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A Montpellier, la condamnation qui risque de couler un hebdo satirique

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La peine risque de clouer définitivement le bec à L’Agglorieuse, l’hebdomadaire satirique de Montpellier dont la mascotte est une mouette. Le 25 septembre, le journal, son directeur et l’un de ses journalistes ont été condamnés par la cour d’appel de Nîmes à verser 91 200 euros en tout, pour diffamation envers un promoteur immobilier local, Robert Garzillo, et sa société Strada. « La somme qu’on nous demande correspond à la moitié de notre chiffre d’affaires annuel, s’étrangle Tristan Cuche, le directeur de L’Agglorieuse. On ne peut pas payer. » Pour l'heure, le promoteur n'a d'ailleurs pas exigé l'argent.

Le petit hebdo satirique, tiré à 2 300 exemplaires, existe depuis douze ans. Pour ses créateurs, pas de doute, la condamnation équivaut à une « peine de mort », comme ils l’ont écrit à la garde des Sceaux Christiane Taubira. En cause, un article daté du 12 mai 2010, où le promoteur était durement attaqué, dès la une. L’Agglorieuse révélait que Robert Garzillo, présenté comme un « arnaqueur présumé » et « un homme d’affaires ayant pignon sur rue à Montpellier », était mis en examen pour « escroqueries, abus de confiance, abus de biens sociaux, faux, usage de faux et subornation de témoin », dans une enquête menée à Marseille, et toujours pas jugée aujourd’hui.

Il est soupçonné par les enquêteurs d’avoir participé à plusieurs arnaques à l’immobilier. Des partenaires et lui auraient empoché des sommes venant d’investisseurs intéressés par des opérations de défiscalisation, mais auraient laissé à l’abandon pendant des mois les bâtiments qu’ils étaient censés retaper dans plusieurs villes. Dans son article, L’Agglorieuse citait la procédure en cours, en nommant à plusieurs reprises la société Strada et ses filiales. Le journal évoquait aussi les « faillites retentissantes » qu’était censé avoir subies l’homme d’affaires par le passé, ainsi que d'autres « ennuis judiciaires, antérieurs à la procédure ».

Deux problèmes sont apparus rapidement après publication de l'article. D’abord, il ne donnait à aucun moment les éléments nécessaires pour accréditer les « faillites » ou les « ennuis judiciaires précédents » de l’homme d’affaires. Par ailleurs, l’entreprise Strada et ses filiales n’existaient pas au moment où ce dernier a été accusé de magouilles. Strada a été créée en 2004, et les faits dont est soupçonné Robert Garzillo s’arrêtent en 2003, alors qu’il était à la tête de deux autres sociétés, elles aussi basées à Montpellier à l’époque.

« On peine à imaginer le mal qu’a pu faire cet article, affiché sur tous les points de vente de journaux, dans une petite ville, ça a été l’horreur », assure l’avocat de l’entrepreneur, Alain Jakubowicz. De son côté, Tristan Cuche reconnaît que « le papier forçait un peu le trait » et que son journaliste « s’est emmêlé les pinceaux dans les noms des sociétés », mais estime que ces points sont « assez mineurs compte tenu du tableau global » que l’article dressait. Il rappelle « qu’on ne sait pas où est parti l’argent versé par des particuliers pour leurs opérations de défiscalisation ».

Ce n’est clairement pas l’avis de la cour d’appel de Nîmes, qui a rendu un jugement très sévère le 25 septembre. Elle a confirmé la condamnation en première instance du journal contre Robert Garzillo, à qui la publication devra verser 8 000 euros. Les termes « faillites retentissantes » et « ennuis judiciaires » qui ont été accolés au nom de l’homme d’affaires n’ont pas été justifiés par une enquête sérieuse et relèvent donc de la diffamation, a-t-elle tranché.

Mais surtout, la cour d’appel a donné raison à la société Strada et à ses trois filiales, aux mains de l’homme d’affaires mais qui attaquaient dans une procédure séparée. Et les attendus du jugement sont implacables. « Il apparaît que les prévenus ne se sont livrés à aucune enquête sérieuse », écrit le tribunal, qui évoque notamment un « e-mail très précis » envoyé par le promoteur la veille de la publication de l’article, où celui-ci soulignait que Strada ne pouvait pas être mêlée à ses ennuis judiciaires précédents, puisque la société n’existait pas à l'époque. « Force est de constater que les prévenus n’ont tenu aucun compte du mail précité », souligne le tribunal, estimant qu’« il y a là une volonté de nuire évidente ».

Ces arguments sont opposés à ceux qui avaient été retenus en première instance le 1er décembre 2011. Le tribunal de grande instance de Montpellier avait décidé qu’il n’y avait pas lieu à condamner l’hebdo satirique à la demande des sociétés de M. Garzillo. « De très nombreuses victimes se sont plaintes des malversations commises dès l’an 2000 » par le gérant d’une société de marchand de biens et ses partenaires, dont Robert Garzillo, rappelait le tribunal. Il estimait qu’« un lien incontestable peut être fait » entre Strada et les anciennes sociétés du promoteur. S’appuyant sur les e-mails échangés entre ce dernier et l’auteur de l’article (qui cite par ailleurs l'avocat Alain Jakubowicz dans son papier), le TGI jugeait l’enquête sérieuse, sans animosité personnelle, et pourvue d'un but légitime. « La bonne foi est suffisamment établie », estimait le jugement.

À Nîmes, la cour d’appel a jugé en sens inverse, et a eu la main particulièrement lourde. « Plus de 90 000 euros à payer, dont 80 000 euros de dommages et intérêts pour les sociétés, c’est problématique », déclare David Mendel, l’avocat du journal. Il rappelle que lorsque Le Canard enchaîné a été condamné en septembre pour avoir révélé le contenu de enregistrements de Patrick Buisson, il n’a dû débourser que 10 000 euros, tout comme le site Atlantico. « Le montant des dommages et intérêts ne sont pas justifiés par quoi que ce soit dans le dossier », affirme l’avocat.

« Nous acceptons les sanctions justes des erreurs que nous aurions pu commettre, mais en aucun cas que ces erreurs soient financièrement sanctionnées comme si nous étions des délinquants du CAC 40 », a écrit de son côté Tristan Cuche dans son courrier à Christiane Taubira. Il souligne aussi ne pas comprendre pourquoi, si l'article était si problématique, le tribunal a estimé que, « compte tenu de l’ancienneté des faits », la condamnation ne nécessitait pas d’être rendue publique par une diffusion dans un journal. « C’est la seule fois où notre journal a été condamné sans que nous ayons à rendre la décision publique », pointe David Mendel. Depuis 2007, L’Agglorieuse a déjà été condamnée trois fois pour diffamation et une fois pour injure (suite à un dessin de presse), et a bénéficié de deux relaxes.

L’hebdo et son avocat s’interrogent sur la personnalité de la présidente de la cour d’appel ayant jugé leur cas (avec deux assesseurs). D’une part, elle est connue comme étant plutôt sévère. À tel point qu’en février 2012, les avocats du Gard et du Vaucluse s’étaient tous mis en grève pour protester contre la dureté de ses jugements et de ceux d’un de ses confrères. Mais surtout, il apparaît que L’Agglorieuse était loin d’être inconnue pour la magistrate avant qu’elle ne juge l’affaire. L’hebdomadaire lui avait en effet consacré un de ses articles ironiques au moment de la grève des avocats, en donnant son nom. Ce qu’elle n’aurait pas apprécié, si l’on en croit le témoignage du journaliste auteur des articles sur la grève et sur Garzillo. Dans une attestation toute récente, il raconte que, lors d’un mariage à l’été 2012, la magistrate l’a « “agressé” verbalement, au moment de l’apéritif, sur le bord de la piscine du restaurant ». Elle lui aurait reproché le ton de l'article de 2012 et le fait de l’avoir citée nommément.

Le compagnon de la juge n’est pas non plus un inconnu pour le journal, puisqu’il s’agit de l’ancien directeur départemental de la police nationale, membre d’un club regroupant des personnalités de Montpellier, et candidat aux dernières élections municipales sur la liste socialiste perdante. Ces trois titres lui ont valu d’être cité plusieurs fois par L’Agglorieuse, et pas toujours de façon élogieuse.

De là à contester l’impartialité de la décision rendue, il n’y a qu’un pas, que l’hebdo compte franchir. « Nous nous sommes déjà pourvus en cassation, mais nous allons aussi saisir le Conseil supérieur de la magistrature de ces faits », annonce son avocat. En attendant, une soirée de soutien est organisée lundi 26 novembre.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Laurent Louis, un trublion dans l’assemblée


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