François Hollande avait promis de revenir à Florange. C’était en février 2012, dans l’optimisme de la campagne présidentielle. Édouard Martin, ouvrier sidérurgiste, leader CFDT des ArcelorMittal de Florange, lui avait payé une merguez.
Dans son enthousiasme, le candidat s’était engagé à tout faire pour sauver les emplois et les hauts-fourneaux. Le président a évité les licenciements secs. Il n’a pas sauvé les hauts-fourneaux. Sa venue, lundi 24 novembre, est attendue dans une ambiance mitigée. La CGT et FO, qui n’avaient pas signé l’accord de 2012 sur la fermeture des hauts-fourneaux, ne participeront pas à la rencontre de lundi, à l’opposé de la CFDT et de la CFE-CGC.
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Lire le texte d'Aurélie Filippetti, députée de Moselle et ancienne ministre.
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Le chef de l’État se rendra au siège du futur Institut de métallurgie du val de Fensch à Uckange, puis chez ArcelorMittal à Florange, indique-t-on à l’Élysée. Il inaugurera également le nouveau site de la société Safran à Commercy. « Autant signaler les trains qui arrivent à l'heure », dit un proche de François Hollande. Manière de se rassurer à bon compte ? Selon un communiqué de la CFDT, majoritaire et cheville ouvrière de l’accord de 2012, « beaucoup de chemin a été parcouru depuis l’arrêt de la phase liquide (c’est-à-dire la production d’acier) : grâce à l’accord social signé par la CFDT qui a fait suite aux engagements entre l’État français et ArcelorMittal, les 629 salariés du site concernés par l’arrêt des hauts-fourneaux auront une affectation définitive au 31 décembre 2014 » (sur les 629, 266 salariés sont partis en retraite, 361 ont été mutés, dont 324 à Florange, et deux sont encore en formation ; il n’y a eu aucun licenciement sec). Pour continuer avec les trains qui arrivent à l’heure, ArcelorMittal a respecté jusqu’ici l’accord de 2012 et recrute à nouveau – 17 CDI annoncés pour décembre (selon L’Usine nouvelle).
La CGT n’en dénonce pas moins un « génocide social » dans la vallée de Florange, et une « fracture entre le monde ouvrier et les dirigeants politiques gestionnaires, François Hollande en première ligne ». Hanté par l’exemple de Sarkozy, incapable de tenir sa promesse de revenir à Gandrange, Hollande n’a pas abandonné le dossier Florange. Mais le moins qu’on puisse dire est que la gestion concrète n’a pas été à la hauteur des espérances initiales.
Rappelons les principales étapes. Début octobre 2012, ArcelorMittal annonce la fermeture des hauts-fourneaux de l’aciérie de Florange. À l’époque, Jean-Pierre Jouyet, qui n’était pas encore secrétaire général de l’Élysée mais directeur général de la Caisse des dépôts, déclare avec sa finesse habituelle que la BPI (future Banque publique d’investissement, créée en 2013), « n’a pas vocation à aider les canards boiteux ». En fait, le projet envisagé un moment d’une aide de Florange par la BPI est vite abandonné.
En novembre 2012, Lakshmi Mittal confirme la fermeture d’une partie du site de Florange. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, monte au créneau, lance l’idée d’une nationalisation temporaire du site, et trouve des soutiens à gauche comme à droite. Mais début décembre, au moment des révélations sur le compte Cahuzac, le premier ministre Jean-Marc Ayrault désavoue Montebourg. Colère des syndicats, devant ce qui apparaît comme une trahison du gouvernement, mais surtout de Hollande et de ses promesses de campagne : « Je suis venu aussi vous dire que si Mittal ne veut plus de vous, lançait-il en mars 2012 (...) je suis prêt à ce que nous déposions une proposition de loi qui dirait la chose suivante : quand une grande firme ne veut plus d’une unité de production et ne veut pas la céder, nous en ferons obligation. »
Fin novembre, Ayrault annonce un accord conclu à l’arraché, qui maintient les emplois mais ne sauve pas les hauts-fourneaux. Compromis décevant, après les espoirs suscités par Hollande et Montebourg. Après de beaux discours, on abandonne l’essentiel du site sidérurgique, pourtant jugé l’un des plus rentables du groupe, d’après un document interne de la direction de Mittal. La fracture n’est pas seulement entre les dirigeants politiques et les ouvriers, elle touche l’équipe de Hollande : « La première vraie cassure, celle qui brise quelque chose au sein du gouvernement, c’est Florange », dira une ancienne ministre, tandis que pour un ancien de Matignon, « Florange, c’est une cassure fondatrice ».
Politiquement, elle se paiera au prix fort. Quand Hollande revient à Florange, fin septembre 2013, l’ambiance n’est plus à lui offrir des saucisses épicées – « nous n’avons plus les moyens d’acheter des merguez », plaisante Édouard Martin. La vraie sanction tombe aux municipales de mars 2014 : à Florange, le maire socialiste Philippe Tarillon est sèchement battu au premier tour, et l’UMP Michel Decker est élu. Mais c’est surtout Hayange, la ville voisine, le site symbolique où se trouvaient les derniers hauts-fourneaux ArcelorMittal de Lorraine (à Florange, il y avait des bureaux et la filière froide, mais pas de production d’acier), qui sanctionne l’échec politique des socialistes : la ville passe au Front national, et élit Fabien Engelmann. Certes, la victoire du FN est fragile. En septembre, le Front national implose à Hayange. Aujourd’hui, Fabien Engelmann, dont les comptes de campagne ont été rejetés par le tribunal administratif, est sous le coup d’une enquête préliminaire, et risque un à trois ans d’inéligibilité.
La portée symbolique de son élection n’en est pas moins désastreuse. Hayange était la plus grande ville de la vallée lorraine de l’acier, la Fensch, elle avait été le cœur de l’empire des Wendel. Des maîtres de forge de la famille reposent dans une église monumentale que les Wendel ont fait construire au XIXe siècle. La ville a souvent été gérée, depuis la guerre, par le PS et le PCF. François Hollande s’est pris lui-même au piège de ses promesses. Il voulait empêcher les industriels de fermer des sites rentables. Non seulement il n’a pas stoppé la fermeture des hauts-fourneaux de Hayange, mais la « loi Florange », destinée à éviter que des cas similaires se produisent, sera censurée par le Conseil constitutionnel. Elle est finalement promulguée sous une forme édulcorée, le 29 mars 2014, trop tard pour influer sur les municipales.
Aux européennes de mai 2014, le recul socialiste se poursuit. Édouard Martin, tête de liste, se retrouve seul élu de la liste PS dans l’est (voir dans la vidéo ci-dessous, l'interview qu'il nous avait donné pendant la campagne). Et le FN caracole.
L’accord de 2012 aura évité le pire pour les ouvriers de Florange. Il n’a pas redressé la production industrielle, ni l’économie de la vallée lorraine, ni l’image du PS. Les hauts-fourneaux désormais inutiles de Hayange restent le symbole gênant de l’impuissance et des contradictions de la gauche au pouvoir.
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