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EDF: un nouveau président sous influence

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Cela a, semble-t-il, été sa première décision. Avant même d’avoir pris officiellement la présidence d’EDF, Jean-Bernard Lévy a décidé de s’adjoindre un conseiller en communication extérieur. Il a fait appel aux services d’Anne Méaux, la présidence du cabinet Image 7. Sa mission : « conseiller le président d’EDF et la direction de la communication pour toutes les questions de communication », explique-t-elle. Montant du contrat : secret défense.

Jean-Bernard Lévy, président d'EDFJean-Bernard Lévy, président d'EDF © Reuters

Jean-Bernard Lévy s’inscrit avec cette première décision dans les habitudes des patrons des grands groupes du CAC 40. Les services de communication interne de leur groupe, pourtant généralement fournis, ne leur semblant pas suffisants, ils s’empressent de s’adjoindre une société de conseil externe, totalement dévolue à leurs services, plus qu’à ceux du groupe bien souvent. Interrogeant quelques amis proches, certains lui auraient donc vivement recommandé de s’occuper de son image de grand patron et de s’entourer des conseils d’Anne Méaux. Jean-Bernard Lévy s’est empressé de suivre le conseil.

La décision a surpris nombre d’observateurs. Ils ne s’attendaient certes pas à ce que Stéphane Fouks, patron de l’agence Euro RSCG et très proche du premier ministre Manuel Valls, soit reconduit dans ses fonctions : il s’était trop engagé dans la campagne pour le renouvellement d’Henri Proglio à la tête d’EDF. Mais de là à désigner Anne Méaux, il y avait un pas qu’ils n’imaginaient pas que Jean-Bernard Lévy, nommé par un gouvernement de gauche, franchirait.

Même dans les milieux gouvernementaux, cette décision aurait fait tousser, selon nos informations. Car Anne Méaux n’est pas une figure neutre dans le monde du conseil.

Depuis plus d’une décennie, cette libérale convaincue s’est constitué une sphère d’influence notable dans le monde français de l’énergie, avec l’appui de ses amis de droite.

En 2004, au moment de la nomination de Pierre Gadonneix à la présidence d’EDF, elle se vantait d’être à l’origine de sa promotion à la tête du groupe public, en ayant recommandé son nom auprès de son ami, le premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, et d’avoir ainsi empêché la reconduction de François Roussely, défendu par Stéphane Fouks (voir l’enquête de Libération de cette époque). Pendant une période, elle a conseillé le président d’EDF « jusqu’à la privatisation » du groupe, dit-elle.

Les années ont passé et la présidence controversée d’Henri Proglio chez EDF a occulté ce qui s’est passé auparavant. Mais la présidence de Pierre Gadonneix, chaudement recommandé par Anne Méaux, a été une des plus calamiteuses pour le groupe public. Son bilan peut se lire ici, ici ou . Son aventurisme aux États-Unis a coûté plus de cinq milliards d’euros au groupe. Il est parti en laissant une entreprise souffrant de sous-investissement chronique, y compris dans la sécurité nucléaire, percluse de dettes et condamnée à augmenter ses tarifs pour faire face.

Mais c’est surtout aux côtés d’Anne Lauvergeon, l’ancienne présidente d’Areva, que le rôle d’Anne Méaux a été le plus important. Pariant l’une comme l’autre beaucoup – tout ? – sur la com, Anne Lauvergeon et Anne Méaux se sont tellement bien entendues qu’elles sont devenues amies. Ferraillant sur tous les terrains, elles ont mené ensemble une bataille ininterrompue de communication en défense d’Areva, contre les ennemis du groupe nucléaire, Henri Proglio en tête. Ces combats incessants ont permis d’entourer de fumée le reste, le plus important : la gestion industrielle et financière du groupe. Trois ans après le départ d’Anne Lauvergeon, la poussière est en train de retomber, permettant de découvrir la réalité, mise en exergue par le pré-rapport de la Cour des comptes : celle d’un groupe en perdition, qui a besoin d’une recapitalisation d’au moins 1,5 milliard d’euros. « Comment Anne Méaux ose-t-elle se présenter à nouveau comme conseil d’EDF, après avoir été mêlée de si près au sinistre d’Areva ? » s’interroge un proche du dossier.

Ces précédents ne semblent pas avoir gêné Jean-Bernard Lévy. Arrivant seul, dans un secteur où il n’a jamais travaillé, où il n’a aucune expérience, ni aucune amitié, le nouveau PDG d’EDF est pressé de se constituer des relais et des appuis. Anne Méaux est l’un de ceux-là. D'autant qu'elle est en relation étroite avec l'ancienne présidente du Medef, Laurence Parisot, une autre de ses clientes, qui, après avoir postulé à la présidence d'EDF pour remplacer Henri Proglio, a obtenu du gouvernement en lot de compensation un poste d'administrateur dans le groupe public.

Mais le contrat avec Image 7 n’est que la partie visible de l’édifice. Derrière cette décision, ce sont tous les réseaux de Gérard Longuet – auxquels Anne Meaux a appartenu, ayant été comme lui, comme Pierre Gadonneix, à Occident dans les années 1970 – qui sont en train de venir prêter main forte à Jean-Bernard Lévy, de lui suggérer les nouveaux noms de l'état-major, de l’aider à comprendre ce qu’il peut faire.

À ses débuts, avant d’être chez Matra, puis chez Vivendi et pour finir chez Thalès, Jean-Bernard Lévy est d’abord passé par le cabinet de Gérard Longuet en 1986, lorsque ce dernier était secrétaire d’État des postes et des télécommunications. Les deux hommes se sont manifestement très bien entendus puisque, lorsque Gérard Longuet est à nouveau nommé ministre de l’industrie en 1993, il offre à Jean-Bernard Lévy d'être son directeur de cabinet. Ils sont restés très proches. Ces derniers temps, Gérard Longuet tout comme Pierre Gadonneix semblent lui accorder beaucoup de temps pour lui dispenser quelques conseils et réflexions.

Néolibéral convaincu, Gérard Longuet est un fervent partisan de la libéralisation de tous les services publics. Outre les questions de défense, le sénateur UMP de la Meuse dit avoir toujours été très intéressé par les questions d’énergie. Depuis plus d’une décennie, il est un de ceux qui ont le dossier en main, donnent toutes les impulsions législatives et réglementaires. Son programme, dans le passé, était des plus arrêtés : il était favorable à une mise en concurrence totale de l'énergie, la fin des tarifs régulés, une augmentation des prix afin de soutenir la concurrence, un démontage des services d’EDF et une libéralisation totale du nucléaire en France.

Gérard LonguetGérard Longuet © Reuters

Son équipe et lui ont investi méthodiquement toutes les places depuis cette époque pour le mettre en œuvre. Il y eut d’abord Edmond Alphandéry, très proche d'eux, nommé président d'EDF en 1994, puis Pierre Gadonneix en 2005. C’est ainsi que Philippe de Ladoucette, un ami très proche de Gérard Longuet, fut aussi désigné en 2006 pour prendre la présidence de la commission de régulation de l’énergie (CRE). Malgré des résultats contestés, celui-ci, contre toute attente, a été reconduit dans ses fonctions en 2011. Depuis, il se fait oublier, se contentant d’entériner les hausses successives des prix de l’énergie, décidées par le gouvernement mais qu’il a chaudement recommandées depuis des années.

Grâce à ses liens et son influence, Gérard Longuet a noué de solides relations et gagné de puissants soutiens dans le secteur. Ses avis semblaient si prisés que GDF Suez l’a embauché comme conseiller  en 2008, juste après la fusion avec Gaz de France, pour travailler « sur le déploiement du nucléaire en France et à l’étranger ». Ce contrat contre nature l’a bloqué, plus tard, dans ses ambitions pour devenir ministre de l’industrie, semble-t-il.

Gérard Longuet avait postulé pour devenir président d’EDF en 2004 puis à nouveau en 2009. En vain. Mais il peut aujourd’hui se réjouir d’avoir un de ses proches à la présidence du groupe public, avide de conseils et de suggestions, prêt à s’entourer d’amis. Jean-Bernard Lévy ira-t-il jusqu’à suivre toutes les recommandations qui lui sont faites ?

Au gouvernement, certains commencent à se rendre compte que Lévy n’est peut-être pas seulement ce polytechnicien soutenu par le corps des Mines. Ils se demandent si sa nomination, liée à une guéguerre entre Matignon et l’Élysée, n’a pas été une erreur, s’il n’y avait pas d’autre candidat plus présentable. Trop tard. Il fallait se poser les questions avant et s'interroger sur la stratégie plutôt que sur le casting patronal. Jamais un sujet aussi essentiel, censé être au cœur des préoccupations gouvernementales, n'a été traité de façon aussi brouillonne et inconsidérée. Il restera à la gauche les effets de tribune pour défendre « l’État stratège » et vanter les mérites « des services publics à la française ».

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