Kader Arif viré du gouvernement, la « République exemplaire » aurait-elle triomphé ? À voir. Vendredi 21 novembre, plusieurs voix au PS s'étaient empressées de saluer la démission du secrétaire d'État aux anciens combattants, après les révélations de Mediapart sur une perquisition au ministère de la défense. « Il y a aujourd'hui une exigence renforcée de transparence portée par le président de la République, se félicitait ainsi sur France Info une des porte-parole du PS, Juliette Méadel. Au moindre soupçon, et dès qu'il y a une mise en cause judiciaire, il y a démission. Dès lors qu'on fait de la politique et qu'on est mis en question dans une affaire, non seulement ça se sait rapidement, mais surtout, ce n'est plus possible de continuer. »
Jeudi, Mediapart expliquait (lire notre article) qu'une perquisition avait eu lieu le 6 novembre dernier au ministère de la défense dans le cadre d'une enquête préliminaire ouverte en septembre à Toulouse sur les activités de sociétés de proches de Kader Arif. Cette investigation a depuis été confiée au parquet national financier (PNF), spécialisé dans la lutte contre la délinquance financière et la fraude fiscale, créé dans la foulée de l'affaire Cahuzac.
Vingt-quatre heures après nos révélations, vendredi, vers midi, le ministre démissionnait. Avant d'être mis en examen. Avant qu'un juge n'ait été désigné. Une sortie express.
Kader Arif, un très proche de François Hollande, inamovible secrétaire d'État aux anciens combattants depuis mai 2012, a justifié sa démission par le fait que son « nom est cité dans le cadre d’une enquête préliminaire ». Un argument repris par l'Élysée, qui a dit avoir accepté cette démission pour que Kader Arif puisse « apporter toutes les précisions visant à l’établissement de la vérité dans le cadre de l’enquête préliminaire menée par le parquet financier dans laquelle son nom est cité ». Une nouvelle jurisprudence semble alors avoir vu le jour : sitôt inquiété par la justice, un ministre sera désormais remercié. Voilà qui tranche pour le moins avec les atermoiements de l'exécutif dans les affaires Cahuzac ou Thévenoud.
Fin de l'histoire ? Pas sûr. Trois jours plus tard, cette lecture idyllique est mise en doute. Ce lundi, le ministère de la défense (qui exerce la tutelle sur le secrétariat d'État aux anciens combattants) a assuré à Mediapart que Jean-Yves Le Drian, le ministre de la défense, puis très vite François Hollande et Manuel Valls, ont appris, dès le mois d'août, l'existence d'un contrat signé en 2013 entre Kader Arif, alors au gouvernement, et une société détenue par des membres de sa famille.
Si l'on en croit ces affirmations, Kader Arif serait donc resté en poste pendant trois mois, comme si de rien n'était, alors que ce contrat était connu du président et de son premier ministre et que de très forts soupçons de favoritisme pesaient contre lui. Au passage, il aurait menti en affirmant, le 10 septembre dernier, n'être « absolument pas concerné » par les enquêtes en cours. Tout comme Manuel Valls, qui avait alors assuré que son ministre n'était « en rien concerné » par les investigations de la justice.
Samedi, c'est Le Point qui a relancé l'affaire. « En perquisitionnant un service de la défense, les enquêteurs ont retrouvé une facture de 50 000 euros pour des prestations en faveur du secrétaire d'État », assurait le site internet de l'hebdomadaire. À en croire l'article, le ministère de la défense se serait aperçu dès le 22 août de l'existence d'un contrat datant de 2013, d'un montant de 50 000 euros (hors taxe), signé de gré à gré entre le secrétaire d'État et All Access, une société dont les deux associés sont les neveux de Kader Arif. Objectif de ce contrat : payer au ministre des séances de "media training".
Toujours selon lepoint.fr, sitôt ce contrat retrouvé dans les archives du Service parisien de soutien de l'administration centrale (SPAC), un service de 1 500 personnes notamment chargé des achats du ministère de la défense, le président de la République et Manuel Valls ont immédiatement été alertés par Jean-Yves Le Drian, qui fait lui aussi partie du cercle des fidèles de François Hollande. Ils auraient alors pris une curieuse décision. « Pour ne pas faire de “vagues”, il est prévu qu'Arif quittera ses fonctions après les différentes commémorations liées à la Première Guerre mondiale », écrit encore le journaliste, citant une “source proche de l'enquête”, sans plus de précision.
Ce week-end, Mediapart a eu vent de cette version des faits. Mais nous n'avons rien publié, faute de la moindre confirmation. Contacté par nos soins samedi matin, l'Élysée a continué de nous assurer que la démission de Kader Arif a été décidée « au cours des derniers jours », parce que le nom du ministre était cité dans l'enquête préliminaire. Ce matin-là, lorsque nous avons soumis à un proche du chef de l'État l'hypothèse d'une démission décidée de longue date au sommet de l'État, ce dernier nous a dit « ignore(r) » de tels faits. « Nous n'avons pas ces informations, mais cela ne semble ni probable ni cohérent », nous a-t-il dit alors.
Lundi 24 novembre, après avoir refusé de s'exprimer ce week-end, le ministère de la défense nous a pourtant confirmé la version du Point. « Nous avons procédé à un examen attentif des contrats du ministère de la défense le 22 août, raconte à Mediapart l'entourage de Jean-Yves Le Drian. Nous nous sommes aperçus qu'il y avait un contrat de 50 000 euros hors taxe conclu entre le secrétariat d'État aux anciens combattants et All Access. » Un contrat conclu de gré à gré, sans appel d'offres, qui a alors fait naître des soupçons de favoritisme – le ministère a refusé de nous communiquer le document.
« Le ministre l'a signalé immédiatement au président de la République, au premier ministre et à l'intéressé (Kader Arif – ndlr) lui-même », poursuit-on chez Le Drian. Hollande, Valls et Le Drian auraient alors pris la décision de se séparer de Kader Arif, mais pas avant le mois de novembre, date prévue de la fin des célébrations de la guerre de 1914. Au prétexte que c'est justement Arif qui était chargé de piloter cette succession de rendez-vous et de cérémonies commémoratives.
Autrement dit, si la Défense dit vrai, l'exécutif soupçonnait un cas de favoritisme, mais le ministre est quand même resté en place. Qu'en disent l'Élysée et Matignon ? À nouveau questionné lundi par Mediapart, l'Élysée n'a pas donné suite. Les proches de Manuel Valls ont refusé de répondre. « Merci de voir cela avec le ministère de la défense », nous a répondu Matignon, laconique. Quant à Kader Arif, nous l'avons contacté ce lundi sur son portable, mais il ne s'est pas manifesté.
Cette ronde mystérieuse au sommet de l'État ne laisse pas d'étonner. Pourquoi le ministère de la défense, dirigé par un “hollandais” historique proche du chef de l'État, confirme-t-il de tels faits, tandis que l'Élysée et Matignon se terrent dans le silence ? Le Drian était-il en désaccord avec la décision de conserver Arif à son poste en août ? No comment, répond son entourage. Souhaite-t-il se défendre alors que son ministère a dû avaliser un contrat douteux, éventuellement passé en dehors des règles de passation des marchés ? Veut-il protéger son administration, alors que le directeur du SPAC doit bientôt être entendu par la justice ? « L'ensemble des administrations concernées devront livrer à la justice les éléments dont elles disposent », se contente de nous répondre son ministère.
Autre interrogation : dans ce cas, pourquoi Kader Arif n'a-t-il pas quitté immédiatement le gouvernement sitôt le fameux contrat découvert ? Une occasion en or s'est pourtant présentée : le 25 août, trois jours après la découverte par le cabinet de la défense du fameux contrat, François Hollande et Manuel Valls décident de congédier du gouvernement Arnaud Montebourg, Aurélie Filippetti et Benoît Hamon. Dans ce grand remue-ménage gouvernemental, pas grand monde n'aurait remarqué le départ d'Arif.
François Hollande souhaitait-il garder auprès de lui ce très proche, qui connaît par ailleurs tout de la “Hollandie” ? Outre le fameux contrat de 50 000 euros, l'enquête préliminaire concerne aussi des contrats passés depuis 2008 entre le conseil régional Midi-Pyrénées et AWF Music puis AWF, deux sociétés détenues par des parents de Kader Arif, figure du PS de Haute-Garonne. Liquidée en mai 2014 avec 275 000 euros de passif, AWF Music a notamment organisé des meetings lors des primaires socialistes et pendant la campagne présidentielle de François Hollande.
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