dans un autre registre l’essayiste Éric Zemmour. Mais, comme l’entourage du président l’a fait savoir au Monde, ils étaient visés.

« L’immigration ne doit pas être un sujet tabou mais un sujet majeur car cela menace notre façon de vivre », a déclaré l’ex-chef de l’État à Nice le 21 octobre. En déplacement à Calais le 24 octobre, la numéro un du parti d’extrême droite a dénoncé le « fléau » de l'« immigration clandestine ». Alors que les candidats à la primaire UMP rivalisent de suggestions – de la restriction du regroupement familial à la remise en cause du droit du sol en passant par la suppression de l’aide médicale d’État –, François Hollande a jugé utile de réagir.

« L’immigration fut toujours l’objet de controverses, a-t-il affirmé. La présence étrangère a toujours suscité – et à toutes les époques – de l’inquiétude, de la peur, de l’appréhension. Surtout quand aux différences de langue, de culture, s’ajoutent des différences de couleur… et de religion. Il y a toujours eu des démagogues pour les attiser, pour utiliser les manquements aux règles communes, qu’il faut déplorer, pour justifier alors le rejet, pour démontrer qu’il y en a qui ne s’assimileront jamais. L’exploitation des questions migratoires, jusqu’à la tragédie, n’est en rien une nouveauté. Dès août 1893, à Aigues-Mortes, des Français excités par d’absurdes rumeurs avaient massacré des travailleurs italiens parce qu’ils venaient prendre des emplois, occuper des villages, et finalement mettre en cause les équilibres de telle ou telle famille. (…) Chaque époque fut marquée par des violences et des intolérances (…). Les étrangers sont toujours accusés des mêmes maux : venir prendre l’emploi des Français, de bénéficier d’avantages sociaux indus (…). Ce sont toujours les mêmes préjugés, les mêmes suspicions qui sont invariablement colportées. »

«Mais, a-t-il constaté, le fait nouveau, c’est la pénétration de ces thèses dans un contexte de crise (…). Le doute sur notre capacité à vivre ensemble s’est installé. » Il a en particulier fustigé « la peur d’une religion, l’islam », dont il a regretté qu’elle soit présentée « de manière inacceptable » par certains comme « incompatible avec la République ».

Le président a eu encore de l’allant pour assurer qu’« il nous faut reprendre le combat » face à « ces vents mauvais ». Parlant d’école comme d′un « creuset de l’intégration » et de laïcité comme valeur de « respect », il a plaidé en faveur d’une laïcité qui soit une « manière de vivre » plutôt qu’une idéologie plaquée. « Ni la lutte contre la religion, ni la suspicion à l’égard de telle ou telle communauté, la laïcité est la liberté de croire ou de ne pas croire », a-t-il rappelé. « Les enfants des immigrés d’hier sont devenus des patriotes sans avoir à renier leurs origines », a-t-il assuré.

En réponse à ceux qui s’inquiètent de l’avenir de l’« identité » française, il a indiqué « ne pas vouloir laisser la place vide aux discours qui instrumentralisent la peur, la peur de la dissolution, de la dislocation, de la disparition. Vous savez ceux qui rêvent d’une France en petit, d’une France de dépit, d’une France en repli, bref d’une France qui ne serait plus la France ». Contre Nicolas Sarkozy, mais avec plusieurs mois de retard, il a défendu l’espace Schengen. « Schengen, c’est ce qui a permis aux pays d’Europe de s’organiser », a-t-il rappelé. Contre Marine Le Pen, il a fait parler les chiffres. « Un devoir de vérité s’impose », affirme-t-il : 200 000 entrées par an, un chiffre stable sur dix ans et faible rapporté à la population totale.

Ce discours offensif s’est rétréci lorsqu’il a fallu en venir aux propositions. La seule annonce sonnante et trébuchante de la soirée a concerné le budget du Musée auquel il a attribué, selon la demande du nouveau président du conseil d’orientation Benjamin Stora, une rallonge de près d’un million d’euros « dès l’année prochaine » pour parvenir à un « doublement budgétaire en cinq ans ».

Le président a certes accordé l’accès « de plein droit » à la nationalité française aux immigrés âgés de plus de 65 ans, arrivés il y a plus de vingt-cinq ans et ayant un enfant français. Mais cette mesure est si tardive qu’elle ne va concerner qu’un nombre limité de vieux travailleurs, qui, s’ils ne sont pas décédés, n’ont pas forcément eu le temps de constituer une famille en France. Au détour d’une phrase, François Hollande a évoqué les méfaits des discriminations. L’absence de traduction de cette observation oblige à constater que son quinquennat laisse pour l’instant peu de traces en la matière. Sa décision de faire de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme une « grande cause nationale » reste quant à elle au stade des bonnes intentions. Sur le droit de vote des étrangers, qu’il n’a évoqué que du bout des lèvres, le chef de l’État a renvoyé la responsabilité au Parlement et à la règle des trois cinquièmes nécessaires à l’adoption d’une réforme constitutionnelle.

Que signifie un tel discours sans propositions dignes de ce nom ? Intervenues en début de mandat, de telles envolées auraient ouvert des perspectives. À mi-mandat, elles sonnent creux. Trop peu, trop tard. François Hollande se dit prêt à partir au « combat ». Mais tout se passe comme s’il se présentait à mains nues, alors que ses opposants sont munis d’armes véritables.

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