Didier Lestrade, fondateur d’Act Up Paris, figure de la communauté gay, a écrit voilà deux ans un livre intitulé Pourquoi les gays sont passés à droite. Pour lui, il a toujours existé des homosexuel(le)s de droite, d’extrême droite ou xénophobes, mais l’extrême droite se pare, désormais et contre son habitude, de la défense des droits des homosexuels ou des femmes pour attaquer l’islam et les musulmans.
L’islamophobie a catalysé un changement de bord politique d’une large partie de la communauté homosexuelle, en particulier de ses franges les plus aisées, inquiètes de l’islam, et préférant de plus en plus les vertus de la consommation occidentale à la politisation des questions intimes.
Sébastien Chenu, l’un des fondateurs de Gaylib, mouvement qui regroupe les LGBT de droite et de centre-droit, vient d’annoncer qu’il rejoint le Rassemblement Bleu Marine. Et l’homosexualité de Florian Philippot, vice-président du FN et bras droit de Marine Le Pen, a été exposée par Closer. Le FN est-il devenu gay-friendly ?
Si l'on m’avait dit, il y a 15 ans, que Marine Le Pen arriverait à modifier ainsi en profondeur la manière dont son parti traitait la question homosexuelle, je ne l’aurais pas cru. Le Pen père était homophobe et je me souviens que lors du défilé du 1er-Mai du FN, avec tous les skinheads, moi qui habitais alors pas loin de l’Opéra, je ne me risquais pas dehors. Mais Marine Le Pen en a fait une question politique et une ligne de démarcation avec les durs de son parti. D’un côté, elle se sert du combat pour les femmes ou les gays pour attaquer les musulmans et tenter d’embrigader les luttes minoritaires dans son combat contre l’islam, sur le modèle de ce qu’avaient fait, aux Pays-Bas, Pim Fortuyn et Geerts Wilders.
De l’autre, elle fait preuve d’un choix politique en prêtant attention aux questions homosexuelles et en assumant d’avoir dans son entourage le plus proche des gays, quitte à prendre un risque politique, puisque elle est critiquée pour cela sur sa droite. Si certains gays vont au FN, c’est aussi parce qu’ils pensent, légitimement, y trouver une écoute et une place meilleures qu’au PS ou à l’UMP. Sur les questions de société que sont l’euthanasie ou l’homosexualité, Marine Le Pen réussit à intéresser plein de gens qui ne se sentent pas compris ni représentés par les vieux partis de gouvernement sclérosés.
En quoi pourraient-ils trouver une écoute et une place meilleures au FN ?
Si des gays passent chez Marine Le Pen, c’est parce qu’ils désertent le PS ou l’UMP. À droite, ils font le constat, d’autant plus avec le retour de Sarkozy, que les questions sociétales seront instrumentalisées comme marqueur de valeur à droite, et qu’à part Bruno Lemaire et Alain Juppé, la tendance est à assumer l’homophobie. Du côté du PS, ils voient bien qu’à part Taubira, personne n’est monté au créneau pour défendre vraiment le mariage gay et qu’ils n’ont guère de chances d’accéder à des postes de responsabilité.
Taubira, qui n’est pas au PS, a été géniale, mais elle ne peut assumer seule le manque de leadership de la gauche sur ce sujet. On n’a vu aucun député, aucune jeune pousse, gay ou non, prendre un risque politique, répondre à toutes les insultes qu’on a subies et voir son nom à jamais associé à cette loi, comme on avait pu à l’époque voir Noël Mamère monter au créneau. Quant à l’accès aux responsabilités, on nous cite toujours l’exemple de Delanoë, mais il est tellement coincé sur ces questions que, par peur d'être taxé de prosélytisme, il en a fait très peu que ce soit sur la santé, les droits, la culture… C’est flagrant si l'on compare son bilan en la matière avec Berlin par exemple.
Pendant ce temps, Marine Le Pen engrange, puisque le FN n’est pas officiellement pour le mariage gay, ce qui peut satisfaire les gays conservateurs ou ceux qui estiment que cette revendication n’est pas nécessaire, mais qu’elle ne participe pas à la Manif pour tous.
Et pour ce qui concerne les places, même si Chenu ne représente pas grand-chose numériquement, il traduit malheureusement un sentiment que l’on trouve de plus en plus souvent dans la communauté gay, à savoir qu’il n’y a pas de place pour des gays dans les instances importantes du PS ou de l’UMP, alors qu’on peut faire carrière chez Marine Le Pen.
Comment expliquer que des personnes appartenant à une minorité rejoignent des partis qui en combattent ou en stigmatisent d’autres ?
La pensée politique LGBT, depuis qu’elle existe, a toujours été de gauche et n’a jamais réussi à saisir qu’il existe une politique de droite gay. La presse gay ne s’est jamais intéressée à ce que peut signifier être à la fois gay et de droite, gay et catholique. Depuis des années, la décomplexion d’une parole de droite, dure et raciste, touche la société dans son ensemble et donc aussi les gays et lesbiennes.
Les journaux et les associations de la communauté gay portent une forte responsabilité dans cette dissolution du front commun des minorités. Ils n’ont pas mis sur la place les sujets qui peuvent fâcher, comme la religion ou l’islam, et n’ont pas démonté cet usage de la question gay dans un combat islamophobe. Et ils n’ont pas bossé pendant tout le temps où Sarkozy était au pouvoir, au motif que rien n’était faisable. C’est pourtant à ce moment qu’il aurait fallu préparer beaucoup mieux le mariage gay, pour qu’on ne s’en prenne pas autant dans la tronche, la condition des trans ou l’éducation à l’école. Mais rien n’a été fait, ni au PS, ni dans les associations LGBT.
Votre livre s’intitulait Pourquoi les gays sont passés à droite. Les gays situés aujourd’hui à droite ou à la droite de la droite sont-ils plus visibles ou plus nombreux ?
Je crois qu’il y en a vraiment beaucoup plus et il ne faut pas sous-estimer le fait que des gens comme Chenu et comme Philippot ne sont pas seulement des symboles qui peuvent faire école, ils viennent aussi avec des réseaux.
Mais s’ils sont beaucoup plus nombreux, c’est aussi que la gauche les a perdus, et pour longtemps. Le mariage gay a été tellement mal préparé qu’ils nous a attiré plus de désabusement et d’insultes que de raisons de se réjouir. On aurait pu pourtant regarder la manière dont cela s’était passé dans les pays étrangers où des lois similaires ont été votées.
Il y a du côté du PS, dans sa tendance universaliste et républicaine, une mécompréhension totale des gays ou des Noirs, dont on ne comprend les revendications qu’en termes de communautarisme. Moi qui ai été un bon petit soldat de la gauche pendant des années, je n’irai plus jamais voter pour le PS ou les Verts. Alors imaginez ce que ce désenchantement peut produire chez des homosexuels qui sont moins concernés que moi sur les questions communautaires et minoritaires et qui ne se sentent pas profondément de gauche ? Tenir une parole forte et symbolique sur les questions LGBT n’aurait pourtant pas grevé le budget de l’État, ça ne coûte pas cher !
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