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Au PS, Cambadélis ressemble au chef d'orchestre du Titanic

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Mettre la charrue sans se soucier de l'état des bœufs. Ce samedi, lors d'un conseil national extraordinaire, le PS a retrouvé ce huis clos qui lui sied si bien, dans un sous-sol de l'Assemblée nationale. Une semaine après avoir adopté une nouvelle « charte de valeurs » (lire ici), dans un hangar retranché à proximité du périphérique parisien, où les CRS faisaient office de cordon de sécurité face à la coordination des intermittents, chômeurs et précaires, qui manifestaient avec virulence leur rejet du socialisme au pouvoir.

Cette fois-ci, revenus dans l'environnement calme du VIIe arrondissement de la capitale, les hiérarques du PS ont écouté leur premier secrétaire « par intérim » (car non élu directement par les militants), Jean-Christophe Cambadélis, leur vanter son projet de rénovation interne. Une intention qui en a dérouté plus d'un, celle de la construction d'un parti à 500 000 adhérents, alors même qu'ils n'ont été que dix fois moins à voter il y a dix jours, lors de bien factices “états généraux”. Qu'importe pour Cambadélis, la réalité politique, ou la parfaite incongruité d'un conseil national appelant à « ouvrir les portes et fenêtres du parti » lors d'une réunion à huis clos, lui entend faire montre de son activisme dans le parti, ne s'estimant comptable que de cela, et non de la politique du gouvernement ou des déroutes électorales à venir.

Jean-Christophe Cambadélis, au siège du PS à Paris, le 13 décembre 2014Jean-Christophe Cambadélis, au siège du PS à Paris, le 13 décembre 2014 © S.A

Alors, il agite les bras, dénonce le péril fasciste et ceux qui à gauche ne veulent pas se ranger derrière le PS sans poser de questions. Il n'élude pas les difficultés, mais n'entend pas les traiter au fond, en s'interrogeant sur l'idéologie. Son sujet à lui, c'est uniquement l'organisation. Et son souci semble être d'en faire le plus possible, pour assurer son élection à la tête du parti, lors du prochain congrès de Poitiers, au début du mois de juin 2015. Tant pis s'il apparaît chaque semaine un peu plus comme une parfaite allégorie du chef d'orchestre du Titanic, il a la baguette et n'entend pas la lâcher, lui qui prétend au poste depuis vingt ans maintenant.

Pour asseoir sa légitimité et décourager toute velléité concurrente, Cambadélis a donc dévoilé son plan de modernisation du parti (révélé ici par Libération), sur lequel il a fait travailler son plus proche lieutenant depuis les années trotskystes et de la Mnef, jusqu'au premier cercle de l'entourage de Dominique Strauss-Kahn, le député Christophe Borgel. Le rapport qu'il a présenté est un étrange mélange organisationnel mi-OCI mi-Désirs d'avenir, une réflexion théorique militante laissant espérer qu'avec la rigueur de la formation lambertiste des années 1970, alliée à l'ouverture telle que prônée par Ségolène Royal entre 2006 et 2008, les icebergs pourraient être évités.

Borgel prône une participation accrue des militants, une grande campagne d'adhésion avec baisse des cotisations et incitation à abandonner certains rituels d'accueil et d'intégration du nouveau militant dans sa section, ainsi que le développement d'un réseau social interne sur le Web, dont on n'a pas vraiment compris la différence avec la « Coopol » aujourd'hui en déshérence. Cette modernisation à la sauce Désirs d'avenir irait de pair avec de vieilles règles issues de l'Organisation communiste internationaliste, faisant reposer sur la direction nationale du parti une responsabilité accrue de l'animation militante.

Est notamment évoquée la mise en débat de thèmes de discussion imposés aux secrétaires de section par le bureau national, ou la relance de sessions de formations militantes dont seraient responsables tous les secrétaires nationaux. On retrouve aussi de l'OCI des années 1970 cette propension fascinante à édicter des ambitions totalement démesurées faisant fi du contexte politique actuel, comme cette volonté de faire grossir le PS à 500 000 adhérents, via l'octroi à chaque militant de carnets de cartes d'adhésion, qu'il pourrait fièrement déployer sur les marchés.

Lors de son point presse d'après conseil national, samedi, Cambadélis n'a pu réprimer une bouffée nostalgique de ses années de responsable du secteur étudiant de l'OCI, quand il ressuscita, pince-sans-rire, l'importance des « tâches militantes » en matière de recrutement : « Si chaque militant recrute dix personnes, nous explosons l'objectif ! » Il est cependant intéressant de noter que l'exercice de primaires ouvertes a totalement disparu du plan de rénovation « made in Camba », alors même qu'il a été la seule innovation concluante et efficace du PS ces dernières années, et qu'il aurait pu être un instrument de renouvellement du personnel politique local.

De même, aucune référence n'est faite à l'usage de référendums militants (à l'image de celui mis en œuvre par Martine Aubry en 2010, qui fut le point de départ de la réforme du cumul des mandats). On se demande bien alors à quoi peut servir un parti à 500 000 adhérents, si ce n'est à faire un compte rond, aussi joli qu'improbable.

Car il reste une question décisive à laquelle cette entreprise énigmatique de rénovation ne répond pas : ouvrir les portes et les fenêtres d'une maison permet-il de la rendre plus désirable, quand son état de délabrement est aussi avancé ?

Un peu désarmé et désarmant, Cambadélis a lui-même parfaitement résumé la position des sceptiques du parti, vis-à-vis de son ambition modernisatrice : « Si on veut faire des adhésions, il est nécessaire de mener une politique qui le permette. » Or, le premier secrétaire n'a pas de réponse à cette remise en cause existentielle, celle d'un socialisme au pouvoir qui démobilise toujours plus les socialistes dans leur parti.

« Il est impensable d'appeler des gens à adhérer sans expliquer ce que le parti pense du gouvernement, s'étrangle Jérôme Guedj, figure de l'aile gauche du PS. Il n'est pas inintéressant de réfléchir au fonctionnement du parti, mais dans le moment, cela revient à passer son temps à regarder ailleurs que du côté de l'action gouvernementale. » Pour un secrétaire national appartenant à la majorité de Cambadélis, le conseil national du parti devient « effrayant », en ce qu'il « est chaque mois un peu moins le reflet de la société ». Et de quitter la séance, en soupirant : « On tourne en boucle, on s'autocongratule, mais on ne porte jamais de vrais débats. »

Pour le sénateur et secrétaire national David Assouline, la rénovation du PS entamée par Cambadélis va dans le bon sens, car elle anticipe en fait la situation du parti dans un futur proche, une fois survenues les déroutes électorales annoncées : « On entame un retour aux années 1970, quand le parti avait tout à gagner. Il va falloir régénérer le parti avec des sympathisants et des acteurs du mouvement social qui n'ont pas un engagement fondé à de seules fins électoralistes. Bon, il y a aussi des arrière-pensées et un congrès bientôt, alors il faut montrer qu'il est actif. » « Il joue la montre comme il peut et si possible en parlant le moins possible de l'exécutif, dit un autre dirigeant de la rue Solférino, le soutenant comme la corde soutient le pendu. Son objectif, c'est d'animer un maximum le parti, d'occuper l'espace, quitte à apparaître "hors-sol" ou en total décalage avec la situation. »

Face à ces critiques, qui sont autant de limites au raisonnement strictement structurel de Cambadélis, ce dernier se contente d'ânonner que « les contestataires du PS n'ont pas à participer à la critique gouvernementale, mais à être d'accord ou pas avec la position du parti », qu'il juge « équilibrée ». Et de citer l'épineux sujet de la loi Macron, et du travail du dimanche en particulier, sur lequel le PS a rendu public un « memorandum » listant une série d'exigences (lire ici), et pour lequel il « préconise le compromis, afin d'arriver à une situation acceptable par tous ». Avec cette loi Macron, Cambadélis est aujourd'hui au pied du mur, contraint de s'engager dans un débat de fond (il a invité le ministre de l'économie au premier bureau national de janvier), alors qu'il n'aime rien tant que se limiter à l'organisation, la tactique et la stratégie.

En milieu de semaine, Martine Aubry a une nouvelle fois dit avec force son opposition, et ce samedi, l'une des interventions les plus remarquées (jusque chez certains membres de la direction du PS) fut celle de Benoît Hamon, son challenger le plus sérieux pour la conquête du parti, insistant sur la nécessité pour le PS de « ne pas accompagner la société de consommation », mais plutôt de se mobiliser pour « établir une frontière entre le marché et la société ».

Comme il y a un mois, lors du précédent conseil national où il s'était exprimé sur la reconnaissance de la Palestine et non sur le calendrier du congrès, l'ancien ministre éphémère de l'éducation nationale a « choisi de ne pas se mêler des luttes intestines lunaires actuelles », selon les termes de l'un de ses proches, Roberto Romero, pour qui Hamon « essaie de politiser le débat sur la question de l'orientation du gouvernement, afin de montrer pourquoi il l'a quitté ».

« Dans le marasme lugubre de ce conseil national, Hamon a marqué les esprits, explique John Palacin, un conseiller national proche d'Arnaud Montebourg. Ça nous change un peu de la rhétorique du péril fasciste que nous sert une direction qui se croit à la veille de la guerre d'Espagne, et qui va nous intimer jusqu'à la lie de rester soudé et de taire nos divergences. »

Pour l'heure, Cambadélis ne compte pas changer de registre. Son objectif est simple : rester le seul candidat possible à sa propre succession lors du futur congrès de Poitiers, en faisant se ranger derrière lui aussi bien les proches de François Hollande et les modérés du parti (comme les proches de Pierre Moscovici ou Vincent Peillon), que Martine Aubry et ses proches. Si cela fait une majorité du parti, il aura alors tout loisir de continuer à faire des plans (de rénovation) sur la comète. Mais y aura-t-il encore des bœufs pour emmener la charrue socialiste dans les étoiles ?

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