« Il n'y aura pas de remise en cause des 35 heures. » Dimanche soir sur France 2, le premier ministre Manuel Valls a exclu de légiférer à nouveau sur le temps de travail. Il n'y aura donc pas de discussion sur le temps de travail dans la loi Macron, présentée ce mercredi en conseil des ministres, un texte qui concerne pêle-mêle les professions réglementées, le travail du dimanche, la réforme des prud'hommes ou des mesures pour encourager l'investissement (lire notre article).
Le débat sur cette réforme emblématique des années Jospin (1997-2002) continue pourtant de faire rage. Inlassablement, la droite en fait la cause de bien des maux de l'économie française. Au PS aussi, les 35 heures sont désormais loin de faire l'unanimité. Avant d'être nommé ministre de l'économie, Emmanuel Macron voulait les vider de leur substance en facilitant les accords dérogatoires. Devenu ministre, il plaide désormais pour une plus grande flexibilité de la loi, regrettant que les 35 heures aient donné aux investisseurs étrangers l'impression « que les Français ne voulaient plus travailler ». Manuel Valls a toujours rêvé de les « déverrouiller ». La charte des États généraux, adoptée ce week-end par le PS, fait même l'impasse sur la réduction du temps de travail.
En juin dernier, l'UDI (centristes) a demandé la tenue d'une commission d'enquête sur « l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail ». Près d'une quarantaine de personnes ont été auditionnées. Le rapport, qui sera rendu public la semaine prochaine, a été adopté mardi 9 décembre, par douze voix (PS et Front de gauche) contre quatre (UMP et UDI).
Thierry Benoît, le président UDI de la commission d'enquête, explique à Mediapart ne pas l'avoir voté « car il conforte l'idée que les 35 heures sont positives et qu'il faut aller encore plus loin, vers les 32 heures ». « Loin d'aller dans le sens d'une réhabilitation de cette mesure, les auditions ont montré combien le dispositif était rigide et très complexe, dit-il. Par ailleurs, la réduction du temps de travail s'est appliquée de façon très différente dans le privé et dans le public. » Pour se faire une idée précise de la teneur des débats, on peut retrouver ici l'ensemble des auditions.
Depuis quinze ans, les 35 heures sont devenues un thème incontournable du débat politique. Ses partisans s'y référent pour prouver que l'État peut encore créer de l'emploi, à condition de le vouloir. Ses opposants y voient la cause, ou le symptôme, de tous nos archaïsmes supposés : faiblesse industrielle, compétitivité en berne, hausse du coût du travail alors que l'Allemagne réduisait ses salaires, voire paresse des salariés français. Pourtant, quinze ans après leur mise en œuvre, la durée légale du travail est toujours de 35 heures. Vilipendée, assouplie à plusieurs reprises (en 2003, en 2007, etc.), la loi n'a jamais été remise en cause. Pas même par Nicolas Sarkozy qui avait promis de leur tordre le cou. « Nous tuons régulièrement les 35 heures mais (…) elles sont toujours vivantes », s'est amusé l'ancien directeur de cabinet de Martine Aubry lors de son audition par les députés.
Entretien avec l'auteure du rapport, la socialiste Barbara Romagnan, proche de l'aile gauche du PS. Elle plaide pour la poursuite du mouvement historique de réduction du temps de travail, sous d'autres formes.
- Retrouvez les conclusions (opposées) de Barbara Romagnan et Thierry Benoît en page 3.
Mediapart. Les 35 heures sont souvent très critiquées, y compris à gauche. Emmanuel Macron plaide régulièrement pour des assouplissements…
Barbara Romagnan. Oui, mais sans aucune précision sur ces fameux assouplissements. Avec l'annualisation du temps de travail ou la réorganisation du travail qu'elles ont entraînées, les lois sur les 35 heures de 1998 et 2000 ont flexibilisé le droit du travail. D'autres assouplissements ont été ajoutés par la droite depuis 2002 : contingent maximal d'heures supplémentaires porté de 130 à 220 heures, loi Tepa sous Nicolas Sarkozy, etc.
Les 35 heures ne sont-elles pas devenues un repoussoir ?
Objectivons un peu les choses. Entre 1997 et 2002, deux millions d'emplois ont été créés en cinq ans, contre trois millions au cours de tout le siècle précédent. C'est la seule période durant laquelle on a créé autant d'emplois. Alors même que la population active augmentait de 1,5 million ! Le chômage a baissé et les comptes publics ont été équilibrés. Les 35 heures ne sont pas la cause de tous ces bienfaits car la croissance était alors élevée. Mais L'OFCE (centre d'économie de Sciences-Po) ou la Dares (qui dépend du ministère du travail) parlent tout de même de 350 000 emplois créés grâce à elles. Les 35 heures ont amélioré le climat de confiance dans la société. On peut penser que la croissance européenne à 2,5 % en moyenne sur ces cinq ans a été largement alimentée par la croissance française. C'est d'ailleurs ce qu'on lisait dans la presse européenne à l'époque.
Les 35 heures ont-elles coûté cher aux finances publiques ?
Le manque à gagner pour les finances publiques a été d'environ 12 milliards par an. Mais d'autres salariés ont retrouvé un emploi, ce qui stimule la croissance, apporte des cotisations salariales en plus à l'assurance chômage et lui fait économiser des indemnités chômage. Une fois tout cela pris en compte, le coût annuel n'est que de 2 milliards d'euros par an pour les entreprises. Pour un coût faible : 12 800 euros par emploi créé.
Ont-elles renchéri le coût du travail ?
Globalement, il n'a pas augmenté car la hausse, réelle, a été compensée par des baisses de cotisations, des aides de l'État ou encore la capacité de s'organiser autrement, en utilisant davantage les machines dans l'industrie ou en limitant de façon drastique les heures supplémentaires grâce à l'annualisation.
Les 35 heures ont-elles endommagé la compétitivité de l'économie ?
C'est à partir de 2003-2004 que la compétitivité française décroche. Mais c'est essentiellement à cause du changement de parité euro-dollar, qui a entraîné un choc de compétitivité considérable. Par ailleurs, les Allemands commencent dans le même temps à baisser leur coût du travail. Ils le font alors tout seuls. D'ailleurs, heureusement que tout le monde ne l'a pas fait sur le continent car l'Europe aurait été alors précipitée plus tôt dans la situation que nous connaissons aujourd'hui.
Mais si tel n'est pas le cas, pourquoi une bonne partie des dirigeants politiques, y compris dans le gouvernement actuel, continuent-ils de le penser ?
Par fainéantise ou facilité intellectuelle… Et aussi parce qu'on oublie d'intégrer parfois dans le calcul de la durée du travail des données essentielles comme le temps partiel (d'une durée particulièrement longue en France) ou le travail des femmes, ce qui fausse les comparaisons internationales.
Les 35 heures ont quand même été très critiquées pour leur complexité pour les entreprises !
Oui, parce que ça a induit une réorganisation du travail qui n'allait pas de soi, et que les entreprises ont été obligées de négocier avec leurs salariés. En deux ans, il y a eu entre 65 000 et 100 000 accords d'entreprise !
Le fait que l'État fixe d'abord la durée légale du travail par la loi n'a-t-il pas aussi été assez mal vécu ?
Dès qu'on aborde la question du travail, il y a une dimension idéologique ou culturelle. Certains s'imaginent que réduire la durée du travail, c'est ne plus travailler du tout. Mais c'est justement entre 1997 et 2002 que le nombre d'heures travaillées en France a été le plus élevé. D'ailleurs, le temps moyen d'un temps plein en France reste aujourd'hui encore supérieur à 39 heures ! En revanche, c'est vrai, les salaires ont stagné par la suite. Donc, même si les 35 heures ont été un succès économique, si la France a été alors citée comme modèle, le bénéfice individuel du partage du travail a été sans doute moins visible. Mais pour en revenir au rôle de l'État, heureusement que la loi a encadré les choses, même si cela en a crispé certains. On ne peut pas donner des milliards de cotisations sans contrepartie, sans échange.
C'est pourtant ce que le gouvernement est en train de faire avec le pacte de responsabilité…
Oui, avec le succès que l'on voit… Les 35 heures, c'est un pacte de responsabilité réussi, dans lequel on a aidé les gens à être responsables, justement. Il y a eu une baisse de cotisation, importante, il y a eu des possibilités d'organiser le travail de façon plus flexible, en échange d'une baisse du temps de travail et de création d'emplois. Dans le pacte de responsabilité (Barbara Romagnan s'est abstenue fin avril sur cette mesure-clé du gouvernement Valls – ndlr), il n'y a rien en échange. Or, quand il n'y a que des baisses de cotisations sans contrepartie, il y a davantage de profits pour les entreprises, potentiellement plus d'argent pour les actionnaires, mais beaucoup moins de création d'emplois.
Autre difficulté, les effets négatifs des 35 heures dans certaines entreprises avec une intensification réelle du travail, le développement de la polyvalence.
Ceux pour lesquels la vie ne s'est pas améliorée, c'est d'abord pour les moins qualifiées, et surtout pour les femmes peu qualifiées. Elles étaient déjà dans des métiers où il y avait une grande flexibilité, cela a été exagéré par cette loi. Un quart des actifs ont vu leurs conditions de travail particulièrement modifiées, par exemple dans la restauration ou à l'hôpital, ce qui a parfois provoqué des souffrances. Mais c'est aussi dû à une application peu fidèle de la loi, par exemple quand les temps de pause ont été recalculés. La loi ne l'empêchait pas, et c'est dommage. De même pour les forfaits-jours des cadres, qui ont accru l'intensité du travail. Par ailleurs, les 35 heures ont coïncidé avec un recours accru aux technologies dans l'entreprise. En fait, la question des conditions de travail était un impensé dans la loi, tout comme la question de l'équilibre vie privée-vie au travail. Peut-être parce que les responsables syndicaux ou patronaux sont souvent des hommes…
A l'hôpital, le passage au 35 heures a été particulièrement difficile. N'est-ce pas le plus gros échec de cette loi ?
Si. L'hôpital ne devait pas être concerné au départ. Mais les personnels l'ont demandé. Il y avait déjà des difficultés. Il a fallu former le personnel et cela a pris du temps. Devant la commission, Lionel Jospin a dit lui-même qu'il aurait dû attendre deux ans de plus. Mais on fait parfois porter aux 35 heures des difficultés qui sont aussi dues à des lois ultérieures. Par ailleurs, elles ont permis le recrutement de 45 000 personnes à l'hôpital…
Les 35 heures devaient permettre d'organiser son temps différemment.
Les gens se sont davantage investis dans des activités de loisirs qu'ils exerçaient déjà. Il y a eu effectivement plus de temps pour la famille, et un investissement plus grand des hommes dans la vie de famille. Mais rien n'a changé pour les tâches domestiques, qui restent en majorité féminines.
La réduction du temps de travail est-elle encore possible ? Le logiciel dominant en ce moment, c'est davantage : il faut travailler plus, libérer l'activité…
Encore une fois, les 35 heures sont une loi d'assouplissement. Faut-il encore réduire le temps de travail ? Je ne dis pas que c'est facile de poursuivre ce mouvement historique, mais même si la croissance est plus faible aujourd'hui qu'au début des années 2000, je ne vois pas pourquoi il devrait s'arrêter. On ne peut pas non plus rester avec tant de nos concitoyens sans activité, car cela a un coût considérable, ni avec tant de salariés à temps partiel. Le calcul du temps hebdomadaire n'est sans doute plus adapté. D'autres formes de RTT pourraient être envisagées, par exemple avec un compte épargne-temps repensé qui permettrait d'organiser son temps sur plusieurs années, pour faire des pauses dans sa carrière ou se former tout au long de sa vie.
- Retrouvez les conclusions (opposées) de Barbara Romagnan et Thierry Benoît en page suivante.
Commission d'enquête sur les 35 heures : les conclusions de la rapporteure PS, Barbara Romagnan
Et celles du président UDI (centriste), Thierry Benoît :
BOITE NOIRELe rapport de la commission d'enquête, voté ce mardi 9 décembre, sera rendu public la semaine prochaine – un délai habituel à l'Assemblée nationale. Thierry Benoît et Barbara Romagnan nous ont toutefois adressé leurs conclusions. Barbara Romagnan a par ailleurs accepté de commenter le rapport.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Nettoyer la base de données de WordPress