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Au congrès du Front national, l'entreprise Le Pen prospère

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Lyon, de notre envoyé spécial – Dimanche, 15 heures, les militants agitent des drapeaux tricolores et trépignent en attendant l’arrivée de Marine Le Pen. Selon la communication du Front national, ils seraient plus de 3 000 ce jour-là. Une vidéo annonce l’arrivée de la présidente. On y voit les trésors de France et un slogan, maintes fois rabâché : « La France est belle, protégeons-la. » Puis, elle arrive. Émergeant du côté de la scène, sa tête blonde traverse la salle devant les militants. Tout de noir vêtue, Marine Le Pen monte sur scène et écarte fougueusement les bras pour saluer son public. C’est la liesse générale. Seule candidate, Marine Le Pen a été réélue présidente du mouvement d'extrême droite avec 100 % des suffrages exprimés.

Pour clore le XVe congrès, la cheffe incontestée se lance dans une diatribe d’une heure contre l’« UMPS », contre l’Europe, contre la situation économique, l’immigration, l’insécurité ou encore contre ces maires qui financeraient des mosquées. La température monte. « On est chez nous, on est chez nous », scande à plusieurs reprises la salle. En pré-campagne, la présidente assure ensuite que « les stratégies de (leurs) adversaires se déterminent en fonction de nos poussées électorales… Aucun doute, nous serons au second tour. L’ancien président et le nouveau se bataillent pour savoir qui sera à la deuxième place ! ».

Les rires fusent. Mais au bout du compte, ce discours de synthèse reste assez classique. « Elle s’est inscrite dans la ligne droite de Jean-Marie Le Pen », analyse sur place le sociologue Sylvain Crépon, membre de l’Observatoire des radicalités politiques (ORAP). « Elle a aussi beaucoup insisté sur la nécessité de former des cadres pendant le congrès, je ne l’avais jamais entendu autant. Le FN se met en ordre de marche pour 2017 », constate le chercheur.

Marine Le Pen et Jean-Marie Le Pen à la tribune du XVe congrès du FN, le 30 novembre. À l'arrière-plan, Marion Maréchal-Le Pen.Marine Le Pen et Jean-Marie Le Pen à la tribune du XVe congrès du FN, le 30 novembre. À l'arrière-plan, Marion Maréchal-Le Pen. © Reuters

Dans la salle, Hélène et Carmen ne cachent pas leur admiration. Elles ont conduit pendant six heures pour venir de Metz à Lyon. Au chômage ou en reconversion, elles pensent que le FN est leur seul espoir pour que la Lorraine ne finisse pas comme « le Ch’Nord ». Dans le hall, un immense drapeau tricolore est tendu par les organisateurs. C’est l’heure de la quête. Cinq, dix ou vingt euros… Les militants jettent leur argent dans la toile républicaine. Une tradition remise au goût du jour, mais qu’il ne vaut mieux pas photographier ou filmer. Une équipe de Canal Plus en a d’ailleurs fait les frais. Alors qu’elle filmait la scène, un vigile a poussé le caméraman de façon agressive, sans explications. Ambiance tendue avec la presse. Si Mediapart et le « Petit Journal » de Canal Plus étaient interdits d'accès, le FN avait en revanche accrédité la presse d'extrême droite, notamment le journal national-catholique Présent et la web-télé TV-Liberté.

Hervé, lui, vide ses poches dans le drapeau français. Pour cet agent de sécurité de 58 ans, c’est un geste envers la « famille ». Trente ans qu’il milite au FN. Sa fille, une blondinette, peintre dans le bâtiment, n’a que deux euros. À 22 ans, sa Marie ne jure que par Marion « qui a presque le même âge », comme ses amis ouvriers. Elle est ravie que Marion Maréchal-Le Pen soit arrivée en tête ce dimanche après l’élection du comité central.

À 24 ans, la députée du Vaucluse, petite-fille de Jean-Marie Le Pen et nièce de Marine Le Pen, est arrivée devant Louis Aliot, compagnon de la présidente du FN et numéro deux du parti. Marine Le Pen a, elle, été réélue à la tête du parti avec 100 % des voix, étant l'unique candidate. Plus que jamais, le Front national fait figure de PME familiale. Même si Marion Le Pen explique face aux micros qu'elle n'a « pas accepté de vice-présidence car (elle) ne voulai(t) qu’on puisse reprocher à Marine Le Pen le “front familial” ».

Marion Maréchal-Le Pen et Marine Le Pen, au XVe congrès du Front national, le 29 novembre.Marion Maréchal-Le Pen et Marine Le Pen, au XVe congrès du Front national, le 29 novembre. © Reuters

En face, le vice-président du parti, Florian Philippot, n’a pas percé comme espéré face à ce mur. Il  n’arrive qu’en quatrième position. « Je n'ai pas ce coup de pouce de m'appeler Le Pen », a-t-il réagi, samedi. Interrogé sur le nouvel exécutif, ce proche de Marine Le Pen en charge de la communication se dit satisfait car cela « reflète le “marinisme”. Il y a une montée en puissance d’une nouvelle génération, il y a aussi des personnes plus historiques, il y a des nouvelles têtes, notamment celle de Gaëtan Dussausaye, le directeur du FNJ, c’est une bonne nouvelle ». Il assure ne pas être déçu de sa quatrième place, « parce que ce sont des logiques internes, l’ancienneté joue. J’ai fait 70 %, soit 7 adhérents sur 10 qui ont voté pour moi. Alors, 8 sur 10 ont voté sur Marion, oui, et je suis content pour elle », conclut Florian Philippot, visiblement saturé.

Fin des débats sur de « prétendues dissensions internes ». Le mot d’ordre du week-end était l’unanimité derrière Marine Le Pen, malgré deux lignes différentes entre Marion Le Pen, plus conservatrice, et Florian Philippot, plus étatiste. « Il y a un focus grossissant des médias aussi. Le FN n’a pas d’opposition interne véritablement structurée, et ça, parce que Bruno Gollnisch ne l’a pas voulu », relève le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite et directeur de l'ORAP. « Au fond, le FN a une certitude, c’est qu’il faut marcher sur ces deux jambes-là, et pas sur une seule. Le FN a tout intérêt à faire cohabiter les deux sensibilités. Une deuxième scission (comme en 1998) n’est pas envisageable. La maison va tenir car le FN est conscient de la chance historique que le front a », souligne Jean-Yves Camus.

Le XVe congrès du Front national, au centre des congrès, à Lyon, le 30 novembre.Le XVe congrès du Front national, au centre des congrès, à Lyon, le 30 novembre. © Reuters

Un peu plus loin, Bruno Gollnisch, battu par Marine Le Pen pour la présidence du parti en 2008, attire la sympathie des militants. Il faut dire qu’il a mis des atouts de son côté en offrant du beaujolais aux congressistes. Plus de mille bouteilles de vin, cuvée « Gollnisch », se sont arrachées samedi dans les stands du congrès, entre les saucissons de Lyon, les grattons et les photos-souvenirs. Renouvelé au bureau politique, le conseiller régional de Rhône-Alpes s’offusque lorsqu’on lui fait remarquer que ses proches tombent dans les tréfonds du classement du comité central. Imperturbable, Bruno Gollnisch affirme qu’il a parrainé Catherine Salagnac, nommée dans le nouveau bureau politique. À l'écouter, la ligne gollnischienne ne serait pas tout à fait éteinte.

En revanche, de nouvelles têtes d’affiche s’imposent, comme Nicolas Bay, nommé dimanche, sans surprise, secrétaire général du parti (lire son portrait par l'AFP et dans Le Monde). Député européen et conseiller régional de Haute-Normandie, il a été mis en avant lors de ce congrès. Sur son profil Twitter, il pose sans complexe à la soirée de gala du FN avec le vice-président de la Douma, Andreï Issïev, le représentant du Kremlin à Lyon.

« C’est ce qui m’a le plus marqué dans ce congrès », précise Sylvain Crépon, sociologue, « c’est la présence d’un responsable de Russie Unie. C’est extraordinaire qu’ils s’affichent avec un représentant de la Russie et des leaders de partis populistes européens, de grands radicaux comme Heinz-Christian Strache du FPO autrichien, qui reste ambigu sur le passé nazi de l’Autriche. »

Une nouvelle tête également a fait parler d’elle. Il s’agit de Julien Sanchez, 31 ans, nouveau maire FN de Beaucaire dans le Gard. C’est lui qui a animé la scène ce dimanche, avant l’annonce des membres élus au comité central. S’il n’est pas dans le bureau politique, ce jeune frontiste est arrivé à la quinzième place au comité central. Adhérent de longue date, ses idées sont plus proches de celles de Jean-Marie Le Pen, le président d’honneur du parti, toujours autant ovationné à chaque entrée sur scène. « Pour la peine de mort, je suis plutôt pour son rétablissement. Je pense que c’est quelque chose d’important pour l’échelle des peines. Aujourd’hui, quand on commet un crime, on ne risque pas grand-chose. Le but, c’est que ce soit dissuasif », explique-t-il, sans ciller, dans les couloirs du congrès.

Dernièrement, Julien Sanchez a fait parler de lui en recrutant à la communication de sa mairie Damien Rieu, le porte-parole de Génération identitaire – mouvement de jeunesse des identitaires. Damien Rieu était d’ailleurs présent au congrès du FN. Tout comme Arnaud Naudin, autre membre du Bloc identitaire et rédacteur en chef de Novopress, qui a assisté au discours de la présidente du Front national. D’autres se livraient à un étrange jeu de cache-cache avec les journalistes : Guillaume Lotti (cadre du Bloc identitaire) et Maxime Martin (militant de Génération identitaire) se targuaient d’espionner dans la salle les journalistes du Monde et de l’AFP, qu’ils jugent militants (voir leurs tweets ici et ).

L'ascension de Nicolas Bay dans l'appareil frontiste lancera-t-elle d'autres passerelles vers les identitaires ? Le nouveau secrétaire général du FN bénéficie de nombreux contacts au Bloc identitaire et a favorisé le rapprochement de plusieurs cadres avec le Front national (lire notre article). En novembre 2012, Marine Le Pen avait officiellement exclu toute alliance électorale entre son parti et le Bloc identitaire, un mouvement d'extrême droite formé selon elle d'« européistes », de « régionalistes », qui « contestent le rôle fondamental de la Nation ».

Depuis, plusieurs identitaires ont rejoint des mairies frontistes, notamment à Beaucaire et Cogolin. Début novembre, c'est une autre figure du Bloc identitaire, Philippe Vardon, qui était présent dans le public lors du conseil municipal du Pontet (Vaucluse), ville FN.

Désormais, les responsables frontistes vantent même ouvertement les qualités du Bloc identitaire. Nicolas Bay explique ainsi à Mediapart qu'« il y a dans la mouvance identitaire un certain nombre des personnes qui partagent l’essentiel de nos idées et qui sont susceptibles de nous rejoindre et de travailler avec nous ». S'il affirme que le FN « n'envisage pas du tout d’accords bilatéraux avec des structures », il explique qu'il en revanche que « si des identitaires veulent nous rejoindre, c’est envisageable »

De son côté, Julien Sanchez estime aussi que s'il n'a « pas eu d'engagement chez les identitaires », cela ne « (l')empêche pas de trouver certaines de leurs actions plutôt sympas ». Interrogé par Mediapart sur sa nouvelle recrue identitaire à Beaucaire, il répond : « Ça ne me gêne absolument pas de travailler avec les identitaires. Ce n'est pas un travail politique mais professionnel, qui concerne la communication. Sur ceux qui ont postulé à cet emploi, c'était le meilleur. » Marion Maréchal-Le Pen a de son côté expliqué, dimanche, que le Bloc identitaire était « manifestement un bon centre de formation en termes de com' et d'agit-prop ».

Bien implantés à Lyon, les identitaires, même minoritaires, étaient donc visibles ce week-end, et en marge du congrès également. À l’extérieur, le bâtiment était cerclé de CRS, une vingtaine de fourgons s’alignaient le long du centre des congrès. Et pour cause : une manifestation anti-FN se tenait à Lyon samedi, qui a réuni environ 3 000 personnes. Les identitaires comptaient s’y inviter pour « défendre les commerçants » face aux « casseurs d’extrême gauche ». Mais après discussion avec la police, ils seraient officiellement restés dans leur local de la Traboule dans le vieux Lyon, samedi après-midi, pour « ne pas mettre de l’huile sur le feu ».

Mais, samedi, la manifestation anti-FN organisée par la Coordination nationale contre l’extrême droite (Conex) a dégénéré. Des vitrines ont été saccagées et quatorze personnes interpellées. Pour Armand Creus, conseiller régional du Front de gauche et membre du collectif Vigilance 69, « des provocateurs se sont infiltrés et notre manifestation pacifique a été dénaturée. Ils étaient peut-être deux cents et très bien organisés. Ils avaient des marteaux, des pierres. Notre service d’ordre a été coupé en deux. On a dû se disperser sous les gaz lacrymogènes », regrette-t-il. Dans un communiqué, le collectif dit s'interroger « sur qui sont ces provocateurs qui ont dénaturé l'objectif et le message de notre manifestation, ce dont seule l'extrême droite peut se féliciter ».

BOITE NOIRELe Front national a refusé, lundi 24 novembre, d'accréditer Mediapart et « le Petit Journal » de Canal Plus à son congrès. Notre journaliste Marine Turchi, qui suit la formation d'extrême droite, a été à trois reprises cette année interdite ou refoulée de manifestations du Front national (pour plus de détails, lire ici). Le vice-président du FN, Florian Philippot, a expliqué cette interdiction le jour même sur i-Télé : « Ce sont des militants anti-Front national. (…) Ce ne sont pas des médias, ce ne sont pas des journalistes. »

Mediapart n'a nullement l'intention de se plier aux interdictions professionnelles édictées par le FN et à ses offensives répétées contre les journalistes et la presse indépendante. Nous entendons demeurer libres de nos choix, de couvrir ou non telle ou telle manifestation du FN. Au vu de l'importance de ce congrès et de l'impact de nos révélations sur les financements russes du FN, nous avons décidé de le couvrir. Un confrère s'est donc fait accréditer et couvre pour nous ce congrès du FN. Nous l'en remercions vivement. Nos lecteurs comprendront que pour d'évidentes raisons de sécurité, nous ne révélerons pas l'identité de ce confrère. C'est pourquoi cet article, et celui de samedi, sont signés Pseudonyme.

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