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La fin du règne socialiste en Midi-Pyrénées

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« Si les dégoûtés s'en vont, ne resteront plus que les dégoûtants. » L'adage, attribué à Pierre Mauroy, est redevenu à la mode en Midi-Pyrénées. Aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur du Parti socialiste, l'expression fait florès et sonne affreusement juste. Entre l'affaire Arif, la privatisation de l'aéroport Toulouse-Blagnac, la gestion du barrage du Testet, le bilan de mi-mandat de François Hollande ou encore le manque de renouvellement de la classe politique locale, tout est fait pour que l'hémorragie militante se poursuive. 

« Depuis quelques jours, dans les cafés, les gens n'arrêtent pas de parler de la privatisation de l'aéroport, affirme la conseillère régionale Virginie Houadec (PS). Le président de la région, Martin Malvy, dit qu'il n'a pas été informé des étapes du projet, ni du contenu, ni des sommes. J'en suis scandalisée. Franchement, qu'est-ce que ça veut dire de vendre des fleurons rentables ? » « Ils ont décidé de se séparer des bijoux de famille et ce n'est qu'un début », déplore le secrétaire national du parti de gauche en Haute-Garonne, Manuel Bompard. La suite, a décrété le ministre de l'économie Emmanuel Macron, ce sont les aéroports de Nice et Lyon. Mais pour Manuel Bompard, « ce n'est pas avec des privatisations qu'ils vont empêcher le désaveu massif du PS ».

Les militants votent à la fédération socialiste de Haute-Garonne.Les militants votent à la fédération socialiste de Haute-Garonne. © Yannick Sanchez

À la fédération socialiste de Haute-Garonne, le poster de Kader Arif, premier secrétaire fédéral de 1999 à 2008, trône toujours au milieu de la salle d'accueil. C'est ici que le natif de Castres, ancien joueur de rugby, a posé ses premiers jalons en politique, repéré par Lionel Jospin dans les années 1980 et adoubé par François Hollande quand il était premier secrétaire du Parti socialiste. À la « Fédé », on ne touche pas à Kader, l'enfant du pays. « Présomption d'innocence », clament quelques militants venus voter pour désigner leurs candidats aux cantonales, prenant soin d'éviter le débat sur l'intégrité de l'ancien secrétaire d'État aux anciens combattants, qui a dû démissionner après une perquisition dans son ministère en marge d'une affaire de favoritisme visant plusieurs membres de sa famille.

Malgré le froid de décembre qui perce les briques et imprègne le carrelage blanc, une vingtaine de fidèles tiennent les urnes, les plus optimistes. « On critique beaucoup les politiques mais c’est un don de sa vie », raconte Zoé, secrétaire de section et trésorière du Mouvement des jeunes socialistes (MJS). Un membre des MJS qui souhaite rester anonyme se montre plus critique : « J'ai personnellement tracté pour Kader Arif aux législatives de 2012. S'il s'avère qu'il est mouillé dans cette histoire, j'aurai vraiment les boules de m'être bougé pour un traître. » 

Alia est devenue membre du Parti socialiste en 2011. Elle est depuis deux ans en charge de la commission laïcité au secrétariat fédéral de la Haute-Garonne. « Vous voyez que le parti n'est pas bloqué, soutient-elle. Quand on lit les contributions des sections aux états généraux, on se dit que le Parti socialiste est vivant. » Entendant la conversation, Suzy Candido, militante de 72 ans, enrage. « Quelle foutaise ces états généraux ! Quand c’était Sarkozy, au moins je pouvais dire mon désaccord. Mais là c'est pire, je peux pas gueuler parce que c’était mon candidat, même si au fond j'ai toujours su que Hollande n'était pas socialiste. Ça m'attriste mais je pense qu’on doit au moins avoir 30 % de militants qui sont partis », estime celle qui se dit proche de Gérard Filoche. 

Il est 23 heures, dans son bureau, Sébastien Vincini, le premier fédéral de Haute-Garonne, achève sous l'œil de Jean Jaurès le calcul des votes de la journée, visiblement satisfait. « L'heure est à la mobilisation générale », lance-t-il. « Il faut réapprendre à s’organiser, à militer. La situation n'est pas si mauvaise, ajoute-t-il. On est au niveau des primaires de 2011 en nombre de militants, j'ai un très bon niveau de reprise de cartes dans la fédération. » 

Sébastien Vincini dans son bureau de premier fédéral.Sébastien Vincini dans son bureau de premier fédéral. © Yannick Sanchez

Un avis qui tranche avec celui de Laure Durand, ancienne conseillère nationale du PS qui a quitté le parti avec fracas en septembre dernier (on peut retrouver sa lettre de démission ici) et qui a depuis décidé de créer un cercle de réflexion politique en dehors de tout clan : « À chaque réunion, il y avait des gens qui théâtralisaient leur départ en jetant leur carte par terre, se rappelle l'ancienne colistière du maire sortant, Pierre Cohen. Mais je crois que les départs se font en continu et en souterrain. Il y a beaucoup de personnes qui partent sur la pointe des pieds. » 

Cette déçue du socialisme, approchée depuis par le parti de Pierre Larrouturou, Nouvelle Donne, regrette le manque de débat d'idées dans les sections du PS de la Haute-Garonne. La fédération serait minée par ce qu'elle décrit comme du « militantisme alimentaire » : « Les trois quarts des assemblées étaient constituées de gens qui travaillaient pour des élus. J'étais une des seules à avoir un boulot de chef d’entreprise et à ne pas dépendre du PS. » Selon elle, en cas de revers aux prochaines échéances électorales, la fuite des militants risque de se poursuivre. « Le militantisme alimentaire, c’est surtout lié au conseil général et régional. S'ils perdent ces élections, ça va être la bérézina. »

En Haute-Garonne, Toulouse a déjà viré de bord aux dernières municipales. Aux sénatoriales, la droite a raflé trois sièges contre deux pour le PS. Aux européennes, l'extrême droite a atteint des sommets. « C'est simple, résume le premier secrétaire fédéral, sur la base des résultats aux européennes, dans aucun canton le PS n'atteint la barre des 12,5 % des inscrits. » Plus grave, dans 11 cantons sur 27, le FN caracole. Qu'il paraît loin, le temps où le conseiller général Lionel Jospin se baladait en terrain conquis à Cintegabelle, dans les confins du Lauragais. Le canton d'Auterive, qui englobe la ville d'un peu moins de 3 000 âmes, pourrait même voir l'extrême droite flirter avec les 30 % des voix à la prochaine échéance électorale, si l'on se fonde sur les derniers résultats aux européennes. 

« On va pas aller à la défaite en chantant, se reprend le premier fédéral de Haute-Garonne. On a un maillage territorial très important. Ici, une commune sur cinq a une section. » Élu au poste depuis seulement quelques mois, Sébastien Vincini a du pain sur la planche. Accusé de gérer les ressources de manière opaque et d'avoir forcé sur les notes de frais, son prédécesseur n'a tenu qu'un an et demi avant de jeter l'éponge. « En arrivant, j’ai pris des responsables un peu partout et j’ai fait ouvrir tous les comptes, se justifie Sébastien Vincini. Il y a un groupe de travail qui va me fixer les règles. Je ne veux pas qu'on me dise à la fin, il nous a laissé les cadavres dans le placard. » 

« Y a plus de militants, il n'y a que des gens qui veulent faire carrière », témoigne un salarié du conseil général. Avec les deux conseils dirigés par des socialistes, un certain nombre de cadres du parti ont été employés. Certains sont au cabinet de Pierre Izard, d’autres de Martin Malvy à la région. « C’est devenu la bagarre pour avoir une place sur le radeau de la méduse. Et maintenant que les vieux lions sont en fin de carrière, les antilopes se rêvent en léopards. » Pour les vieux félins adeptes du cumul des mandats, la région Midi-Pyrénées est ce qu'il se fait de mieux. Et les conseils généraux du coin sont un havre politique pour les éléphants du parti.

Le siège de la région à Toulouse.Le siège de la région à Toulouse. © Yannick Sanchez

Au conseil général de Haute-Garonne, on trouve d'abord Pierre Izard, 79 ans, entré comme conseiller en 1967, il préside l'institution depuis 1988. « J'avais 7 ans quand je l'ai rencontré !, témoigne Jean-Pierre Vilespy, 43 ans, conseiller régional de l'opposition. Il était déjà maire de Villefranche-de-Lauragais, je le voyais parce que je faisais du saxophone dans une harmonie intercommunale. » 

Pierre Izard à un meeting d'Airbus en 2007.Pierre Izard à un meeting d'Airbus en 2007. © CC Guillaume Paumier

Ici, tout le monde se souvient d'au moins une des colères « légendaires » de Pierre Izard « À chaque fois qu’un préfet est nommé en Haute-Garonne, on lui explique qu’il y a deux dossiers à gérer, le maintien du rang économique d’Airbus… et les colères de Pierre Izard », raconte Pascal Pallas, rédacteur en chef du journal La Voix du Midi, qui a déjà subi plusieurs fois les foudres de l'élu. Après 47 ans de vie politique, Pierre Izard a finalement indiqué qu'il ne briguerait pas une nouvelle fois la présidence du conseil général. 

Le président du conseil général de l'Ariège, Augustin Bonrepaux, a un CV assez proche (voir l'article de Mathieu Magnaudeix) du notable haut-garonnais. Tout aussi discret sur le plan national, il a démarré en politique comme maire d'une petite bourgade ariégeoise en 1966. Devenu conseiller général en 1976 et député en 1981, il choisit de cumuler cette fonction avec celle de président du conseil général en 2001. Après 47 ans de vie politique, son règne est brutalement stoppé par une mise en examen à Toulouse dans une affaire de marchés publics. Pas de quoi effrayer les socialistes du cru. Au pied des Pyrénées, c'est dans l'Ariège rurale et montagnarde que l'on vote le plus pour le PS lors des scrutins nationaux, avec des poussées au premier tour à plus de 70 % dans certains villages.

Dans le Tarn-et-Garonne, Jean-Michel Baylet règne sans partage. Celui qui se dit au-dessus des lois (lire l'article d'Antoine Perraud) incarne avec sa famille le potentat local sans contre-pouvoir.

Jean-Michel Baylet lors du meeting de Toulouse du 13 avril 2007 de Dominique Strauss-KahnJean-Michel Baylet lors du meeting de Toulouse du 13 avril 2007 de Dominique Strauss-Kahn © Guillaume Paumier

Élu député du Tarn-et-Garonne en 1978, le président du groupe de presse monopolistique La Dépêche entre au conseil général en 1985 en remplacement de sa mère comme représentant du canton de Valence-d'Agen et comme président de l'assemblée départementale. Après avoir perdu son siège de sénateur en septembre dernier, Baylet pourrait se voir ravir celui de président du conseil général aux prochaines élections, mettant à mal cette dynastie Baylet qui durerait selon l'ancien préfet du Tarn-et-Garonne, Rigolet, « depuis 1904 ».

Sans être exhaustive, une telle photographie des élus locaux ne serait pas complète s'il n'était fait mention de Thierry Carcenac. Le président du conseil général du Tarn depuis 1991 (conseiller général depuis 1979) s'est rendu célèbre par sa réaction après le drame de Sivens : « Mourir pour ses idées est relativement stupide et bête », avait-il déclaré, quelques jours après la mort de Rémi Fraisse.

Pour bien comprendre le sommet de l'organigramme de la région, il convient d'aller faire un tour dans le Lot, à deux heures de route au nord de Toulouse. C'est à Figeac que se trouve le bastion du président du conseil régional Martin Malvy. L'homme n'a, depuis 1977, jamais cessé de siéger au conseil municipal de la ville, connue pour abriter une gigantesque reproduction de la pierre de Rosette « déchiffrée » par l'homme du pays, Champollion. 

La place des écritures, à Figeac.La place des écritures, à Figeac. © DR

En 1978, soit un an après son élection à la mairie de Figeac, Martin Malvy devient député du Lot, avant d'être nommé secrétaire d'État puis ministre du budget, en 1992, sous Pierre Bérégovoy. Ce n'est qu'en 1998 qu'il devient président de la région. Comble du cumul, l'ancien journaliste de La Dépêche du Midi et grand ami de Jean-Michel Baylet est également devenu en janvier 2014 le président du Grand Figeac, plus grande intercommunalité du Lot avec 79 communes et 122 élus. 

Martin Malvy (au centre) aux côtés d'André Mellinger, le nouveau maire de Figeac et vice-président de l'intercommunalité.Martin Malvy (au centre) aux côtés d'André Mellinger, le nouveau maire de Figeac et vice-président de l'intercommunalité. © Yannick Sanchez

Au bout de quatre heures de séance du conseil du Grand Figeac, au cours duquel 38 points ont été votés à la quasi-unanimité (trois voix contre qui ne pèsent pas beaucoup face à la centaine d'élus favorables), Martin Malvy accepte de répondre aux questions de Mediapart sur les contrats passés depuis 2008 entre le conseil régional Midi-Pyrénées et AWF Music puis AWF, deux sociétés détenues par des parents de Kader Arif (voir l'article ici) : « Vous verrez, quand tout ça sera fini, qu'il y a rien. Je dois être le seul, ou presque, président de région à avoir embauché à des postes de responsabilité deux magistrats de la Chambre régionale des comptes. Ils sont d'un scrupuleux, je leur fais toute confiance. Il y a eu une seule fois un concurrent toulousain (à AWF), leurs offres étaient deux fois supérieures au montant proposé. »

Quant à son récent voyage en Chine que la presse locale associe à la privatisation de l'aéroport Toulouse-Blagnac, Martin Malvy assure que « ça n'a aucun lien avec l'aéroport. On a rencontré des investisseurs chinois qui ont ouvert des magasins qui s'appellent Sud-Ouest France dans lesquels ils vendent nos produits agricoles ». Avant de poursuivre sur ses performances électorales : « En politique, ce qui compte, c’est de savoir si on est réélu ou pas. On peut être torché à 30 ans et réélu à 70 ans, ce sont les électeurs qui décident. Moi, j’ai fait le plus gros score national aux dernières élections régionales. »

Fort de son score de 67,77 % aux dernières élections régionales, Martin Malvy pourrait voir plusieurs responsables politiques soutenir sa candidature en vue d'un éventuel quatrième mandat à la région. Il aurait 79 ans. S'il était élu, il pourrait fêter ses cinquante ans de politique à la fin de son mandat. La députée de Haute-Garonne Catherine Lemorton annonce déjà son soutien : « Si Martin repart, je lui tope dans la main. Dans le marasme qu'on connaît, sa candidature n'est pas saugrenue. » À la fédération de Haute-Garonne, même les plus critiques quant au cumul des mandats des barons locaux tiennent ce discours : « Si tu mets un inconnu comme candidat avec une étiquette PS, c'est la débâcle assurée. »

« C’est une période de fin de règne, déclare Élisabeth Pouchelon, conseillère régionale (UMP). Il y a une usure du pouvoir de fait. Après six mandats de conseiller général, Malvy attaquerait son quatrième de régional. » La débâcle d'une gauche désunie pourrait venir plus tôt vu la dynamique de la droite en Haute-Garonne. Une victoire de l'UMP y serait historique en raison de l'ancrage du PS et anciennement de la SFIO qui n'y a connu que des victoires depuis 1947. 

À l'approche des élections départementales de mars 2015, les Verts et le parti de gauche ne veulent plus entendre parler du parti socialiste. « Les gens sont désabusés, déclare la secrétaire régionale des Verts, Véronique Vinet. Si, à l'échelle locale, on dit à nos militants qu'on va faire un ticket avec le PS, ils hurlent. » « Cette fois-ci, on n'ira pas les sauver, il faut qu'ils arrêtent de nous prendre pour des cheptels électoraux », fulmine de son côté Manuel Bompard. L'élu du parti de gauche veut sortir de la logique des partis en organisant prochainement des assemblées citoyennes de « tous ceux qui ne se résignent pas », à la manière de Podemos en Espagne. 

Le conseiller régional de l'opposition Jean-Pierre Vilespy ressort de sa besace une expression fameuse de l'Ariège : « On dit souvent ici que si tu prends une chèvre et que tu lui mets une rose dans le bec, tu la fais élire dans n'importe quel canton. » Signe de la fin d'une ère, en entretenant le doute sur la candidature de Malvy aux élections régionales, les socialistes ne sont pas prêts à prendre le risque. 

BOITE NOIRENous nous sommes rendus en Haute-Garonne et dans le Lot du mercredi 3 au dimanche 7 décembre. Sauf mention contraire, les personnes citées dans cet article ont été rencontrées durant cette semaine. Seul le président du conseil général Pierre Izard n'a pas souhaité nous recevoir.

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