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Uramin : la diplomatie parallèle d'Areva en Afrique

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Nom de code : Songaï. « En référence au grand empire africain du même nom qui est né dans la vallée du Niger au VIIIe siècle et qui a duré jusqu’à la fin du XVe siècle », indique un des plus proches conseillers d’Anne Lauvergeon, dans un long courriel d’explication auquel Mediapart a eu accès. Derrière cette appellation, se cache un des grands projets du groupe nucléaire en 2006 : créer une holding minière, basée en Afrique du Sud, qui permettrait de prospecter et d’exploiter sur tout le continent des gisements d’uranium et d’or, en association avec des intérêts privés africains ou travaillant en Afrique.  

Christine Lagarde, Nicolas Sarkozy, le président sud-africain Thabo Mbeki et Anne Lauvergeon en février 2008.Christine Lagarde, Nicolas Sarkozy, le président sud-africain Thabo Mbeki et Anne Lauvergeon en février 2008. © Reuters

Pour Areva, le secteur minier est alors une priorité. Non seulement la spéculation financière qui sévit sur l’uranium à cette période conforte son idée qu’il importe de se renforcer très vite dans ce domaine, où il figure parmi les premiers mondiaux. Mais c’est aussi l’activité où le groupe gagne le plus d’argent. Alors qu’Areva connaît ses premiers déboires, qu’il s’efforce de cacher à tous, avec l’EPR finlandais, il est important pour le groupe d’accroître ses ressources financières par ailleurs, afin de faire face et de ne pas se laisser brider dans ses ambitions.

Sur le continent africain, Areva aimerait aussi bien sortir du seul Niger, où le groupe est de plus en plus critiqué pour ses méthodes d’exploitation et où il entretient des relations compliquées avec les gouvernements successifs. D’où la volonté d’élargir les horizons du groupe ailleurs en Afrique.

Anne Lauvergeon, qui vient d’être reconduite à la présidence d’Areva au printemps 2006, paraît y placer de grands espoirs. Présentée comme la présidente qui incarne le renouveau du nucléaire, elle veut aussi afficher une nouvelle approche dans le secteur minier. La philosophie du projet est donnée ainsi : « Ne plus seulement exploiter les richesses de l’Afrique, mais faire la promotion des intérêts africains », précise ce conseiller. Cette nouvelle approche devrait lui permettre de se développer rapidement en Afrique et de contrer des concurrents de plus en plus intéressés par les ressources du continent, en lui donnant une influence politique incontournable.

Le groupe nucléaire se refuse aujourd’hui à donner le moindre éclaircissement sur le sujet comme sur toutes les autres questions posées. Il dit « réserver ses explications à la justice ». Cette dernière pourrait effectivement être intéressée. Car Songaï n’est pas seulement un projet minier. Il apparaît comme une des pièces manquantes du puzzle lié au scandale Uranim. La concomitance des dates, les personnes impliquées, certains faits, en tout cas, conduisent à penser qu’il sont étroitement associés dans l’esprit des concepteurs. Mais là encore, rien n’ira vraiment comme prévu. Le projet, conçu en tout petit comité au sein d’Areva, ne sera jamais réalisé comme prévu. La grande holding minière ne verra jamais le jour. Des alliances nationales sur lesquelles devaient s’appuyer le projet seront bien créées au Niger, en Centrafrique, au Congo. Mais alors qu’Areva semblait afficher la volonté de travailler autrement en Afrique, la tentative finira avec les pires pratiques de la Françafrique.

Le projet Songaï est né en 2006. Très vite, il est décidé de créer une société minière en Afrique du Sud, la puissance montante du continent. C’est un pays qu’Anne Lauvergeon connaît bien. Elle siège depuis 2005 à l'International Investment Council de l'Afrique du Sud, un conseil formé par le président sud-africain de l’époque, Thabo Mbeki pour l’aider dans les développements du pays. C’est à ce conseil qu’Anne Lauvergeon entend parler la première fois d’Uramin, a expliqué un connaisseur du dossier, cité dans une de nos précédentes enquêtes sur le sujet. La présidente d’Areva ne lâchera plus le dossier.

Tandis que les manœuvres d’approche se multiplient autour de la société minière canadienne, les mêmes équipes s’activent sur le projet de création d’une société minière en Afrique du Sud. Dès le début janvier 2007, un projet de statuts d’entreprise est discuté en petit comité. Il est alors question de créer une société anonyme détenue à 100 % par Areva. Les préoccupations des responsables du projet reflètent celles de tous les grands groupes : il est beaucoup question d’optimisation fiscale.

Un homme est particulièrement chargé du projet : Zéphirin Diabré. Cet ancien universitaire, ancien directeur général adjoint du programme des Nations unies pour le développement (PNUD), né au Burkina Faso, a rejoint Areva en février 2006. Il est alors le conseiller spécial d’Anne Lauvergeon, chargé des affaires internationales et particulièrement de l’Afrique et du Moyen-Orient. C’est lui qui supervise le projet Songaï, dont il a imaginé le nom. Il a quitté Areva en 2011, peu après Anne Lauvergeon, et s’est reconverti comme conseiller dans le financement minier. Il figure parmi les principaux opposants politiques au régime militaire qui, en octobre, a renversé le président Blaise Compaoré au Burkina Faso.

Le 11 janvier 2007, Zéphirin Diabré adresse un long courriel aux équipes minières d’Areva, et notamment à Daniel Wouters, pour leur présenter l’état d’avancement du projet. « L’idée, écrit-il, c’est d’avoir un instrument qui ne s’encombre pas trop du label Areva mais surfe plutôt sur un label africain. C’est aussi une manière d’inaugurer un nouveau type de partenariat avec le secteur privé africain, qui deviendra vite majoritaire dans cette société et fournira ainsi de nouvelles portes d’entrée sur le continent. »

Dans un premier temps, la société doit être contrôlée à 100 % par Areva, selon le schéma arrêté. Par la suite, une augmentation de capital est prévue afin de laisser la place à des intérêts africains, Areva ne conservant qu’une minorité de blocage.

« La présidente voulait d’ailleurs que l’ouverture du capital aux Africains se fasse dès le début. Je l’en ai dissuadée. Je crois qu’il est bon de lancer la chose en commençant 100 % par Areva mais en indiquant dès le départ notre intention d’ouverture et la faire avec quelques succès initiaux qui ne seront pas difficiles à obtenir. Au niveau national, l’exploitation d’un permis donnera lieu à la création d’une JV (joint-venture – ndlr) dans laquelle bien entendu des intérêts africains seront associés. La grande holding basée à Jo’burg (Johannesburg, Afrique du Sud – ndlr) en s’appuyant sur un bureau à Kin (Kinshasa, Congo – ndlr) et un bureau en Afrique de l’Ouest, chargés de sniffer les permis et de les récupérer. Donc elle n’est pas soumise aux contraintes du BEE (Black Economic Empowerment, programme politique et économique mis en place par le gouvernement sud-africain pour remédier aux inégalités après l’apartheid – ndlr) », détaille-t-il alors.

Il se désignera comme le grand ordonnateur de tout cela, celui qui est capable d’ouvrir bien des portes en Afrique. « J’envisage pour cela de passer un certain temps par mois à Jo’burg. Pour aider le CEO que nous recruterons. Sur cette question, il va de soi qu’un CEO de nationalité sud-africaine serait un plus pour nous, surtout s’il est noir », conclut-il avec cynisme.

Il faut normalement beaucoup de temps et d’argent pour bâtir un tel projet. Mais cela ne semble pas être un problème dans l’esprit des équipes d’Areva. Il faut aussi des soutiens politiques au plus haut niveau pour bâtir une holding minière à l’échelle du continent africain. Mais là encore, Anne Lauvergeon ne semble pas douter de sa capacité de réussir. N’est-elle pas une des femmes les plus puissantes du monde – “Atomic Anne” –, à la tête d’un des premiers groupes nucléaires mondiaux ? Et puis, elle a des appuis du côté des responsables politiques, français comme africains, en particulier le président sud-africain.

Thabo Mbeki affiche alors de grandes ambitions pour son pays. Il entend faire de l’Afrique du Sud la puissance dominante du continent, une puissance nucléaire civile et militaire. De nombreux travaux et missions sont engagés pour conforter ses ambitions. Dès avril 2006, il a reçu le président de Centrafrique, François Bozizé. À l’issue de cette rencontre, le département des affaires étrangères sud-africain publie un communiqué pour souligner les larges intérêts communs entre les deux pays, notamment « dans le domaine minier et l’exploration ». Dans un câble diplomatique de décembre 2006, un responsable diplomatique américain écrit que l’intervention de l’Afrique du Sud est certainement destinée à aider à stabiliser la République centrafricaine, mais ajoute que « les intérêts miniers, même s’ils ne sont pas le facteur déterminant, ont joué sans doute un rôle dans la décision du gouvernement sud-africain de s’engager ».

Parallèlement, l’entourage de Thabo Mbeki s’active beaucoup autour d’Uramin. La société minière, créée en 2005 par Stephen Dattels, rencontre alors de grandes difficultés pour obtenir des droits miniers en Afrique du Sud et ailleurs. Jusqu’à ce qu’elle engage des proches du président et des membres influents du gouvernement. Brusquement, les portes s’ouvrent, les négociations s’engagent, les permis d’acquisition arrivent. Cela finit par la nomination de Samuel Jonas à la présidence de la société.

Ghanéen de naissance, cet homme d’affaires, qui passe l’essentiel de son temps à Londres, est une figure reconnue du pouvoir économique africain et exerce une influence notable en Afrique du Sud. Il est présenté alors comme un proche du président sud-africain et siège lui aussi à l'International Investment Council de l'Afrique du Sud. Un temps administrateur de Vodafone, l’homme d’affaires, qui a été décoré par la reine d’Angleterre, est très connu dans le monde minier.

Comme par hasard, il devient à partir de septembre 2006 président et actionnaire d’Uramin. Juste au moment où Areva engage les premières négociations avec la société canadienne. Pour les connaisseurs du dossier et certains salariés du groupe nucléaire, il est celui qui est délégué pour veiller aux intérêts, publics et surtout privés, l’agent de liaison entre le monde des affaires et les milieux politiques africains.

Si telle a été sa mission, il l’a parfaitement accomplie. Dès fin octobre 2006, c’est lui qui écrit pour refuser la première offre de 471 millions de dollars pour racheter Uramin, présentée par Areva. « Nous devons laisser l'histoire Uramin mûrir avant de continuer des discussions détaillées », écrit Sam Jonah dans une lettre révélée par l'hebdomadaire Challenges. Celui-ci estime alors que la hausse continue des cours de l’uranium et le fait que « la valeur des licences obtenues en Namibie et en Afrique du Sud (…) ne sont pas reflétées dans les prix de marché ». Il conclut : « Durant cette période, nous ne pourrons pas signer un accord exclusif avec Areva, mais nous ne chercherons pas activement une transaction alternative. » À ce moment-là, Uramin a décidé d’abandonner la bourse de Londres pour aller se coter à Toronto. La folle partie de poker est engagée, qui se terminera par une OPA de 2,5 milliards de dollars.

En août 2012, le quotidien sud-africain Mail & Guardian a publié une très longue enquête sur l’affaire. Les révélations sont très lourdes. Le journal y affirme, à partir de nombreux témoignages, qu’Areva a sciemment surpayé Uramin, en vue de s’acheter les faveurs de la présidence sud-africaine, qui souhaitait alors développer le nucléaire, pour y placer ses EPR. « Le deal était qu'Areva achète Uramin et gagne en retour l'appel d'offres. Areva payait trop cher Uramin – cela valait la moitié. Mais le groupe français allait décrocher des contrats pour des réacteurs et une usine d'enrichissement, pour une valeur dix fois supérieure », expliquait un « consultant d'Uramin » au quotidien sud-africain. Aucun démenti d’Areva ne paraîtra à la suite de cette publication.

Si tel était le calcul, il s’est révélé totalement erroné. En 2008, Thabo Mbeki a été chassé de la présidence de l’Afrique du Sud, à la suite de conflits internes au sein de l’ANC, le parti au pouvoir. Le nouveau président du pays s’est empressé, deux mois après sa nomination, d’enterrer tous les projets nucléaires du pays.

Mais entre-temps, les fameuses « JV » ( joint-ventures) évoquées par Zéphirin Diabré dans le projet Songaï pour faire monter en puissance les intérêts africains, ont commencé à voir le jour en s’appuyant sur le rachat d’Uramin, dont la structure a été conservée aux îles Vierges britanniques. Mais elles sont loin de ressembler aux montages clairs qu’aurait pu souhaiter le groupe. Ce ne sont au contraire qu’opérations obscures qui permettent de faire circuler l’argent facilement sous l’apparence de la légalité des affaires, que manœuvres en coulisses, menées par des intermédiaires ou des « facilitateurs », faux nez d’intérêts cachés.

La première joint-venture est signée avant même le rachat d’Uramin, avec les propriétaires de la société minière justement. Juste avant l’annonce de l’OPA, Stephen Dattels a acquis, au nom d’Uramin, des droits miniers, juste à côté du gisement d’Imouraren au Niger, propriété d’Areva. Le groupe public a accepté que ces droits ne fassent pas partie de la transaction. Mais après la vente, un accord est passé pour associer les gisements détenus par Stephen Dattels à l’exploitation à venir d’Imouraren.

L’entente est si cordiale entre les deux partenaires qu’Areva, se souvenant qu’il a des archives, les mettra obligeamment à la disposition des équipes d’Uramin, après le rachat. Dans l’espoir de les aider à repérer d’autres gisements d’uranium à prospecter, peut-être ? Mais l’essentiel des données étant écrit en français, celles-ci n’ont pas pu, semble-t-il, les exploiter autant qu’elles l’auraient souhaité.

Pas rancunier pour deux sous, le groupe public continuera par la suite à faire des affaires avec Stephen Dattels. En 2010, alors que l’échec d’Uramin est avéré, Areva accepte de racheter au fonds d’investissement qu’il contrôle, Polo Ressources, les 10 % qu’il détient dans Marenica Energy, un gisement minier en Namibie situé juste à côté de Trekkopje. Le gisement semble être aussi inexploitable que le premier. Le groupe public n’en parle plus.

La deuxième grande opération d’alliance nationale naît en Centrafrique. L’envolée des cours de l’uranium, les multiples émissaires qui se précipitent à Bangui, la spéculation autour du gisement de Bakouma ont créé beaucoup de convoitises et d’envie à Bangui. Chacun veut sa part. Le gouvernement centrafricain entend être associé aux fruits de l’exploitation future du gisement. Il se sent d’autant plus en position de force que les droits miniers du site, en dépit de toutes les assurances données par les conseils juridiques d’Areva au moment de l’OPA, ne sont pas assurés (voir pour plus de détails notre enquête de janvier 2012 : Balkany ou le retour des Katangais).

Patrick Balkany à Bangui avec une militante arborant un tee-shirt à l'effigie de Bozizé.Patrick Balkany à Bangui avec une militante arborant un tee-shirt à l'effigie de Bozizé. © dr

Mais le président de l’époque, François Bozizé, et ses proches, notamment son neveu et puissant ministre des mines, Sylvain Ndoutingaï, ainsi que tout son entourage, dont Saifee Durbar, conseiller de Bozizé – le Radjah dans Radioactif, le roman de Vincent Crouzet – entendent bien aussi en tirer bénéfice. Ils ont acquis 6 gisements miniers juste au nord du site de Bakouma et entendent les monnayer très cher : 250 millions de dollars, confirmera plus tard le président du conseil de surveillance d’Areva, Jean-Cyril Spinetta, au micro de France Inter. Le chiffre aurait été inspiré par les rumeurs donnant le montant des commissions perçues par le président sud-africain, Thabo Mbeki.

La querelle s’envenime avec Areva. Zéphirin Diabré, envoyé en émissaire, n’arrive à rien. La situation devient si confuse que tout le monde s’en mêle : le Quai d’Orsay, l’Élysée. C’est à ce moment-là que Patrick Balkany fait son apparition à Bangui.

Même si le maire de Levallois connaît bien l’Afrique et fait figure d’un des héritiers des réseaux africains de Pasqua, toutes les pistes finissent par aboutir à Nicolas Sarkozy. Personne n’imagine qu’il puisse agir sans l’assentiment de son ami très proche. Ce dernier suit d’ailleurs de très près le sort d’Areva, bien avant son élection à la présidence de la République. Certains au ministère des finances se souviennent des interventions de Claude Guéant, envoyé spécial de Nicolas Sarkozy, faisant pression en 2005-2006 jusque dans le bureau du ministre Thierry Breton, pour que Bercy favorise les projets du groupe nucléaire.

De mémoire, certains salariés disent avoir entendu prononcer le nom de Balkany dès 2006, dans les couloirs du groupe. Mais c’est d’abord sur des dossiers au Kazakhstan que son nom circule. Areva y exploite un de ses gisements d’uranium les plus rentables depuis 1992. Mais le maire de Levallois entretient aussi depuis fort longtemps des relations avec le président kazakh, Nursultan Nazarbaïev, comme il l’a rappelé dans un billet de blog à l’occasion d’un voyage présidentiel en 2009. Son nom surgit à nouveau dans le groupe début 2008, alors que la dispute entre Areva et le pouvoir centrafricain bat son plein.

Interrogé en janvier 2012 sur son rôle dans ce dossier, le maire de Levallois n’avait pas répondu à nos questions. Mais quelques semaines plus tard, dans un entretien au Parisien, il avait confirmé qu’il avait bien servi d’intermédiaire dans la transaction entre le gouvernement centrafricain et Areva. « J’effectuais mon travail de parlementaire, membre de la commission des affaires étrangères, c’est-à-dire l’entretien de relations amicales avec d’autres pays, et notamment ceux d’Afrique où les grandes sociétés nationales ont des intérêts », expliquait-il alors.

« Patrick Balkany n’est jamais intervenu dans la négociation. Il est juste l’ami de François Bozizé. Mais il n’a eu aucun rôle », soutient aujourd’hui Sébastien de Montessus, alors responsable de la direction minière d’Areva et chargé à ce titre de négocier avec le gouvernement centrafricain.

« M. Balkany n’a rien à voir dans ce dossier. En revanche, on m’a sollicité. Il y avait une mauvaise compréhension entre les deux parties. Les choses sont à présent réglées. C’est cela un rôle de facilitateur », avait expliqué de son côté Georges Forrest dans un entretien à Jeune Afrique, en avril 2009.

Extrait de l'accord signé entre Areva et le gouvernement centrafricain.Extrait de l'accord signé entre Areva et le gouvernement centrafricain.

Facilitateur, c’est comme cela que cet homme d’affaires belge, qui a fait toute sa fortune au Congo (ex-Zaïre) en exploitant les immenses richesses du pays, grâce à sa maîtrise de l'art de nager comme un poisson dans les eaux troubles du post-colonialisme du Congo, se présente dans de nombreux dossiers. C’est comme cela qu’il signera l’accord – publié par Bakchich – passé en juillet 2008 entre Areva et le gouvernement centrafricain, où le groupe concède 10 millions de dollars pour les rachats de droits et 8 millions d’avance aux finances publiques.

Facilitateur. C’est comme cela aussi que Sébastien de Montessus explique la présence de Georges Forrest dans l’accord signé en Centrafrique, dans un mail interne largement diffusé auprès des responsables du groupe. « Pour lever toute ambiguïté éventuelle, M. Forrest n’a touché aucune rémunération pour cette intervention. Son intervention a été faite à ma demande du fait de la confiance dont il jouit auprès du président Bozizé et sur recommandation à la fois du Quai d’Orsay et de la cellule Afrique de l’Élysée. »

Georges Forrest.Georges Forrest. © Dr

Georges Forrest est si conciliant qu’il accepte une deuxième fois de jouer l’intermédiaire dans les négociations entre Areva et les proches du président Bozizé, détenteurs de droits miniers en périphérie de Bakouma à l’été 2009. Le groupe public leur a versé 40 millions de dollars pour racheter les titres de gisements. Areva connaît aussi bien ces gisements que celui de Bakouma. Il y a encore des traces dans ses archives : ils sont tout aussi inexploitables.

Jusqu’alors, l’homme d’affaires belge ne s’était intéressé qu’au cuivre, au cobalt, à l’or, aux diamants, mais jamais à l’uranium. « Trop dangereux », disait-il. Mais la fréquentation assidue d’Areva semble lui avoir donné des idées. Il se prend brusquement de passion pour ce minerai. En association avec Fabien Singaye, conseiller particulier du président centrafricain, et Patrick Balkany, il rachète les droits miniers de sept gisements, toujours à côté de Bakouma, contrôlés jusqu’alors par un autre homme d’affaires congolais, Richard Ondoko, et la société suisse Uranio.

À la mi-décembre 2009, Georges Forrest passe un accord en bonne et due forme avec Areva. Les deux partenaires décident de créer une joint-venture, Areva Explo, immatriculée à Bangui, détenue à 70 % par le groupe public et à 30 % par l’homme d’affaires. Cette société commune a pour but de développer les activités minières dans la région. « Areva espère profiter des nombreux contacts que Georges Forrest a noués dans cette région d’Afrique pour mener à bien ses projets. » La deuxième JV est née.

À cette occasion, Georges Forrest revend les parts acquises dans les sept gisements. Des salariés d’Areva se souviennent encore des négociations. En quelques minutes, le groupe, sur intervention de Sébastien de Montessus, avait accepté d’augmenter de 10 millions le prix pour le porter à 50 millions de dollars. Cela fait décidément beaucoup d’argent en peu de temps, d’autant que ces gisements, comme les précédents, sont difficilement exploitables.

« C’est vrai que nous avons payé 50 millions de dollars. Mais nous avons racheté sept gisements pour 40 millions de dollars. Surtout, nous avons obtenu pour 10 millions, grâce à Georges Forrest, les droits sur les barrages hydroélectriques, qui n’avaient eux non plus pas été assurés, ce qui rendait toute exploitation minière impossible. Comparé aux 550 millions de dollars dépensés pour acquérir les deux droits miniers de Bakouma qui étaient dans le portefeuille d’Uramin, c’est plutôt une bonne opération », défend Sébastien de Montessus. Pour mémoire, les anciens actionnaires d’Uramin avaient acquis les droits de Bakouma en 2005, pour 26 millions de dollars.

Georges Forrest a moins de chance avec son projet de rachat de Forsys Metals, une société minière qui ressemble comme une sœur à Uramin (voir notre enquête). Créée en 2004, cotée à Toronto, elle possède des droits miniers sur un gisement d’uranium, juste à côté de Trekkopje en Namibie. L’homme d’affaires belge, qui a fait une offre de rachat en novembre 2008, est incapable d’apporter les fonds nécessaires en septembre 2009. Est-ce les actionnaires qu’il aurait présentés qui n’auraient pas convenu aux autorités – Washington aurait redouté qu’ils exportent de l’uranium vers l’Iran –, comme le dit la version officielle ? Ou est-ce Areva, où les dissensions au sein de l’équipe s’installent au fur et à mesure que le rachat d’Uramin se révèle catastrophique, qui aurait décidé de jeter l’éponge, estimant qu’il était grand temps d’arrêter les frais ?

Officiellement, Areva n’a jamais travaillé sur le dossier Forsys Metals. Aujourd’hui, des salariés du groupe racontent cependant que certains examinaient le dossier à l’époque. Ils donnent même des noms. Toutes les personnes que nous avons pu joindre démentent avoir touché de près ou de loin à cette affaire.

Mais entretemps, le dossier Forsys metals est devenu sulfureux. Il vaut à Patrick Balkany d’avoir été mis en examen, le 21 octobre, pour « corruption », « blanchiment de corruption » et « blanchiment de fraude fiscale », par les juges d'instruction Renaud Van Ruymbeke et Patricia Simon, du pôle financier de Paris. L’élu est soupçonné d’avoir dissimulé à Singapour une commission de 5 millions de dollars versée en 2009 par George Forrest. L’homme d’affaires belge a expliqué aux juges avoir versé cette somme à Patrick Balkany, qui aurait servi d’intermédiaire dans le cadre de la négociation sur le rachat de Forsys Metals. Il a transmis à la justice le numéro de compte du maire de Levallois à Singapour.

Même si le compte singapourien de Patrick Balkany est vrai, personne parmi les connaisseurs du dossier Uramin ne croit aux explications données par Georges Forrest aux juges. « Vous avez déjà vu un intermédiaire toucher une commission pour une affaire qui ne se fait pas ? Moi jamais », relève un connaisseur de ce monde interlope du grand commerce international. « Patrick Balkany ne connaît rien au monde minier et de l’uranium. Il a juste pour lui d’avoir encore certains réseaux africains et d’entretenir des relations auprès de certains dirigeants de l’Afrique francophone. Mais il ne connaît pas les responsables de l’Afrique anglophone en général, et de la Namibie en particulier. Parle-t-il seulement anglais ? » s’interroge un familier du dossier. « 5 millions, cela fait 10 % de 50 millions. C’est à peu près le tarif d’une commission », pointe de son côté un salarié d’Areva.

Le nouveau gouvernement centrafricain ne semble pas lui non plus très convaincu. Il a saisi le parquet national financier d'une demande d'information judiciaire visant Patrick Balkany, selon des informations publiées par Le Nouvel Obs. Le gouvernement de Bangui soupçonne le maire de Levallois d’avoir été un des bénéficiaires, avec l’ancien président Bozizé, du règlement intervenu autour d’Uramin.

Interrogé sur le dossier, l’avocat de Georges Forrest, Bruno Illouz, se refuse à tout commentaire. « Il y a déjà plusieurs plaintes pour violation du secret de l’instruction dans cette affaire. Je me refuse de faire la moindre déclaration qui pourrait nuire à mon client. En face, il y a des gens méchants », dit-il. La réaction de l’avocat de Patrick Balkany, Me Grégoire Lafarge, est plus brutale : « Vous n’avez pas honte de m’appeler ? Les méthodes de Mediapart sont dégueulasses. C’est à la justice d’enquêter, pas à la presse. » La conversation s’est arrêtée là.

L’uranium reste radioactif pendant des millénaires. Il en est manifestement de même pour le dossier Uramin. Celui-ci continue d'irradier bien des acteurs, disséminant sans bruit ses doses mortelles.

BOITE NOIRECette série fait suite à une première grande enquête publiée en janvier 2012. Le premier volet de cette nouvelle série est consultable ici, le second .

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