Après plusieurs mois d'enquête, le parquet de Paris a décidé de citer à comparaître Faouzi Lamdaoui, proche conseiller de François Hollande, devant un tribunal correctionnel. Il devra répondre de faits de « faux et usage de faux », « abus de biens sociaux » et « blanchiment d'abus de biens sociaux ».
Dans un communiqué, l'Élysée a fait savoir, mercredi 3 décembre, que « Faouzi Lamdaoui a présenté sa démission pour se donner les moyens de se défendre suite à sa citation pour des faits remontant à 2007-2008 ».
Il y a quinze jours, un autre proche de François Hollande, Kader Arif, secrétaire d'État aux anciens combattants depuis 2012, a démissionné, son nom étant cité dans une enquête préliminaire ouverte sur les activités des sociétés de ses proches. Le 18 avril, Aquilino Morelle, conseiller spécial de François Hollande, avait lui aussi été poussé à la démission après la révélation par Mediapart de conflits d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.
Nous republions ci-dessous une enquête de Mediapart sur l'affaire Lamdaoui, parue en juin 2014.
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Redressement fiscal, changements incessants de gérants et d’associés, radiations régulières, comptes jamais déposés : Mediapart a découvert que Faouzi Lamdaoui, actuellement conseiller à l’Élysée, a été au cœur d’un labyrinthe de sociétés dont la gestion suscite des interrogations. Deux d’entre elles font l’objet de procédures judiciaires.
Mercredi 11 juin, ce proche de François Hollande avait été entendu pendant plusieurs heures par les policiers avec, selon une source judiciaire, le statut de « mis en cause », et non avec celui de simple témoin évoqué par plusieurs médias. Ce statut, à mi-chemin entre le témoignage et la garde à vue, suppose l’existence d’éléments pouvant attester d’une infraction.
Les enquêteurs de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales de Nanterre soupçonnent Faouzi Lamdaoui de « recel d’abus de biens sociaux » et de « fraude fiscale » dans le cadre de deux SARL, Alpha Distributions et Alpha (devenue Cronoservice) auxquelles il est lié, comme l’a révélé L’Express. La police et la justice le soupçonnent également d’en avoir été le « gérant de fait », dans le cadre d’une enquête préliminaire ouverte sous l’autorité du parquet de Paris en 2013.
Des accusations que Faouzi Lamdaoui rejette par l’intermédiaire de son conseil, l’avocat d’affaires Ardavan Amir-Aslani (voir notre boîte noire). « Il n’y a eu aucune fraude, de quelque nature que ce soit », explique-t-il. Selon Me Amir-Aslani, son client « n’a jamais assuré la gestion des deux sociétés mentionnées, ni de près ni de loin, ni directement, ni indirectement ». Il indique également que « la non-déclaration de revenus n'est pas de la fraude fiscale, qui suppose un montage ».
Les liens du conseiller élyséen avec ces deux sociétés sont pourtant très étroits. Et, documents à l’appui, Mediapart a découvert que Faouzi Lamdaoui, qui se présentait régulièrement comme « ingénieur logisticien » avant d’entrer à l’Élysée, a été au cœur d’une myriade de petites sociétés, des SARL (sociétés à responsabilité limitée), dont il a été soit l’associé, soit le gérant, soit le salarié entre le début des années 1990 et 2012. Selon notre décompte, il a eu des liens avec au moins huit entreprises, dont deux ont fait l’objet d’une procédure au tribunal de commerce.
Toutes ces sociétés ont de nombreux points communs. Elles sont presque toujours enregistrées à la même adresse, dans le XXe arrondissement de Paris, auprès d’une société de domiciliation d’entreprises. La plupart proposent des services proches, notamment « import-export, messagerie 2 roues, prestations de services en gestion, rédactions d’actes et formalités administratives » ou du transport. Leurs fondateurs, leurs associés ou leurs gérants sont régulièrement les mêmes. Leurs noms se ressemblent (Alpha, Alphas, Alpha distributions, Alpha SVE, Alpha services…). Et toutes sont liées à Faouzi Lamdaoui, avec ses deux prénoms (Mohamed Faouzi), ou avec l’un des deux. Ces SARL ne déposent presque jamais leurs comptes annuels. Il s’agit pourtant d’une obligation légale.
L’une d’elles, dans le viseur des enquêteurs, a d’ailleurs fait l’objet d’une lourde condamnation prononcée par le tribunal de commerce. Il s’agit d’Alpha distributions, créée en 2006 par Faouzi Lamdaoui à parts égales avec un autre associé pour proposer de l’import-export, un service de coursiers, des services de « gestions d’entreprises » et de « vente en sous-traitance aux entreprises de travaux photos et périphériques ». Trois ans après sa création, Alpha distributions a attiré l’attention du fisc, qui a fini par saisir la commission des infractions fiscales, chargée de se prononcer sur l’opportunité de poursuites judiciaires.
Le 1er février 2010, dans une lettre que Mediapart a pu consulter, cette commission explique au gérant de l’époque que le fisc le soupçonne d’avoir « volontairement soustrait la société à l’établissement et au paiement partiel de la taxe sur la valeur ajoutée (…), total de l’impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos les 31 décembre 2006 et 2007 ». En clair : il s’agit de soupçons de fraude à la TVA et de fraude à l’impôt sur les sociétés.
Dans le jugement prononcé un an plus tard par le tribunal de commerce de Paris, il est précisé que le « redressement fiscal associé au rappel de TVA » atteint « 981 432 € pour la période du 1er juillet 2006 au 31 décembre 2007 ». À cette époque, Faouzi Lamdaoui dispose d’un contrat de travail, et touche entre 7 000 et 8 000 euros brut par mois comme « directeur logistique » d’Alpha, si l’on en croit les documents que Mediapart a consultés. Surtout, il est au cœur d’un micmac sur les associés et les gérants de la société.
Officiellement, Faouzi Lamdaoui vend ses parts en décembre 2006, soit cinq mois après la naissance d’Alpha distributions. Pourtant, la cession n’est enregistrée au greffe qu’en février 2009 et constitue même le dernier document déposé avant la liquidation judiciaire. Plus étonnant encore : alors qu’il est censé ne plus être actionnaire, Faouzi Lamdaoui continue à figurer en tant qu’associé sur les procès-verbaux de la SARL datant de 2007 et 2008. Cette dernière année est d’ailleurs riche en assemblées d’actionnaires puisque Alpha distributions change trois fois de gérant en trente jours après le départ du premier patron !
Finalement, à la barre du tribunal en 2010, c’est au dernier gérant officiel d’Alpha distributions, M. B., né en 1925, qu’il est reproché d’avoir « fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font l’obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière ». Une partie des faits reprochés sont antérieurs à sa nomination, mais il est définitivement condamné à sept ans d’interdiction de gestion, dans des termes qui rappellent étrangement un précédent jugement de première instance, cassé en appel.
Ce précédent jugement date de 1998 et vise directement Faouzi Lamdaoui. C’était au début des années 1990 avec « Starter SARL » pour du transport de courrier et de colis. Lamdaoui en devient l’associé et le gérant en 1992. Mais après quelques mois, la société est placée en liquidation judiciaire et une procédure est engagée. Il manque dans les caisses de l’entreprise « environ 1 051 224 F » (francs), selon le tribunal de commerce de Paris.
Selon le jugement rendu le 8 juin 1998, consulté par Mediapart, la justice reproche aux deux derniers gérants d’avoir « tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de la personne morale ou s’être abstenu de tenir toute comptabilité conforme aux règles légales », d’avoir « omis de faire dans le délai de quinze jours la déclaration de l’état de cessation de paiements » et de ne pas avoir « collaboré au bon déroulement de la procédure » judiciaire. Aucun des deux cogérants ne s’est présenté au tribunal. Faouzi Lamdaoui et son comparse sont condamnés à la faillite personnelle pour quinze ans. Une sanction particulièrement sévère, qui empêche notamment de gérer une entreprise et vaut inscription au casier judiciaire.
Mais un an plus tard, le futur conseiller de François Hollande sort blanchi de la cour d’appel : d’abord parce que le tribunal a jugé que les convocations au tribunal n’avaient pu lui parvenir en raison d’un déménagement ; ensuite parce que Faouzi Lamdaoui n’était resté que quelques mois gérant et associé de Starter. Une période qui, malgré les difficultés déjà patentes de la SARL, n’a pas été prise en compte dans la procédure judiciaire.
« En définitive, il n’y a pas lieu à sanction personnelle à l’encontre de M. Lamdaoui », conclut la cour d’appel le 17 décembre 1999. Reste qu’à compter de cette date, le militant socialiste n’apparaît plus jamais officiellement comme gérant des SARL qu’il crée et dont il est le directeur logistique ou « technique et commercial ». « M. Lamdaoui est un apporteur d’affaires ; il ne s’occupe jamais de la gestion. Si ces affaires tournent mal ou qu’elles sont gérées par des amateurs, M. Lamdaoui n’a rien à y voir », jure son avocat Ardavan Amir-Aslani.
Les enquêteurs s’intéressent aussi à Alpha, une société créée en 2008, en cessation d’activité depuis le 30 juin 2012 et définitivement radiée en mars 2014, dont Lamdaoui a été associé et salarié. Cette SARL a changé de nom (elle devient Cronoservice) au fil du temps, mais aussi d’adresse de domiciliation, d’associés et même de fonction. Lamdaoui continue d’en être l’associé et l'un des cadres jusqu’au 31 décembre 2011. L'année précédente, ils ne sont que deux salariés déclarés, pour un chiffre d'affaires non négligeable, de près de 390 000 euros, après une année 2009 particulièrement impressionnante (610 100 euros de chiffre d'affaires), selon les seuls comptes déposés par cette société. À l’été 2011, Faouzi Lamdaoui produit des fiches de paie de 6 700 euros brut mensuels comme « directeur logistique » de Cronoservice.
À cette époque, il est pourtant déjà pleinement investi dans la campagne de la primaire de François Hollande : il est chargé des relations avec la presse, il est de tous les déplacements et est de permanence aux côtés du candidat du PS. « Faouzi Lamdaoui, c'est l'ombre du candidat. Celui qui va le chercher à son domicile parisien, le matin. Qui lui apporte des costumes, qui s'occupe des rendez-vous chez le coiffeur, chez l'opticien, qui commande une moto-taxi. "Un organisateur très efficace", apprécie Hollande », qui le nommera chef de cabinet de sa campagne présidentielle fin octobre 2011, raconte L’Express à l’époque. « Sa disponibilité est totale. Comment fait-il? Lamdaoui est ingénieur logisticien, poursuit l’article. Où ? "J'évite de le dire, pour que cela ne cause pas de problème à mon entreprise" », affirme alors Lamdaoui.
Dans la presse, le militant socialiste n’évoque pas les entreprises qu’il contribue à lancer. Il ne dit pas non plus qu’il est déclaré comme profession libérale depuis 1992 comme « conseil en relations publiques et communication ».
Ce n’est que dans le livre de Franz-Olivier Giesbert, Derniers carnets – Scènes de la vie politique en 2012 (et avant), que ce très proche de Hollande livre une autre version dans laquelle il sous-entend cette fois être son propre patron : « J’avais une petite boîte de conseil en logistique. J’ai tout laissé, je n’ai plus roulé que pour François en faisant tout, la presse, le chauffeur et le reste. Je me suis défoncé. J’y croyais tellement, j’ai mis toutes mes économies dans la campagne des primaires. »
À cette époque, Faouzi Lamdaoui est déjà visé par deux plaintes. La première, pour travail dissimulé, a été déposée en 2009 par Mohamed Belaïd qui a œuvré plusieurs mois aux côtés de Faouzi Lamdaoui et fait, entre autres, office de chauffeur pour le futur président de la République. Longtemps, personne – ou presque – ne l’a cru et Lamdaoui et ses proches ont tout fait pour le discréditer, le menacer, voire le faire passer pour fou, selon son avocat Nicolas Cellupica. Sa plainte a été classée sans suite mais un recours doit être examiné en septembre.
C’est sur la foi d’une seconde plainte, déposée cette fois par l’ex-épouse de Mohamed Belaïd, que l’enquête progresse aujourd’hui. Elle accuse Faouzi Lamdaoui d’avoir usurpé son identité pour la nommer gérante de la société Alpha. La plainte date elle aussi de 2009 et est restée dormir dans les tiroirs policiers durant trois ans. Ce n’est qu’en 2012 que la plaignante a été auditionnée par les policiers, avant l’ouverture d’une enquête préliminaire l’an dernier.
Outre Alpha Distributions et Alpha/Cronoservice, les enquêteurs pourraient décider de se pencher sur Alphas, une société initialement nommée ABS Services et fondée en 1997. Selon des documents consultés par Mediapart, Lamdaoui en a été salarié en 1999, 2004, 2005 et 2006 avant que celle-ci ne disparaisse en 2011 sans avoir jamais déposé ses comptes. Dans l’intervalle, c’est Alpha SVE, créée en 1999, domiciliée à la même adresse qu’Alpha et Alpha Distributions, qui a salarié Lamdaoui en 2000 avant de mettre la clé sous la porte en 2004. En remontant encore dans le temps, on retrouve également une SARL dénommée Alpha Services dont Lamdaoui a été salarié en 1997 et 1999.
Il y a dans ce maquis de sociétés éphémères aux noms voisins un trait d’union et une cohérence. Le trait d’union, c’est Faouzi Lamdaoui ; sur huit sociétés recensées, il n’y en a pas une dont il n’ait pas été associé, gérant et/ou salarié. Quant à la cohérence, elle se niche dans la répétition à cinq reprises d’un mode opératoire en trois temps : tout commence avec la création d’une SARL – avec parfois Faouzi Lamdaoui comme associé, ou un membre de sa famille. Peu de temps après, survient l’embauche du futur conseiller de François Hollande. Mais lorsque l’entreprise cesse son activité, il l’a déjà quittée, en ayant revendu ses parts s’il en détenait, et en a créé une autre qui va, à son tour, l’embaucher puis disparaître. Et ainsi de suite jusqu’en janvier 2012, date de son embauche par l’Association de financement de la campagne de François Hollande. Depuis mai 2012, Faouzi Lamdaoui est rémunéré comme conseiller à l’Élysée, chargé de l’égalité et de la diversité.
Cette myriade de sociétés et de contrats donne le tournis. D’autant plus qu’il s’agit d’un des plus proches collaborateurs du président de la République, déjà ébranlé par les révélations sur son ancien ministre du budget Jérôme Cahuzac, démis de ses fonctions après l’ouverture d’une information judiciaire, et, plus récemment, par celles visant son conseiller politique Aquilino Morelle. Cette fois, c’est une pièce maîtresse de la “hollandie” qui est visée – « l’âme damnée » de Hollande, selon un de ses surnoms moqueurs au Parti socialiste. Non pas tant pour les fonctions qu’il occupe actuellement que pour le rôle qu’il a joué auprès de François Hollande depuis le début des années 2000.
C’est sans doute une des raisons de sa longévité au cabinet du président de la République. Et ce, malgré les récents mouvements à l’Élysée et la gravité des soupçons des enquêteurs. Interrogé à ce sujet par Mediapart, l’entourage de François Hollande répond d’une phrase aussi sibylline que formelle : « L'enquête préliminaire qui a été ouverte sur les sociétés dans lesquelles M. Faouzi Lamdaoui a travaillé dans le passé doit être conduite dans les règles fixées par la loi, c’est-à-dire en respectant sans restriction la présomption d'innocence et sans qu'aucune intervention ne puisse contrarier la manifestation de la vérité, dans l’attente d’une décision au terme de cette enquête. »
BOITE NOIREACTUALISATION - Cet article a été actualisé, mercredi 3 décembre, à 15h15, suite à l'annonce par l'Elysée de la démission de Faouzi Lamdaoui.
Mediapart, comme d'autres médias, a été alerté depuis de nombreux mois sur les plaintes déposées contre Faouzi Lamdaoui. L’ouverture de l’enquête préliminaire l’an dernier et les récentes révélations de L’Express nous ont permis d’explorer de nouvelles pistes et de découvrir de nouveaux éléments.
Contacté par Mediapart, par téléphone et par mail, Faouzi Lamdaoui a refusé de répondre à nos questions. C’est son avocat, Ardavan Amir-Aslani, qui a pris contact avec nous. Il a d’abord souhaité répondre par écrit à nos questions avant d’accepter finalement de nous rencontrer. Nous l’avons interrogé longuement vendredi 20 juin 2014, à Paris.
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