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Complémentaire santé : vers une médecine à trois vitesses ?

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Les campagnes de pub parasitent déjà les ondes des radios. Selon la loi d’un marché hyper concurrentiel, les complémentaires santé se livrent une féroce bataille pour nous vendre un produit d’un genre nouveau, un brin monstrueux : une « surcomplémentaire ». Un contrat complémentaire à notre contrat complémentaire à l’assurance maladie. De quoi renforcer certaines garanties en fonction des besoins : dépassements d’honoraires extravagants de médecins spécialistes, orthodontie et couronnes dentaires en or, lunettes de luxe. Notre système de santé déjà à deux vitesses, l’assurance maladie obligatoire et complémentaire, serait-il en train de se doter d’une troisième ?

Les trois familles de complémentaires santé ne sont pas d’accord entre elles. Côté assureurs, c’est très clair : « Ceux qui en auront les moyens prendront une surcomplémentaire. Les autres auront à leur charge une partie de leurs dépenses de santé », explique Véronique Cazals, conseillère du président de la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), en charge de la protection sociale. Les institutions de prévoyance, paritaires et très présentes dans les entreprises, sont également formelles : « On observe dans les récents sondages une demande de surcomplémentaire », selon Évelyne Guillet, directrice santé du Centre technique des institutions de prévoyance (Ctip). Christian Saout, le secrétaire général adjoint délégué (et ancien président) du Ciss, le Collectif des associations de patients, en est lui aussi tout à fait sûr : « On est en train de créer un appel d’air pour ces produits. » Au contraire, Étienne Caniard, le président de la Mutualité française, met en garde contre « les merveilleux discours de marketing qui affirment que les surcomplémentaires vont devenir indispensables ».

Tout part d’un décret paru le 19 novembre dernier. Il fixe les nouveaux critères des contrats complémentaires dits « responsables », qui représentent 94 % des contrats, et qui bénéficient à ce titre d’une fiscalité allégée. Dans la fusée à plusieurs étages de l’assurance maladie, ce décret crée de nouveaux planchers et plafonds de tarifs : le forfait hospitalier de 18 euros par jour doit désormais être pris intégralement en charge par les complémentaires. Mais celles-ci ne rembourseront plus les dépassements d’honoraires au-delà de 125 % du tarif de la sécurité sociale, puis de 100 % à compter de 2017. Autrement dit, les complémentaires ne rembourseront plus au-delà de 45 euros pour une consultation chez un médecin spécialiste, de 150 euros pour une échographie chez un gynécologue libéral, de 600 euros pour un accouchement dans une clinique privée, etc. Pour l’optique, ce sont six niveaux de planchers et de plafonds qui sont fixés en fonction des degrés de correction : de 470 euros maximum pour des lunettes avec des verres à simple foyer, à 850 euros maximum pour les verres multifocaux. 

Ces plafonds de prise en charge sont-ils trop bas, comme le pensent les assureurs et les institutions de prévoyance ? Ou au contraire trop haut, comme l’explique Étienne Caniard ? Le président de la Mutualité s’accroche à « la réalité : 75 % des médecins libéraux ne pratiquent pas de dépassements d’honoraires, 92 % des généralistes et 50 % des spécialistes. La moyenne des dépassements des spécialistes est de 56 % ». Autrement dit, la plupart des Français paient rarement des dépassements d’honoraires à des médecins spécialistes, et ceux-ci facturent en moyenne 35 euros leur consultation par exemple. Vont-ils profiter de ces nouveaux plafonds pour augmenter leur prix à 45 euros ? La directrice santé du Ctip Évelyne Guillet en convient : « Afficher réglementairement un plafond de dépassement de 100 % est un mauvais signal donné à de nombreux médecins qui sont aujourd’hui en dessous. »

Bien sûr, 45 euros reste bien insuffisant pour être reçu en consultation privée par quelques « médecins stars » : au hasard, le cancérologue David Khayat, 260 euros ; l’urologue Thierry Flam, 150 euros ; le gynécologue René Frydman, 100 euros en moyenne, etc. Mais plus grave, les médecins libéraux spécialistes qui ne pratiquent pas de dépassements d’honoraires sont en voie de disparition à Paris. Et il suffit de consulter le site de l’assurance maladie, qui renseigne sur les tarifs des médecins, pour constater qu’il est aussi difficile de trouver un gynécologue sans dépassements d’honoraires en Lozère, ou un chirurgien dans la Loire.

« Dans les grandes villes, on a encore le choix entre des médecins aux tarifs différents. Mais il y a des déserts médicaux de spécialistes où presque tous les chirurgiens, les gynécologues ou les pédiatres pratiquent des dépassements d’honoraires », explique Christian Saout. Et cela ne va pas s’arranger, car la grande majorité des jeunes médecins spécialistes s’installent en secteur 2 : 94 % des gynécologues de moins de 40 ans pratiquent des dépassements d’honoraires, 98 % des chirurgiens, 93 % des ophtalmologues, etc. Quant à l’optique, la plupart des Français n’ont qu’à se promener dans la plus petite ville, pour constater que deux ou trois enseignes se disputent le chaland dans la rue principale. Le prix des lunettes en France, 50 % plus chères que dans le reste de l’Europe, finance en réalité un réseau de distribution obèse.

Ces tarifs déraisonnables, qui ont échappé au contrôle de l’assurance maladie, et à toute régulation, ne cessent de renchérir le coût des contrats complémentaires et les rendent toujours moins accessibles aux jeunes, aux retraités, aux précaires, aux chômeurs, qui ne sont pas couverts par un contrat d’entreprise, aidés fiscalement, et pris en charge en partie par l’employeur. Pour Étienne Caniard, le plus inquiétant dans cette affaire est le recul historique de la couverture complémentaire : « Entre 2010 et 2012, pour la première fois depuis les années 1970, 500 000 personnes ont renoncé à leur contrat santé. » Selon l’Institut de recherches et de documentation en économie de la santé (Irdes), 5 % des Français n’ont pas de complémentaire en 2012, contre 4,2 % en 2010.

« Les dépassements d’honoraires ont été créés en 1980 par Raymond Barre pour quelques chirurgiens réputés, rappelle Christian Saout, du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss). Ce système exceptionnel est devenu quasi général. Aujourd’hui, les dépassements d’honoraires sont hors de contrôle. Notre système de santé est en train de se dérégler. À force de colmater les brèches, il n’a plus aucune allure. Les Français paient chaque année 175 milliards d’euros d’impôts et de cotisations sociales pour une assurance maladie qui ne rembourse plus que 50 % des soins courants. Et ils versent en prime 30 milliards d’euros à des complémentaires santé qui ne complètent plus. Il est plus que temps de se demander où on va. »

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