Jusqu'ici, Kader Arif disait n'être « absolument pas » concerné par l'enquête judiciaire sur les sociétés de certains de ses proches, ouverte le 10 septembre à Toulouse (lire notre article). Il semble que la justice voie les choses un peu autrement.
Selon nos informations, les bureaux du secrétaire d'État aux anciens combattants, placé sous l'autorité du ministre de la défense Jean-Yves Le Drian, ont été perquisitionnés le 6 novembre dernier, dans le cadre d'une enquête préliminaire ouverte en septembre sur des marchés publics attribués par le conseil régional de Midi-Pyrénées à des parents de Kader Arif. De source proche de l'enquête, la perquisition a été menée par l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), service de police judiciaire spécialisé dans la lutte anti-corruption.
Sollicité par Mediapart, le cabinet de Kader Arif n'a pas souhaité réagir (voir notre boîte noire).
Le 10 septembre, l'annonce de l'ouverture de cette enquête préliminaire par le parquet de Toulouse avait fait du bruit. Kader Arif est en effet un très proche de François Hollande. Il fut un des piliers du "club des 3 %", ces quelques soutiens qui ont entouré François Hollande lorsqu'il n'était qu'un outsider dans la course à l'Élysée au plus bas dans les enquêtes d'opinion. Arif, ancien collaborateur de Lionel Jospin devenu secrétaire fédéral du PS de Haute-Garonne, fut notamment chargé des fédérations au PS, un poste clé, de 2005 à 2008. François Hollande était alors le premier secrétaire du parti. Lors de la campagne présidentielle, Kader Arif pilotait le pôle "coopération" de l'équipe du candidat. Depuis mai 2012, il est un membre du gouvernement aussi discret qu'inamovible, proximité avec le chef de l'État oblige.
Depuis la mi-septembre, le dossier a été dépaysé au Parquet national financier (PNF), service spécialisé dans la lutte contre la délinquance financière et la fraude fiscale annoncé fin 2013 et créé en mars 2014, en réaction à l'affaire Cahuzac.
La justice s'intéresse à une série de marchés passés entre le conseil régional de Midi-Pyrénées, présidé par le socialiste Martin Malvy, et deux sociétés, AWF Music (liquidée en mai 2014) puis AWF, dont les associés sont le frère, la belle-sœur ou les neveux du ministre. L'enquête a été déclenchée suite à un signalement à la justice de l'opposition UMP-UDI du conseil régional de Midi-Pyrénées, alertée par des concurrents malheureux d'AWF.
Ces deux sociétés, spécialisées dans la production de spectacles et la sonorisation, ont été depuis 2009 chargées de l'organisation d'événements pour le compte de la région – 242 prestations entre décembre 2009 et juillet 2014 selon l'opposition, soit environ une facture par semaine, pour un montant global de 2,046 millions d'euros. La société s'est également occupée de certaines prestations pendant la primaire socialiste puis lors de la campagne présidentielle de François Hollande. AWF Music était notamment chargée de la réalisation de certains meetings du candidat François Hollande.
Selon le procureur de la République de Toulouse, le signalement de l'opposition fait état « d'anomalies dans les relations contractuelles existant entre la région et certaines sociétés ». L'opposition s'interroge sur les modalités de certains marchés, soupçonnant d'éventuels favoritismes ou de possibles surfacturations.
En 2008, un premier marché de sonorisation et de structures scéniques est conclu pour deux ans. Le montant prévu (179 000 euros) est atteint en un an. En 2009, un contrat « relatif à la fourniture de concepts visuels, à l'agencement et à la décoration d'événements organisés par la région » est passé pour 4 ans. Estimé à 340 000 euros, il a finalement atteint plus de 1,7 million d'euros. En 2013, un autre appel d'offres a dû être annulé pour « insuffisance de concurrence » car deux des sous-missionnaires, AWF et All Access, avaient en fait le même gérant. Finalement, un nouvel appel d'offres a été lancé en 2014, lui aussi remporté par AWF. Le marché est estimé à 2,8 millions d'euros. Selon le conseil régional, ce contrat est toujours en cours.
Martin Malvy, le président du conseil régional, qui dénonce une « campagne de dénigrement », réfute que des « factures fictives » aient été « émises ». « Les marchés (…) attribués l’ont été au terme d’appels d’offres qui ont fait l’objet de larges publications d’appels à la concurrence », insistait-il dans son premier communiqué, publié le jour de l'annonce de l'ouverture d'une enquête préliminaire. Le 12 septembre, une perquisition a eu lieu au conseil régional. À cette occasion, les enquêteurs ont « rencontré la haute administration du conseil régional », confirme un porte-parole.
« Aucun membre du Gouvernement n’est intervenu ni directement ni indirectement pour favoriser l’attribution d’un marché qui concerne la Région et elle seule », assure aussi Martin Malvy. Soutenu par le gouvernement, à commencer par son chef Manuel Valls, Kader Arif a jusqu'ici tenu la même ligne de défense : « Ce sont des affaires qui ne me concernent absolument pas », avait-il déclaré aux médias le 11 septembre, en marge d'une visite ministérielle dans le Pas-de-Calais. Avec la perquisition dans ses bureaux, il va lui être difficile de garder cette ligne.
BOITE NOIRESollicité mercredi 19 novembre dans l'après-midi, relancé depuis, le cabinet du secrétaire d'État a bien accusé réception de notre demande. Kader Arif revenant d'Australie où il a accompagné François Hollande, j'ai informé mercredi soir le cabinet que l'article paraîtrait à 13 heures, pour laisser au secrétaire d'État ou à son entourage le temps de réagir. Jeudi matin, un collaborateur de Kader Arif m'a encore promis « un retour d'ici 13 heures ». Puis a envoyé un SMS à 12 h 45: « Pas de réaction de notre part. »
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Panopticon