Pour Aquilino Morelle, c’est inespéré. L’ancien conseiller politique et en communication de François Hollande, démis de ses fonctions le 18 avril dernier, pourrait échapper à toute sanction de son corps d’origine, l’Inspection générale des affaires sociales(Igas), bien qu’il en ait violé les règles de base en travaillant pour un laboratoire danois en même temps qu’il appartenait à ce corps censé veiller sur l’industrie pharmaceutique (voir notre enquête ayant conduit à sa démission). La procédure prévoit en effet qu’une sanction de ce type doit être prise par l’autorité qui l’a officiellement nommé à ce poste, à savoir le président de la République. Or, certains ne souhaitent visiblement pas que François Hollande « condamne » une seconde fois celui qui a connu pendant deux ans une bonne partie des secrets du Palais.
Mercredi, l’Élysée a démenti auprès de Mediapart avoir donné une quelconque consigne en ce sens. Il n’empêche : plus de sept mois après la révélation des faits, Aquilino Morelle n’a toujours pas été sanctionné. Il a récupéré son poste d’inspecteur comme si de rien n’était. Et à l’Igas, au motif que la direction n’a pas à se prononcer sur des cas individuels, on refuse de dire si l’Élysée est intervenu ou non dans la procédure. L’Igas confirme cependant qu’un décret est bien en préparation visant à déléguer à son chef de service un certain type de sanctions.
Sans ce décret, il devrait incomber à la direction de l’Igas la tâche de réunir et de présenter à François Hollande les éléments de son enquête. Ensuite, le président de la République saisit la commission administrative paritaire (CAP) de l’Igas d’un rapport indiquant les faits reprochés. La CAP siège alors en formation disciplinaire, sous la présidence du chef de l’Igas. Au terme d’une procédure contradictoire, elle rend un avis motivé sur la base duquel il revient au chef de l’État de prendre une décision.
Cela n'aura donc pas lieu, ce qui irrite profondément au sein du corps d’inspection. Les syndicats maison sont fortement opposés au projet. Le Smigas (syndicat des membres de l’Igas), majoritaire (non politique), s'alarme : « On ne voit pas pourquoi le droit commun ne s’applique pas à Aquilino Morelle. Ce décret sur mesure est encore plus pernicieux qu’un enterrement de première classe. Un corps d’inspection ne doit pas être aux ordres. S'il y a eu une dérive déontologique, il doit y avoir sanction. »
Or, rien ne la laisse présager. D’abord, parce qu’il faut un temps indéterminé pour mettre en place ces nouvelles procédures. Le temps, peut-être, que l’affaire soit oubliée, ou qu’Aquilino Morelle reparte ailleurs en se gargarisant de ne pas avoir été sanctionné. Ensuite, parce que même si le décret était publié, son caractère rétroactif pose question. Juridiquement, comment être certain qu’une nouvelle réglementation s’applique à des faits antérieurs ? Aquilino Morelle ne manquerait certainement pas de s’engouffrer dans cette brèche, ce qui ne dérangerait peut-être pas tant que ça la direction de l’Igas, soucieuse depuis le début de nos investigations que l’affaire fasse le moins de bruit possible.
Enfin, le texte en préparation, qui modifie le décret n° 2011-931 du 1er août 2011 afin de faire application à l’Igas de l'article 67 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, ne peut dans ce cadre que prévoir une possible délégation que pour certaines sanctions disciplinaires, celles des 1er et 2e groupes, les plus faibles (avertissement, blâme...). Autrement dit, avant même qu’une procédure contradictoire soit menée et les instances adéquates saisies, on préjuge de la décision à venir en estimant que les fautes commises par Aquilino Morelle ne méritent pas des sanctions lourdes (rétrogradation, exclusion de longue durée, révocation…).
Aucune concertation officielle n’a été menée à l’Igas sur le sujet, comme s’il fallait éviter toute réflexion, toute publicité. Le sujet n’a même pas été évoqué lors de la récente assemblée générale. Une présentation en comité technique ministériel le 7 novembre puis le 26 novembre a abouti à deux reprises à un avis défavorable de toutes les organisations syndicales. Mais cet avis n’est que consultatif.
Déjà en mai, le chef de l’Igas, Pierre Boissier, qui n’a jamais accepté de répondre à nos questions, avait botté en touche, expliquant que les sanctions relevaient du président de la République. L’Élysée avait rétorqué que l’Igas était libre de mener l’instruction. Depuis, rien.
Pierre Boissier a simplement expliqué aux syndicats s’être entretenu avec Aquilino Morelle. Et il a précisé que celui-ci avait nié avoir tenu dans la presse les propos qui lui étaient attribués. Tout va donc pour le mieux : Aquilino Morelle s’en est tenu à son devoir de réserve, il n’a jamais évoqué « la tcheka hollandienne », n’a jamais parlé d’« épuration ethnique » concernant son limogeage et il n’a jamais critiqué son ancien patron : ce sont les journalistes qui inventent. Le dossier de l'ancien conseiller en communication du président ne s’est donc pas alourdi, ont appris les syndicats, choqués. « L’absence de traitement du sujet Morelle donne l’impression que les inspecteurs généraux évoluent dans une zone de non-droit, où on peut tout se permettre », analyse le Smigas.
À l’Élysée, on tente de noyer le poisson en expliquant que la refonte du décret ne touche pas seulement l’Igas, mais également les deux autres grands corps d’inspection, l’IGA et l’IGF. Sauf que pour l’heure, le projet est abandonné pour ces deux derniers corps d’inspection. « Cela porte atteinte à notre réputation professionnelle en suggérant que les dérives déontologiques seraient plus nombreuses ou plus graves dans notre corps, ce qui est faux. Soit la délégation est pertinente et elle l’est pour les trois inspections générales, soit elle ne l’est pas et ne doit pas être appliquée à l’Igas », s’agace le Smigas.
À ce rythme, dans quelques mois, Aquilino Morelle, même s'il fait également l'objet d'une enquête judiciaire, pourra de nouveau donner des leçons à la terre entière.
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