François Bayrou, Jean-Marie Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg ou encore Marie-Noëlle Lienemann ont au moins un point commun. Tous ont prôné, à un moment de leur carrière politique, le passage à une VIe République. Ce qui démontre qu'il peut y avoir autant de visions différentes sur la VIe que de personnes qui s'en réclament. « Il ne s'agit pas simplement de contester la Cinquième mais de dire quelle Sixième République on veut », affirmait déjà en 1992 Marie-Noëlle Lienemann, actuelle sénatrice socialiste de Paris. Plus de vingt ans plus tard, le débat refait surface.
Depuis la rentrée 2014, on ne compte plus les personnalités politiques qui exhortent à s'engager sur le terrain des réformes institutionnelles. Même le président de l'Assemblée, Claude Bartolone (PS), y est allé de son haro sur les institutions dans son dernier livre Je ne me tairai plus (Flammarion) : « Le Parlement français n'a ni la place, ni les moyens qu'il mérite au regard de l'exigence démocratique qui doit être la nôtre, déclare-t-il. La réforme de nos institutions est inéluctable, et sera à coup sûr un des principaux thèmes de la prochaine présidentielle. » C'est la raison pour laquelle le député de Seine-Saint-Denis a lancé, aux côtés de l'historien Michel Winock, une mission sur l'avenir des institutions. La première réunion du groupe composé de onze parlementaires et de onze personnalités aura lieu ce jeudi 27 novembre (voir la liste complète dans l'onglet Prolonger).
L'un des membres de cette mission n'est autre que le sénateur socialiste Luc Carvounas, proche de Manuel Valls, qui vient tout juste de publier à la fondation Jean Jaurès un essai intitulé La Politique autrement, réinventons nos institutions. L'élu du Val-de-Marne liste 43 propositions de « rénovation institutionnelle » dont certaines sont une véritable révolution parlementaire, dans un sens présidentialiste.
Parmi celles-ci, Carvounas se prononce pour « un scrutin proportionnel intégral dès les prochaines élections législatives », de quoi faire rentrer en force le loup FN dans la bergerie parlementaire, puisque l'extrême droite pourrait constituer le groupe le plus important à l'Assemblée. De quoi aussi rendre quasi inéluctable une « grande coalition » gauche-droite, seule à même d'être majoritaire face à une chambre « tiers-Marine ». L'ancien directeur de campagne de Manuel Valls aux primaires socialistes défend aussi l'idée de la réduction du nombre de parlementaires pour renforcer leur influence (400 députés au lieu des 577 actuels et 300 sénateurs au lieu des 348) et leur enveloppe budgétaire.
Côté gauche de la gauche, il faut désormais compter avec le m6r, le mouvement pour la VIe République de Jean-Luc Mélenchon. L'ancien co-président du Parti de gauche a fait d'une rupture avec les institutions de la Ve l'un de ses fers de lance. L'ont rejoint dans ce mouvement qui vise les 100 000 signatures, le parti Nouvelle Donne, une partie de l'aile gauche d'EELV ainsi que le club des socialistes affligés (ils ont un blog sur Mediapart).
L'ancien ministre de l'économie Arnaud Montebourg avait également travaillé en 2005 à la rédaction d'une nouvelle Constitution aux côtés des constitutionnalistes Paul Alliès (PS) et Bastien François (membre du conseil d'orientation politique d'EELV). Il s'agissait de la c6r, convention pour la VIe République. Leurs trente propositions sont toujours d'actualité, et ont d'ailleurs récemment été mises à jour (on peut les retrouver ici). D'autres initiatives se distinguent par leur originalité: le mensuel Témoignage chrétien s'est par exemple prêté à l'exercice en rédigeant sa propre Constitution.
C'est donc un vieux débat que celui qui concerne les institutions. Si Jean-Luc Mélenchon affirme avoir été pionnier dans l'écriture d'un texte mentionnant la VIe République en 1991, Bastien François allègue que les écologistes sont les premiers à avoir parlé de VIe République lors de la création du parti aux universités d'été de 1984. « C’est un peu ridicule parce que le premier à avoir critiqué la Ve, certifie Paul Alliès, c’est Pierre Mendès France, le 15 décembre 1959. » C'est durant ce discours que l'ancien président du Conseil a critiqué l'omnipotence du chef de l'État : « Le président de la République est la seule volonté susceptible d'agir et de s'imposer tandis que l'Assemblée n'a plus qu'un rôle de figuration », déplorait-il déjà à l'époque. Et c'est dans son livre, La République moderne, publié en 1962, qu'il théorisera le renouveau des institutions et les limites de la Ve République. Cinquante ans plus tard, le refrain n'a guère évolué.
- Pourquoi changer de régime ?
« Comment peut-on prétendre faire fonctionner un Parlement qui ne représente même pas la moitié de la population ? » La question que se pose Paul Alliès taraude plus d'un responsable politique. Pour Arnaud Montebourg, le Parlement serait devenu une « chambre d'enregistrement des projets du Président », Marie-George Buffet parle de « monarchie institutionnelle », Marie-Noëlle Lienemann d'« anesthésie démocratique ». Nombre de parlementaires partagent ainsi le constat d'un pouvoir démesuré, concentré dans les mains du seul chef de l'État et font connaître leur impossibilité d'infléchir la ligne politique définie par le président.
- Quelle VIe République ?
À ceux qui souhaitent limiter les pouvoirs du président en renforçant le poids du premier ministre et des parlementaires, s'opposent ceux qui veulent faire disparaître le premier ministre, à l'instar de Claude Bartolone et de deux parlementaires membres de sa nouvelle mission d'avenir sur les institutions : la députée (PS) des Hautes-Alpes, Karine Berger et le sénateur Luc Carvounas, proche de Manuel Valls. Ces derniers s'inspirent du modèle américain où le président est responsable devant le Congrès qui peut le démettre de ses fonctions.
« Même si le président américain a beaucoup de pouvoir, ce sont les chambres qui ont le dernier mot, explique Karine Berger. Ça crée une respiration démocratique. » Pour Claude Bartolone, l'élection du président au suffrage universel direct est « l'élection à laquelle les Français sont le plus attachés ». C'est pourquoi ce dernier se dit favorable à « un régime présidentiel à la française », avec néanmoins un rééquilibrage des pouvoirs et notamment « la suppression du droit de dissolution de l'Assemblée nationale par le président de la République », ainsi que l'impossibilité pour l'Assemblée de renverser le gouvernement.
À l'inverse, que ce soit du côté des Verts ou du président de la convention pour la Sixième République, Paul Alliès, proche d'Arnaud Montebourg, l'idée serait plutôt d'instaurer un « régime parlementaire primo-ministériel » où le premier ministre détiendrait la réalité du pouvoir. Que deviendrait le président dans ce cas ? « Il n'est pas simplement quelqu'un qui inaugure les chrysanthèmes », affirme Paul Alliès. « On pourrait imaginer que la trentaine de hautes autorités administratives, telles la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés) ou la HATVP (Haute autorité pour la transparence de la vie publique), soient sous la houlette du président. » « Il faut que le président de la République soit le garant des institutions, du long terme et pourquoi pas du développement durable », ajoute Bastien François.
Jean-Luc Mélenchon introduit quant à lui le concept de référendum révocatoire des élus. Le principe est simple : si un nombre suffisant de citoyens l'exige, un référendum peut être organisé pour savoir si un élu peut garder son mandat ou être déchu. « On doit juger l'action dans la durée », rétorque la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann. « Si les élus avaient des garde-fous, on ne serait peut-être pas obligés de l’appliquer, nuance Isabelle Attard, qui ne se dit pas pour autant contre le référendum révocatoire. « Si les politiques dévient aujourd'hui, c’est parce qu’ils sont dans une logique de réélection, argue la coprésidente de Nouvelle Donne. Mais si on est au mandat unique, on supprime cette tentation permanente. »
Le constitutionnaliste Paul Alliès est plus circonspect : « Mélenchon a développé pas mal d’idées avec une démarche qui m’a semblé un peu problématique dans la mesure où il propose d’inscrire des nouveaux droits, principes qui d’ordinaire font partie du Préambule de la Constitution, précise-t-il. Par ailleurs, une fois qu’on a réduit les pouvoirs du président, je ne vois pas en quoi le révoquer est un élément majeur. Ça me semble un argument de circonstance pour populariser un nouveau régime. »
- L'écriture de la Constitution
« Pour moi, la méthode a plus d'importance que le résultat final », explique Jean-Luc Mélenchon. Soit une Constitution rédigée par le peuple, pour le peuple. L'ancien leader du Parti de gauche conditionne donc la signature de sa pétition pour la VIe République à la mise en place d'une Assemblée constituante non constituée d'experts, donc sans parlementaires. Le professeur de droit constitutionnel Bastien François émet quelques réserves : « Je ne vois pas pourquoi on devrait exclure des gens parce que ce serait des professionnels de la politique. »
« La règle du jeu doit être consentie », répond Jean-Luc Mélenchon. « La convocation d'une Assemblée constituante, c'est le cœur de la question. On a fait 24 révisions de la Constitution de la Ve République mais seulement deux référendums, souligne-t-il. C'est pourquoi je milite pour que ceux qui sont élus dans cette assemblée n'aient jamais été membres d'une assemblée et pour qu'ils ne le soient pas par la suite. » Mais pour Bastien François, la constituante, c'est « ringard ». « Ce sont des trucs du XVIIIe ou du XIXe siècle, assure-t-il. Aujourd'hui, on peut construire des débats beaucoup plus larges qu'un groupe d'élus tirés au sort. Tout le monde n'a pas des choses à écrire sur une Constitution. »
Pour ce dernier, l'idée serait de mettre en place une plateforme internet participative de type “wiki-Constitution” afin que tout un chacun puisse intervenir sur les sujets qui l'interpellent. À la différence de Mélenchon qui prône le non-recours aux experts, le conseiller régional EELV pense que la présence de spécialistes est nécessaire. « Les experts pourront dire si on a déjà essayé une des propositions et si ça a fonctionné ou non. On a 250 ans d’expérience sur les constitutions en France, alors, au lieu de partir de zéro, ça peut sûrement être utile d’avoir des personnes qui connaissent bien le sujet. »
Paul Alliès s'inscrit aussi dans cette dynamique. Le constitutionnaliste imagine l'organisation d'un « débat constituant, un jour ou deux par semaine ». « Parallèlement, détaille-t-il, le garde des Sceaux pourrait mettre en place une Assemblée constitutionnelle, laquelle piloterait un débat sur internet. » Jean-Luc Mélenchon parle plutôt de cyberespace. Ce dernier dit s'inspirer du Venezuela où le référendum révocatoire existe depuis 2004 et de l'Espagne avec le jeune parti Podemos qui organise ses votes sur le web.
- Mélenchon conjure-t-il le sort de la VIe en se l'appropriant ?
« C'est la question que je me suis posée, reconnaît Isabelle Attard qui a finalement décidé de signer le texte du m6r. Dès qu’il lance quelque chose, on le ramène à sa personne mais il a le mérite de lancer ces projets. C'est aux autres de s’en emparer. » « C'est mon plus gros problème, concède le principal intéressé. J'ai mis au service du mouvement ma notoriété mais il faut que ce mouvement dispose d'une force en dehors de moi. »
« Ce que ne comprend pas Mélenchon, affirme Bastien François, c'est que son mouvement aurait une capacité d'impulsion bien supérieure s'il mettait 80 personnes qui ont la capacité de raconter cette histoire de VIe République autour de lui. » L'élu Vert explique par ailleurs avoir été contacté par Jean-Luc Mélenchon pour signer le texte, mais regrette de ne pas avoir été associé au processus de réflexion en amont. Marie-Noëlle Lienemann pense de son côté que « les gens ont compris que la question institutionnelle doit transcender les personnes ». En outre, cette dernière pense que « ce n'est pas parce que c'est Jean-Luc Mélenchon qui a lancé le débat qu'il en sera le meilleur représentant ».
Au-delà des bisbilles sur la paternité de la VIe République, Bastien François affirme se réjouir de l'existence du débat : « Comme disait Mao, philosophe-t-il, il faut “que 100 fleurs s'épanouissent” pour qu'émerge vraiment quelque chose de tout ça. » Mais pour l'instant, sans rassemblement, il demeure 101 façons de voir la VIe République.
BOITE NOIREHormis Claude Bartolone qui n'a pas souhaité (ou pris le temps de) répondre à nos questions, toutes les personnes citées dans cet article ont été contactées entre le 18 et le 21 novembre.
Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.
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