Une tentative de corruption, sans fioriture, sur fond d’élection locale : c’est une nouvelle accusation qui vise le clan Tabarot. Jean Martinez, candidat divers droite à la mairie de Cannes en 2008, révèle dans un entretien à Mediapart, que le secrétaire national de l’UMP Philippe Tabarot lui a offert, via plusieurs intermédiaires, jusqu’à 500 000 euros pour obtenir son retrait au second tour cette année-là. Selon l’ancien candidat cannois, Roch Tabarot, l’aîné de la fratrie, mis en cause dans une vaste escroquerie immobilière en Espagne, venu tout spécialement à Cannes pour les municipales, aurait proposé aux colistiers de Martinez de « doubler la somme ». Ce qui laisse supposer que les Tabarot étaient susceptibles de débloquer jusqu'à un million d'euros, à cette occasion.
En 2008, Jean Martinez avait évoqué ces faits sur le plateau de France 3 Côte d’Azur, entre les deux tours des élections municipales, parlant alors de « propositions financières » émanant de « l’entourage » de Philippe Tabarot. Sans donner plus de détails. Ni Philippe Tabarot, aujourd'hui conseiller général et municipal et candidat à la mairie de Cannes en 2014, ni sa sœur Michèle, députée et maire du Cannet, actuelle secrétaire générale de l’UMP, n’avaient alors réagi.
Les faits dévoilés par Jean Martinez pourraient corroborer l’hypothèse de financements politiques illégaux opérés avec l’argent liquide sorti de la société immobilière de Roch Tabarot. Mercredi, les victimes françaises du promoteur ont justement annoncé leur décision d’engager une procédure afin de tracer les fonds transférés en France par le groupe (lire notre article). « Nous allons chercher à engager des investigations judiciaires en France pour déterminer la destination de l'argent et savoir s'il a servi aux campagnes électorales », avait déclaré à Mediapart l’avocat espagnol de l’association des victimes, Me José Luis Escobar. La police espagnole a notamment identifié la sortie de 13,5 millions d’euros en espèces des comptes du groupe Tabarot. Une partie de ces sommes aurait été transportée dans les Alpes-Maritimes, précisément en 2008.
À l'époque, deux jours après le premier tour des élections municipales de 2008, Jean Martinez aurait été sollicité à trois reprises pour abandonner la course et se rallier à Philippe Tabarot, moyennant finances :
Le premier appel du pied, très explicite, lui est lancé par l’ancien maire UDF-PR de Cannes, Michel Mouillot. Condamné plusieurs fois, notamment en 2005 à six ans de prison ferme pour « corruption, prise illégale d'intérêt, abus de biens sociaux, faux et usage de faux, et emplois fictifs », Mouillot soutient en 2008 la candidature de Philippe Tabarot, qui fut élu conseiller municipal sur sa liste en 1989.
« Michel Mouillot m’a téléphoné, il avait vu Philippe Tabarot, explique Jean Martinez. Il m’a dit “demande ce que tu veux : tu peux demander entre 100 000 et 500 000 euros”. Je lui ai dit que je n'allais pas me rallier à un homme qui n'a pas un vrai parcours d'homme politique. Moi j'avais travaillé mes dossiers, je me sentais capable d’être maire. J’avais rencontré Philippe Tabarot quelques mois plus tôt, il m’avait clairement dit “on a pris Le Cannet on peut bien prendre Cannes”. »
Martinez accepte de rencontrer son concurrent. Sa décision est prise, il s'apprête à refuser en tête à tête son offre de ralliement. « Philippe Tabarot m’a reçu dans une suite, à l’hôtel Martinez, entre 11 h et 11 h 30, le même jour, poursuit-il. Il voulait aller très vite, il fallait redéposer les listes. Il était certain de mon ralliement, il m’a dit : “Michel Mouillot est avec nous, rejoins-moi, la conférence de presse est à 15 heures. Pour ce qui est de l’argent tu vois ça avec mon frère Rochy”. Je lui ai dit que ça ne m’intéressait pas. À la fin de l'entretien, il m'a redit: “Tu vois mon frère.” »
Jean Martinez est relancé une troisième fois dans la journée par Roch Tabarot, qui rencontre directement deux de ses colistiers. « Durant l’après-midi, j’ai des coups de fil de gens qui insistaient lourdement pour que je rencontre Roch Tabarot. J’ai envoyé mes colistiers pour définitivement dire non à Roch Tabarot, à l’hôtel Martinez, où il se trouvait aussi. C’était hors de question de me rallier à la famille Tabarot. Roch leur a proposé de doubler la somme. » Doubler la somme : en prenant en compte le plus haut chiffre de Mouillot – 500 000 euros –, les Tabarot auraient donc été en mesure d'offrir jusqu'à 1 million d'euros à leur rival.
Face à leur refus, Roch Tabarot avertit les colistiers de Martinez : « Il vaut mieux être amis qu’ennemis de la famille Tabarot. » Mais Jean Martinez n'en a pas fini pour autant. Il reçoit dans l'après-midi un nouvel appel de Michel Mouillot. Ce dernier se montre menaçant. « Il m'a dit “Tu te rallies à lui (Tabarot - ndlr), ou on t'explose en plein vol” », raconte Martinez. Le clan Tabarot obtient quand même le ralliement d'une demi-douzaine de colistiers de Martinez.
La même semaine, les prétendants à la mairie de Cannes sont réunis sur le plateau de France 3 Côte d'Azur, et à la surprise générale, Martinez évoque ce qu'il appelle des « propositions financières » qui lui ont été faites par l'entourage de Tabarot :
Mis directement en cause, et en direct, Philippe Tabarot n'attaquera pas son concurrent à l'époque. Jean Martinez avait attaqué le Canard enchaîné qui, dans un écho (« Festival de Cannes : à la pêche aux voix », en mars 2008), l'avait accusé d'avoir « fait la tournée des popotes » et d'être « allé au plus offrant ». Le Canard, finalement relaxé, avait obtenu un témoignage clé : celui de Philippe Tabarot... « On nous ressort même du chapeau comme tous les 5 ans Jean Martinez, dont chacun sait que le maintien au second tour des municipales de 2008 a favorisé la réélection de Bernard Brochand », a réagi Philippe Tabarot, jeudi, alors que nous rappelions l'épisode de France 3, lundi (lire notre boîte noire).
Ces révélations détaillées s'avèrent des plus embarrassantes pour la famille Tabarot, à l'heure où l'on s'interroge sur le rôle joué par Roch Tabarot dans le financement des campagnes politiques de Philippe, mais aussi de Michèle Tabarot, propulsée par Jean-François Copé, numéro deux de l'UMP en décembre dernier.
« Ce que je dis là, je pourrai le redire à un magistrat instructeur, et dans les moindres détails », assure Jean Martinez. En cas d'enquête, plusieurs témoins, tels l'ancien chauffeur du candidat et une partie de ses colistiers, seraient susceptibles de corroborer son récit.
BOITE NOIREPrécision après la publication de l'article, à la demande de Jean Martinez: Roch Tabarot avait fait savoir qu'il était prêt à augmenter ou doubler la somme évoquée par Michel Mouillot (entre 100 000 et 500 000 euros), mais Jean Martinez ne peut affirmer s'il s'agissait de 200 000 euros, 300 000 euros, ou plus.
Sollicité dans le cadre de notre enquête sur Michèle Tabarot (lire nos premiers volets ici et là), Jean Martinez, candidat divers droite à Cannes en 2008 et producteur de théâtre, a été interviewé ce vendredi 14 juin à Paris. L'entretien a duré une heure et a été suivi d'une interview vidéo.
Dans le premier volet de notre enquête, lundi, nous avions diffusé l'extrait de l'émission de France 3 dans laquelle Jean Martinez avait mentionné avoir fait l'objet de « propositions financières » de la part de l'entourage de son rival, Philippe Tabarot. Contacté depuis plusieurs semaines, il a finalement accepté d'en dire plus, et ce à visage découvert. Il se dit prêt à témoigner dans l'hypothèse où une enquête serait ouverte.
Contacté vendredi, Philippe Tabarot n'a pas donné suite.
Michel Mouillot n'avait pu être joint au moment de la publication de cet article. Notre demande lui a été transmise par son entourage qui nous a expliqué qu'il nous rappellerait s'il le jugeait nécessaire.
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