La réforme des retraites, la première sous la gauche, dossier crucial du quinquennat de Hollande, a connu un temps fort ce vendredi 14 juin. Yannick Moreau, la présidente de la commission chargée d’élaborer des pistes de réformes, a rendu le très attendu et redouté rapport au premier ministre : « Nos retraites demain : équilibre financier et justice » (le fichier est disponible en PDF dans son intégralité ici).
En deux cents pages, l’ancienne présidente du conseil d’orientation des retraites et les neuf experts qui l’entourent déroulent un catalogue de mesures pour bâtir un système « durablement équilibré et plus juste », le pire comme le meilleur. « Libre au gouvernement de s’en inspirer ou pas. C’est aux politiques de décider », a répété Yannick Moreau lors d’un point presse à Matignon à propos de ce qui doit servir de base de travail à la concertation lors de la conférence sociale des 20 et 21 juin entre le gouvernement et les partenaires sociaux.
Les grandes lignes avaient fuité depuis plusieurs jours et se confirment. Pour combler un déficit de l’ensemble des régimes de retraites estimé à 20 milliards d’euros en 2020, les “experts” proposent de faire au total sept milliards d’économies. Il suggère de répartir l'effort soit à parts égales entre actifs et retraités, soit à hauteur de deux tiers pour les actifs et un tiers pour les retraités.
Voici quelques-unes des principales suggestions du rapport Moreau qui ont déjà fait couler beaucoup d’encre :
- Augmenter « rapidement » la durée de cotisation à 43 ans pour la génération née en 1962, puis à 44 ans pour les personnes nées en 1966, contre une durée de 41,5 ans actuellement soit un gain de 600 millions d’euros en 2020 pour le régime général. Une seconde hypothèse consiste à adopter un rythme « moins rapide », en allongeant la durée de cotisation d’un trimestre toutes les deux générations jusqu’à la porter à 42,25 ans pour les générations nées en 1961 et 1962, soit 200 millions d’euros en 2020.
- Revoir le mode de calcul des retraites des fonctionnaires « en le faisant progressivement reposer sur une période plus longue que six mois » et en intégrant une partie des primes. Sans trancher sur une nouvelle durée, le rapport propose plusieurs scénarios avec un calcul basé sur « une durée de référence variant de 3 à 10 ans, compensée par l’intégration d’une partie des primes ». Le rapport Moreau souligne cependant que globalement les différences ne sont pas si grandes entre le public et le privé.
- Augmenter les cotisations d’assurance-vieillesse de 0,1 point par an pendant 4 ans et à parts égales des cotisations retraite des employeurs et des salariés pour les salaires au-dessus du plafond de la Sécurité sociale (un peu plus de 3 000 euros net).
- Aligner le taux de CSG des actuels retraités sur celui des actifs, en le faisant passer de 6,6 % à 7,5 %, baisser l’abattement fiscal de 10 % dont ils bénéficient comme les actifs au titre des frais professionnels en le portant à 7,5 ou 3 %.
- Fiscaliser les majorations de pensions (10 %) accordées aux ménages ayant élevé trois enfants ou plus.
- Créer un compte temps pour les salariés soumis à la pénibilité. Ces salariés gagneraient des points qu'ils pourraient utiliser ensuite, soit pour du temps de formation professionnelle, soit pour du temps partiel en fin de carrière, soit pour pouvoir partir plus tôt en retraite. Par exemple, 10 trimestres d'exposition à des facteurs de pénibilité déclencheraient le droit à un trimestre de congé formation. Et 30 trimestres d'exposition permettraient le rachat d'un trimestre au titre de la retraite.
La commission épargne en revanche les régimes spéciaux (SNCF, EDF, RATP, etc.) qui coûtent plusieurs milliards d’euros à l’État. Trop risqué politiquement ? Yannick Moreau évacue la question en soulignant qu’un nouvel allongement de la durée de cotisation rendrait leur âge de départ légaux de plus en plus « théoriques » si ces salariés veulent une retraite pleine et rappelle que « la réforme de 2008 a eu un impact très puissant sur ces catégories ».
Nulle part dans ce rapport, en revanche, ne figure comme piste potentielle de financement celle érigée en totem en 2010 par le parti socialiste dans son programme : taxer les revenus du capital, des bonus, des stocks-options, des plus-values, et les banques comme nous le rappelons dans cet article. Serait-ce une proposition folle ? Lorsqu’on pose la question à Yannick Moreau, elle répond ni par l’affirmative, ni par la négative mais : « Il peut bien évidemment y avoir d’autres ressources que celles que nous avons étudiées. Cela relève du politique. Le gouvernement fait ce qu’il veut. »
Le gouvernement, justement, s’emploie à désamorcer ce qui a tout d’une bombe sociale. D’autant que Bruxelles exige une réforme pour l’automne au moment même où seront lancées les municipales de 2014. Dans une déclaration à Matignon, le premier ministre a salué un rapport « d’une grande lucidité » tout en martelant que les efforts ne seront « pas écrasants mais guidés par la continuité et la justice ».
« Le rapport Moreau montre qu'à long terme la pérennité du système est assurée par le dynamisme démographique de la société française, a-t-il déclaré. C'est une chance pour la France et il faut le souligner. Notre problème se situe en fait entre aujourd'hui et 2035 : pour les deux décennies qui viennent. Cette situation est liée en grande partie à l'exceptionnelle natalité de l'après-guerre : la France a rendez-vous avec elle-même puisque les enfants nés au moment de la généralisation du système de retraites sont celles et ceux qui arrivent depuis quelques années à l'âge de leur retraite. Il faut donc faire un effort – et en décider maintenant. Cet effort n'a rien d'écrasant : nous pouvons nous remettre sur la bonne voie et garantir durablement la stabilité de notre système. »
Appelant au « courage » et à « l’efficacité », Jean-Marc Ayrault a estimé que cette réforme des retraites, à laquelle la gauche ne s’est jamais attaquée, était « totalement à notre portée ». Il a promis que le gouvernement aborderait les questions des « petites retraites », des pensions des femmes ou de la pénibilité.
Un ton très rassurant visant à minimiser une réforme d’ampleur qui tranche avec la brutalité employée par la droite, ces dernières années, mais qui ne devrait pas endormir les syndicats aux aguets. Force ouvrière et la CGT sont les plus virulents, prêts à mobiliser la rue si l'exécutif suit le rapport Moreau. La réforme Woerth de 2010, promulguée dans la douleur, dont la principale disposition – le report de l’âge légal de départ – allait sauver le système, est encore dans toutes les têtes.
C’est sans doute un peu pour cette raison que le rapport Moreau ne retient pas cet outil tant décrié par la gauche à l’époque au profit de l’allongement de la durée de cotisation. Pour les Français, déjà accaparés par la crise, toucher à la retraite une énième fois est générateur d’anxiété et de scepticisme. Surtout lorsqu’ils réécoutent Nicolas Sarkozy qui garantissait l'avenir du système et promettait à l’automne 2010 un déficit zéro dès 2018 et un régime excédentaire en 2020...
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Bons films