Quantcast
Channel: Mediapart - France
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

L'éducation prioritaire contre la priorité à l'éducation

$
0
0

S’il y a bien des gâteaux et quelques victuailles sur la table, l’ambiance dans la salle des professeurs du collège Paul-Éluard de Montreuil (Seine-Saint-Denis) n’est pourtant pas à la fête ce soir de décembre. Après plus de dix jours de lutte pour que leur établissement soit maintenu dans l’éducation prioritaire, les visages sont fatigués mais la détermination est intacte. Les enseignants, après avoir alterné journée de grève et blocage par les parents, ont désormais décidé d’occuper jour et nuit le collège.

Comme un certain nombre d’établissements en France, Paul-Éluard est à l’arrêt depuis que les équipes ont appris que leur collège ne ferait plus partie de l’éducation prioritaire l’an prochain. « On ressent ça comme du mépris pour tout le travail que l’on a fait ici depuis des années. Tous les ans on voit nos moyens se réduire, et on se bat pour faire malgré tout quelque chose de bien », soupire Amandine Cormier, professeur de maths depuis sept ans dans le collège. Dans ce département grignoté par la crise sociale où certains établissements sont devenus de véritables ghettos éducatifs, le rectorat leur explique qu’ils sont loin d’être les plus mal lotis. « Ils veulent nous faire admettre qu’on est des privilégiés. Bien sûr qu’il y a pire ailleurs, mais nous on a juste le minimum pour pouvoir travailler », assure Vincent Gay, documentaliste au collège.

La réforme de l’éducation prioritaire annoncée par Vincent Peillon l’an dernier, peu avant son départ du ministère, et qui sera mise en œuvre l’an prochain, consiste à concentrer les moyens sur les établissements les plus en difficulté. Depuis le lancement des ZEP (zones d’éducation prioritaire) en 1982 par Alain Savary, le nombre d’établissements en zone d’éducation prioritaire n’a cessé de s’étendre – 20 % des élèves y sont actuellement scolarisés – avec pour conséquence une dilution des moyens, dès lors jugés inefficaces. Dans les établissements élus, 350 REP+, les plus difficiles, les enseignants bénéficieront de décharges horaires et de temps de concertation et de formation spécifiques. Ils verront également leurs primes doubler. Pour les autres, les REP classiques, on trouve le maintien de classes à effectifs limités mais aussi une priorité mise dans l’accès aux moyens pour la scolarisation des enfants de moins de trois ans ou le dispositif « plus de maîtres que de classes » dans les écoles du réseau, et une revalorisation des primes de 50 %. Un investissement de 350 millions supplémentaires est annoncé.

Dans ce cadre, le ministère avait aussi annoncé que la carte de l’éducation prioritaire, jamais revue depuis trente ans, serait remise à plat. Pour cibler les établissements les plus en difficulté, le ministère a défini quatre critères : le taux de boursiers, le taux d’élèves issus de catégories sociales défavorisées, le taux d’élèves habitant en zones urbaines sensibles et le taux d’élèves en retard à l’entrée en sixième. Sauf qu’en fixant comme principe le maintien du nombre d’établissements labellisés pour éviter une dilution des moyens, il faut faire des choix. Pour les établissements exclus, l’effet de sanction est incompréhensible.

Enseignants réunis au collège Paul-Eluard de MontreuilEnseignants réunis au collège Paul-Eluard de Montreuil © LD

Mardi soir, dans le hall comble du collège Paul-Éluard où se tenait une assemblée générale rassemblant près de deux cents parents, un représentant de la FCPE ironisait : « Comme vous le voyez, il y a ici beaucoup de manteaux de fourrure ! » en montrant du doigt une foule bigarrée de parents. Venue passer la nuit aux côtés des enseignants, Isabelle Hazaël, mère de deux enfants dans l’établissement, renchérit : « Le quartier est très mélangé. Il y avait de l’évitement scolaire mais, au fur et à mesure, quelque chose de solide s’est construit ici. On a confiance, ce qui permet de maintenir une véritable mixité dans l’établissement. » Comme beaucoup, elle craint que la sortie de Paul-Éluard de l’éducation prioritaire ne fasse exploser le nombre d’élèves par classe, aujourd’hui limité à 23. « C’est un équilibre fragile. Si les conditions d’accueil se dégradent, les parents plus aisés mettront leurs enfants ailleurs, dans le privé notamment. »

Côté enseignants, on liste aussi tout ce qui risque de disparaître avec ce « déclassement » : le soutien aux élèves de 4e, un atelier grammaire pour les élèves de 6e. Des projets pédagogiques comme le « rallye des maths », du grec et du latin. Sans même parler de leur prime – si modique (90 euros par mois) qu’elle n’a jamais été un argument pour travailler en éducation prioritaire –, c’est bien l’ensemble de leurs conditions de travail, déjà difficiles, qui pourraient se dégrader un peu plus. « Aujourd’hui on a deux CPE. Là, on n’en aura plus qu’une. On aura aussi moins de surveillants et sans doute plus d’assistantes sociales », souligne une enseignante. L’écart entre les annonces ministérielles d’un plan ambitieux pour l’éducation prioritaire et ce qu’ils constatent pour eux les rend très amers. « Et en plus, il faut qu’on se paie le discours : regardez tout ce qu’on fait en Seine-Saint-Denis ! Tout ce qu’on fait pour l’éducation prioritaire ! », lance Vincent Gay pour qui « il n’y a pas de véritable priorité à l’éducation ». 

Au collège Gérard-Philipe d’Aulnay-sous-Bois, lui aussi exclu du réseau, l’équipe enseignante a tout autant le sentiment de payer pour ses bons résultats, pourtant obtenus de haute lutte. « Au rectorat, on met en avant nos 98 % de réussite au brevet, taux le plus élevé de Seine-Saint-Denis, mais cela ne s’est pas fait tout seul », affirme Aurélien Huguenin, professeur de français qui détaille lui aussi la somme de projets mis en place grâce aux moyens de l’éducation prioritaire : l’option théâtre, des projets sportifs, du soutien scolaire… Il redoute aussi que la baisse de moyens accordés au collège ne mette à mal des initiatives telles que la concertation hebdomadaire entre la CPE, la conseillère d’orientation, l’infirmière et l’assistante sociale pour évoquer la situation des élèves les plus en difficulté. « C’est extrêmement précieux et aujourd’hui il est très douloureux de voir que tout cela est menacé. »

Happening au collège Courbet de RomainvilleHappening au collège Courbet de Romainville © LD

Au ministère, on assure que les sorties de l’éducation prioritaire seront « accompagnées ». Si le détail de ces mesures sera dévoilé mi-décembre par Najat Vallaud-Belkacem, ce qui se profile selon nos informations est une réforme de l’allocation des moyens, avec un lissage des moyens accordés aux établissements en fonction d’indicateurs sociaux afin d’éviter les effets de seuil. Ainsi, assure-t-on, les collèges accueillant un public en difficulté sans être forcément labellisés éducation prioritaire pourraient ne pas trop perdre de moyens. « On nous a parlé de "convention de sortie de REP" mais c’est le flou total. Nous n’avons pour l’instant aucune garantie. Certains nous disent que nos moyens seront maintenus pendant trois ans, d’accord mais après ? » s’alarme Catherine, enseignante au collège Courbet de Romainville, lui aussi sorti du réseau et où les actions coups de poing se sont multipliées depuis dix jours.

Alors qu’un enseignant rappelle tout ce que le classement en éducation prioritaire a permis de développer au collège Paul-Éluard, au cours d’une des nombreuses AG, une mère d’élève l’interrompt : « En fait, ce que vous décrivez, c’est ce qui devrait se faire dans tous les établissements, non ? »

Dans une école à bout de souffle, comment définir les priorités ?  

« C’est effectivement toute la question », reconnaît Marc Douaire, président de l’Observatoire des zones prioritaires. Pour lui, l’école « ordinaire » devrait pouvoir s’emparer des pratiques qui ont fait leurs preuves en éducation prioritaire : « Le travail en équipe, la co-intervention, un meilleur lien entre l’école et le collège, mais il faut aussi faire attention : quand tout est prioritaire, plus rien ne l’est. Nous estimons que les moyens de l’éducation prioritaire doivent être réservés aux territoires de relégation sociale où il n’y a plus de possibilité de faire une école "ordinaire". Mais acter que, parce qu’un établissement reçoit un public populaire, il devrait être classé en éducation prioritaire, est profondément dangereux. Cela signifie que l’école "ordinaire" n’est pas faite pour recevoir ces publics. »  Devant la faillite générale du système éducatif, il reconnaît que la seule manière d’obtenir des moyens est de se faire admettre en éducation prioritaire, « mais c’est plutôt l’ensemble du système éducatif, qui ne fonctionne aujourd’hui que pour une petite élite, qu’il faut revoir ». Une réforme ambitieuse, qui nécessiterait évidemment beaucoup de moyens qui ne sont aujourd’hui pas d’actualité : « S’il est peu probable que les gouvernements qui vont suivre augmentent très nettement le budget de l’éducation nationale, il faudra faire des choix et remettre en question, par exemple, le très coûteux système de classes prépa ou la multitude d’options en lycée », estime Marc Douaire. Pas sûr que Najat Vallaud-Belkacem ait à cœur d’ouvrir de tels dossiers, politiquement explosifs, et sur lesquels son prédécesseur Vincent Peillon s’est déjà cassé les dents.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Nettoyer la base de données de WordPress


Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Trending Articles