Mardi 2 décembre, l'Assemblée nationale a adopté, par 339 voix contre 151, la proposition de résolution du groupe socialiste demandant au gouvernement français de reconnaître l’État palestinien. Ce vote ne lie toutefois pas le gouvernement et n'a pas de valeur contraignante. Le texte voté par les députés rejoint une démarche plus générale, qui pourrait donner lieu à un vote au Parlement européen en décembre. Le texte affirme ainsi que « la solution des deux États, promue avec constance par la France et l'Union européenne, suppose la reconnaissance de l’État de Palestine aux côtés de celui d'Israël ». Il prend acte de « l'échec des tentatives de relance du processus de paix » depuis 1991 entre Israéliens et Palestiniens, et relève « la poursuite illégale de la colonisation dans les territoires palestiniens ». Le texte affirme également « l'urgente nécessité d'aboutir à un règlement définitif du conflit » avec l'établissement d'un État palestinien aux côtés d'Israël, « sur la base des lignes de 1967, avec Jérusalem pour capitale de ces deux États ».
Pour le député PS Pouria Amarshi, il s’agit là d’« un vote intelligent et courageux, en faveur de la paix, de la justice et de la dignité, écrit-il dans un communiqué. Il représente un engagement politique, nécessaire, en faveur de la paix, que le gouvernement serait bien avisé de poursuivre en reconnaissant à son tour officiellement l’État de Palestine. Cette reconnaissance permettrait aussi de plaider plus fortement pour la fin des occupations illégales et le démantèlement des colonies. Il permet aussi d'être exigeant contre la violence et la corruption qui gangrènent une partie de la vie politique palestinienne ».
Le gouvernement s’apprête-t-il donc à reconnaître l’État palestinien ? Contrairement à ce qui s’est fait en Suède et en Islande, aucun signe n’est venu dans ce sens, et le gouvernement estime qu'il est encore trop tôt. La France souhaite porter désormais une initiative devant l’ONU. Lors de l'examen de la proposition de résolution socialiste sur la reconnaissance de l'État de Palestine, vendredi 28 novembre à l'Assemblée nationale, Laurent Fabius avait tracé les grandes lignes du projet du gouvernement, et affirmé que la France voulait proposer l'adoption d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU pour aboutir à un règlement définitif du conflit israélo-palestinien dans un délai de deux ans. « La France est l'amie à la fois du peuple israélien et du peuple palestinien (…). Personne ne peut nier que l'espoir de paix au Proche-Orient soit plus que jamais menacé. Nous partageons tous devant ce conflit un sentiment d'urgence », a déclaré Laurent Fabius. « Constatant le blocage actuel », le ministre a jugé « indispensable de sortir d'un face-à-face solitaire entre Israéliens et Palestiniens, méthode qui a fait la preuve de son peu d'efficacité ». Le ministre français des affaires étrangères a également annoncé qu’une « conférence internationale, dont la France est disposée à prendre l'initiative, pourrait être organisée afin d'appuyer cette dynamique indispensable ». Laurent Fabius a annoncé enfin que « si cette ultime tentative de solution négociée n'aboutit pas, alors, il faudra que la France prenne ses responsabilités en reconnaissant sans délai l'État de Palestine. Nous y sommes prêts ».
Côté palestinien, on ne sait trop comment comprendre les annonces françaises. « Tous les responsables palestiniens se félicitent du vote de cette résolution du parlement français, affirme Hassan Balawi, membre de la Mission de Palestine auprès de l'Union européenne, et responsable des relations bilatérales avec la Belgique et le Luxembourg, qui n'ont pas encore reconnu l’État palestinien. Au niveau de l’ONU, la France veut miser jusqu’à la dernière minute sur une solution de négociation israélo-palestinienne, avant de reconnaître l’État en cas d’échec de ces négociations. Mais jusqu’à quand cette logique tiendra-t-elle debout ? Ne faut-il pas renverser la question, et se dire que le fait qu’il y ait un État de Palestine pourrait faciliter les négociations ? Les Palestiniens veulent des négociations, nous sommes persuadés que l’issue de nos problèmes ne viendra que de là. Pourquoi n’aurions-nous pas un cycle de négociations entre l’État de Palestine et l’État d’Israël, pour voir comment concrètement, dans l’espace de deux ans comme la France l’a énoncé, effectuer le retrait des forces d’occupation israéliennes dans l’ensemble des territoires palestiniens occupés, pour revenir, comme le dit la France, aux frontières de 1967 ? »
La Palestine est aujourd’hui reconnue par 135 États. Pour le chercheur Jean-François Legrain (CNRS), les hésitations françaises sont le signe d’une absence de projet clair pour la résolution du conflit. « La diplomatie française, en réalité, patauge dans les contradictions, regrette le chercheur. En 2011, la France a voté en faveur de l'adhésion de l’État de Palestine à l'Unesco en tant que membre à part entière, de même qu'elle a soutenu son adhésion à l'ONU en tant qu'État observateur non membre un an plus tard, affichant ainsi sa différence par rapport à nombre de ses pairs. On est en droit d'en déduire que l'exécutif considère que la Palestine, dans son état actuel, répond à la définition canonique de l’État, apte à ce titre à appartenir à ces instances internationales et à agir en leur sein. La conséquence logique aurait dû être dans la foulée la reconnaissance de cet État au niveau bilatéral. Cette reconnaissance, d'ailleurs, n'aurait quasiment rien changé à la réalité ou à la forme des échanges déjà anciens avec la direction palestinienne. »
Pour Jean-François Legrain, la démarche française s'inscrit donc dans une entreprise plus globale, à savoir « l'entretien de l'illusion d'un "processus de paix" dont le mécanisme, qui a été mis en place sous égide américaine à Oslo en 1993, a montré depuis bien longtemps son incapacité à mener à la solution de la question israélo-palestinienne. Ce faisant, la mise en œuvre du droit à l'autodétermination des Palestiniens est sans cesse retardée tandis que la colonisation des territoires occupés en 1967 se poursuit et s'intensifie dans le plus grand mépris des condamnations verbales, et que la coopération technique, scientifique, économique et sécuritaire avec Israël se développe ».
Hassan Balawi partage le même scepticisme sur l’initiative de la France, mais n’invalide pas pour autant la démarche de Paris devant l’ONU : « On sent que les Français ont envie de prendre une initiative, en raison notamment de facteurs internes, car la question palestinienne est aussi importante en France, affirme-t-il. L’initiative française est symbolique. Mais la reconnaissance de l’État serait une bonne chose pour nous, car elle dit à Israël : "La Palestine est là, vous, vous êtes là, et maintenant, négociez, sous l’égide des Nations unies." Il n’y a pas d’autre démarche possible que celle-ci. »
Le chercheur Jean-François Legrain craint au contraire que la reconnaissance de l’État de Palestine ne soit « que l'expression d'une nouvelle pusillanimité en quête de bonne conscience. Elle fera croire surtout que "l’État" de Palestine d'aujourd'hui, dépourvu de toute souveraineté et oublieux du droit des réfugiés, constitue l'État de Palestine attendu. Une véritable prise en compte des droits nationaux palestiniens aurait nécessité d'adopter les moyens seuls à même de redresser l'asymétrie qui régit depuis des lustres les rapports entre les deux parties israélienne et palestinienne. Cela n'a jamais été le cas et il est sans doute aujourd'hui trop tard, en tout cas dans le cadre d'une approche en termes de deux États. Alors pourquoi reconnaître un État tout en sachant qu'il n'obtiendra jamais sa souveraineté ? À Jérusalem et en Cisjordanie, disséminés parmi les Palestiniens, les colons constituent près de 10 % de la population juive israélienne. Qui peut imaginer les voir se retirer pour laisser place à un État palestinien viable ? Dans ce contexte, la reconnaissance de l’État de Palestine a tout l'air du linceul destiné à recouvrir pudiquement un droit à l’autodétermination enterré depuis bien longtemps mais dont on se refuse encore de proclamer la mort clinique par étouffement. »
Et du côté d'Israël, qu’en pense-t-on ? Benyamin Nétanyahou avait affirmé, dimanche 23 novembre, que « la reconnaissance d'un État palestinien par la France serait une grave erreur ». Mais cette semaine, en plein débat sur les élections législatives anticipées (lire notre article à ce propos), qui se tiendront finalement le 17 mars prochain, les Israéliens ne regardent ces débats français que de loin. Depuis l’échec du sommet de Camp David en 2000, le conflit ne fait plus recette en période électorale.
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