Elle est étonnante, la capacité des médias à gober les belles histoires de l’oncle Nicolas. Toute la journée d’hier, l’UMP a communiqué son extase vis-à-vis de la participation. Toute la journée, la presse s’est émerveillée, et le soir, chaque commentateur s’est senti obligé de souligner “le record de participation”. Imaginez une élection présidentielle, en France, où l’on annoncerait à 20 heures la même “très forte participation”, avant d’en donner le chiffre : 57 %. Les téléspectateurs se demanderaient : “Ils sont sur la planète Mars, ou quoi ? ” Pas tout à fait… Ils sont sur la planète Sarkozy.
Pour une élection interne qui ne concerne que des militants, donc des gens a priori très engagés, un scrutin qui n’a rien à voir avec les précédents (le duel Copé-Fillon fut un foutoir organisé et l’élection de 2004 un triomphe verrouillé à l’avance), 57 % de participation ce n’est pas beaucoup, et c’est un message en soi. La grande majorité des militants UMP a envie de tourner la page.
La planète Sarkozy s’est dégrisée hier soir. Elle est sortie des vapeurs de son auto-propagande. Elle a buté sur la réalité. L’homme qui déclarait, le 18 janvier dernier, à des députés UMP : « J’ai une stratégie de retour stratosphérique », a fait un atterrissage conforme aux lois de la gravitation universelle. Il s’est sinon cassé la figure, au moins sérieusement blessé en retournant sur la terre ferme. Il n’a échappé ni à l’histoire d’une France qui l’a licencié en 2012, et qui ne veut toujours pas de lui, ni à celle de son parti qui adore les Bonaparte à condition qu’ils les conduisent à la victoire. Or Sarkozy ne triomphe pas.
Le décrochage de Sarkozy est une ivresse de l’altitude, à moins que ce ne soit des profondeurs. Il ne date pas d’hier, ni de 2012, mais plutôt de 2007. Une ivresse collective. Il y a Lui qui se saoule de ses paroles, et les médias qui font écho, y compris pour critiquer. Mais cela crée un climat. Quand les chimères sont imprimées, ou répétées à la télé, on dirait des réalités. Or, dès qu’il prononce un mot, y compris une sottise sans importance, une fanfaronnade, un commérage, la presse roule du tambour, et il croit qu’il fait du bruit. Sauf que tout le monde s’en fiche. La preuve : 64 %.
Le bobard initial remonte à son élection. Une légende raconte que ce jour-là, avec son score extraordinaire, Nicolas Sarkozy a fait se lever un espoir formidable. C’est faux. Le score de sa victoire est net, 53 %, mais banal dans une élection présidentielle (Chirac a fait 52,5 % en 1995, et Mitterrand 54 % en 1988). Et l’accueil frôle l’indifférence. La foule ne s’est pas levée. Le jour de l’investiture, cet enthousiasme existe davantage dans les commentaires des journaux de 20 heures que sur les Champs-Élysées, où ne sont venus que de petits groupes de supporters, filmés en plan serré. Rien à voir avec la liesse de 1995 ou la foule de 1981.
Mais l’équivoque est en place dès le premier jour. Le nouveau président échappe très vite au réel. Il se croit tout permis. Il commet la monumentale bévue du yacht de Bolloré, après avoir annoncé pendant sa campagne qu’il se retirerait dans un couvent pour méditer, il met sa femme Cécilia au cœur de l’État avant de la changer par Carla en conférence de presse… En quelques mois, il épuise son crédit et ne remontera jamais la pente. Mais, enfermé dans son storytelling, il annoncera sans cesse son retour fracassant, l’effondrement de ses adversaires, et sa victoire finale.
Il l’annoncera si fort, et la presse diffusera si passionnément ses “confidences”, qu’il y croira pour de bon, au-delà du résultat des élections. Sa défaite de 2012 est ainsi devenue, dans sa bouche, “un résultat extraordinaire”. Une victoire contre le monde, la presse, et les pronostiqueurs. Il ne cessera de parler de son score, 48,3 % comme du socle évident de sa reconquête, et ses amis, Hortefeux et compagnie, ne cesseront de faire écho à cette statistique magique. 48,3 % ! Désormais tout est possible.
Il se trouve qu’en 1981, Valéry Giscard d’Estaing avait été battu, comme lui, après un seul mandat, sur le score de 48,2 %, et que sa défaite avait été jugée cuisante… Mais il en va ainsi de la Sarkozie. Elle ne gère pas le réel, elle l’invente. Elle le fabrique à sa guise, en distribuant les rôles, lui au centre, tout puissant, et tout autour, des figurants, des nuls, des pignoufs, des traîtres, et des adorateurs. Ce qui étonne dans ce décrochage, c’est la capacité de la presse à répercuter ces signaux, comme s’ils étaient essentiels. Depuis deux ans, la légende des “cartes postales”, qui n’étaient autre que des bribes de piapia, a ainsi été traitée comme des actes politiques.
À force d’avoir été adulé pendant un mandat où il a été rejeté, à force d’avoir gagné en 2012, à force d’avoir passionné une France qui s’en fichait avec le faux suspens de son retour, Nicolas Sarkozy est donc revenu sur la terre ferme, et elle est plus ferme que prévu.
Son problème désormais, c’est qu’au-delà des aspects personnels, son retour est également bancal sur le plan historique. Nicolas Sarkozy, souvent caricaturé en Bonaparte, incarne la tradition du même nom, issue du parti gaulliste dans la Cinquième République. La tradition du Chef. Et c’est au nom de cette tradition qu’il a fait son retour.
Or rien ne colle entre son rêve et la réalité.
Dans l’UNR, puis l’UDR, puis le RPR, puis l’UMP qu’il a conquise en 2004, la tradition est celle d’un parti qui émane du Chef, et pas d’un Chef qui émane de son parti. De Gaulle a fabriqué l’UNR, Chirac a fabriqué le RPR, Sarkozy a transformé l’UMP pour en faire un outil à sa main.
Or ce qui s’est passé hier est tout bêtement l’inverse : une élection. Si Sarkozy avait gagné triomphalement, avec 80 % des voix, l’affaire était pliée. Le parti serait redevenu celui du Chef. Or il a plafonné à 64,5 % des votants, et une force d’opposition interne s’est manifestée derrière Bruno Le Maire. Dans un parti bonapartiste, il s’agit là d’un sacrilège, et c’est ce sacrilège que le “Président” élu hier devra assumer. Dans sa campagne, Nicolas Sarkozy avait annoncé la fin des courants, et l’union derrière un seul homme. C’est raté. Depuis 2012, il refusait l’inventaire de son quinquennat. C’est raté. L’inventaire, c’était hier soir. Pour l’avenir, il se réservait d’organiser les primaires à sa main. C’est raté. Il va devoir composer.
Le parti dont hérite le dernier Bonaparte de la Cinquième République a clairement, et irrévocablement, choisi de sortir du bonapartisme, voilà le résultat majeur de l’élection d’hier. Sur le plan historique, c’est un événement considérable. Dans l’éternelle guerre des Droites, qui oppose peu ou prou, depuis 55 ans, une droite de caserne, rangée derrière un général, et une droite gazeuse, un coup UDF, un coup UDI, avec toutes ses composantes, une droite incapable de se structurer mais permanente dans son désir de fonctionner sur un mode parlementaire, la droite bonapartiste a subi une défaite d’autant plus radicale qu’elle émane de ses rangs.
Voilà que le parti bonapartiste a une opposition ! C’est impensable… Voilà qu’il va organiser des primaires, et que son futur Chef dépendra du parti et non l’inverse. C’est impossible… Voilà que le parti bonapartiste n’est plus bonapartiste, et que le dernier des Bonaparte, à sa tête, va devoir descendre de son cheval dans le seul espoir de gagner le grand prix du président de la République, à pied…
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