C’est un nouveau rebondissement dans l’affaire Tapie : selon nos informations, les autorités de Hong Kong ont accepté de placer sous séquestre des fonds transférés par Bernard Tapie, qui avoisineraient 17 millions d’euros. L'information a une portée qui dépasse la simple affaire judiciaire dans laquelle l’ex-homme d’affaires a été emporté. Elle constitue le premier signe tangible en direction de la France que les autorités de Hong Kong envisagent de devenir une place financière coopérative, et qu’elle pourrait à l’avenir accepter les demandes d’entraide internationale judiciaires ou fiscales.
Cette saisie d’une partie de la fortune de Bernard Tapie n’est pas une surprise. Déjà dans la foulée de la mise en examen, le 28 juin 2013, de l’ex-homme d’affaires pour « escroquerie en bande organisée », les trois juges d’instruction en charge du scandale de l’arbitrage Adidas-Crédit lyonnais avaient pris des ordonnances, pour saisir une partie de ses biens. Dans leur esprit, il s’agissait de mesures conservatoires, de sorte que l’État puisse récupérer tout ou partie des 405 millions alloués à Bernard Tapie au terme du célèbre arbitrage, s’il se révélait qu’il a bel et bien été frauduleux.
À l’époque, la saisie avait donc concerné les deux assurances-vie souscrites par Bernard Tapie et son épouse. À peine après avoir perçu les 45 millions d’euros qui lui avaient été alloués par les arbitres au titre du préjudice moral, Bernard Tapie avait en effet pris langue avec un banquier dont il est proche, Matthieu Pigasse, le patron de la banque Lazard, et coactionnaire du journal Le Monde. Bernard Tapie avait alors viré la totalité de la somme, dès le 18 septembre 2008, sur un compte ouvert auprès de la banque d’affaires, laquelle a pu souscrire le 2 décembre 2008 pour son client et son épouse des contrats d’assurance-vie auprès de Axa Vie France et La Mondiale Partenaire pour un montant global de 36 millions d’euros. Sur ce montant, près de 20 millions d’euros ont donc finalement été saisis.
Les magistrats ont aussi placé sous séquestre les parts sociales que les époux Tapie détiennent dans le splendide hôtel particulier qu’ils possèdent à Paris, rue des Saints-Pères, pour une valorisation de 69 millions d'euros ainsi que celles de la villa qu’ils ont achetée en 2011 à Saint-Tropez, pour 48 millions d’euros.
Mais très tôt, la justice française subodore qu’une partie de la fortune de Bernard Tapie est peut-être aussi partie à l’étranger, notamment à Hong Kong. Alors que la Suisse accepte de plus en plus largement de s’ouvrir aux demandes d’entraide internationale judiciaires et fiscales, de grandes fortunes se sont progressivement délocalisées ces dernières années vers Hong Kong qui avait la réputation d’être une place financière non coopérative.
Ce soupçon de la justice française est d’ailleurs très vite étayé. Comme l’avait révélé Le Parisien le 17 septembre 2013, deux semaines après le placement sous séquestre d’une partie de ses biens, Bernard Tapie a « tenté de transférer 1,8 million d’euros à Hong Kong ». Voici ce que racontait à l’époque le quotidien : « Las, le 23 juillet, Tracfin exerce son droit d'opposition et le 25 juillet, le parquet demande la saisie pénale de ce virement. Pour cette opération, Bernard Tapie a eu recours à un montage complexe. Tout d'abord, il a transféré 2 millions d’euros d'un compte qu'il détient au Danemark par le biais de Saxo Banque vers une de ses sociétés, filiale française du Groupe Bernard Tapie (GBT), la holding de l'homme d'affaires dont le siège est à Bruxelles. Puis Tapie demande à la banque française où est domiciliée cette société de transférer 1,8 million d’euros sur le compte d'une autre filiale de GBT basée à Hong Kong. Problème : la banque française signale ce mouvement à Tracfin, la cellule antiblanchiment du ministère de l'économie. Cette dernière demande immédiatement le blocage de l'opération, les biens de Bernard Tapie étant sous séquestre. »
À l’époque, Bernard Tapie avait contesté cette version de l’histoire. « Faux, archifaux ! avait-il rétorqué au Parisien. Je n'ai jamais cherché à cacher de l'argent à l'administration française. J'ai bien procédé au transfert de 1,8 million d'euros, mais dans le but d'assurer le paiement du personnel de mes filiales à l'étranger. » Il faisait en particulier allusion aux employés de son yacht le Reborn, qu’il dit depuis avoir revendu et qui était à l’époque immatriculé à Singapour.
Nous avons nous-même cherché à joindre Bernard Tapie au sujet de ces 17 millions d’euros qui viennent d’être placés sous séquestre à Hong Kong. Par SMS, il nous a fait cette réponse : « Je n'ai pas d'avoirs à Hong Kong. Nous avons une filiale en Asie qui est détenue à 100 % par Groupe Bernard Tapie Holding qui possède un compte à Hong Kong déclaré et connu des autorités françaises et qui a d'ailleurs été saisi comme l'ont été les comptes de toutes les filiales du groupe !!! » Bernard Tapie nous a aussi proposé d'entrer en contact avec le responsable juridique de son groupe. Plusieurs heures après la mis en ligne de cet article, nous avons pu joindre ce dernier. Selon lui, Bernard Tapie aurait transféré près de 9 millions d'euros sur un compte HSBC, pour « prospecter des investissements locaux » et ce sont seulement ces avoirs de 9 millions d'euros, et non 17, qui auraient fait l'objet d'une saisie. Toujours d'après ce responsable juridique du groupe Tapie, la saisie aurait eu lieu antérieurement à ce que nos sources nous ont indiqué: cette saisie serait intervenue dès août 2013.
Quoi qu’il en soit, l’information suggère que l’intéressé était finalement parvenu à transférer à Hong Kong beaucoup plus d’argent qu’on ne le supposait. Et puis surtout, elle prend une dimension qui dépasse la seule affaire Tapie. Car la Chine et Hong Kong ont signé ces derniers mois tous les engagements de transparence financière exigés par l’OCDE et ont promis d’entrer dans le droit commun des places financières coopératives d’ici 2018 (lire Près de cent pays enterrent le secret fiscal). Bernard Tapie est donc sans doute l'un des premiers à en faire les frais.
Pour Bernard Tapie, cette décision vient aussi confirmer que l'étau judiciaire se resserre autour de lui. Au pénal, l'enquête judiciaire autour de l'arbitrage devrait en effet prendre fin dans les prochains mois, et il risque bientôt d'être renvoyé en correctionnelle pour y être jugé. Et au civil, la cour d'appel de Paris a tenu son audience le 25 novembre dernier pour examiner le recours en révision introduit par l'État (lire La probable mais chaotique révision de l'arbitrage Tapie) et elle rendra son arrêt le 17 février prochain. En somme, après plus de vingt ans de rebondissements, l'affaire Tapie approche de son dénouement...
BOITE NOIREMis en ligne le 4 décembre vers 13 heures, cet article a été légèrement amendé vers 16H, pour faire état de la version que nous a donnée le responsable juridique du groupe Tapie.
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