Éléphants dans la brume. Entraîné dans un délitement paraissant jusqu’ici inéluctable, le parti socialiste voit son appareil déliquescent s’ébranler de façon inattendue. Samedi, son conseil national (en tout cas, un peu moins de 200 de ses membres, sur 330) a bouleversé la donne de son épuisement programmé. En décidant de façon inattendue d’organiser un congrès début juin 2015, le PS tente de se replacer au centre du jeu politique d’une gauche de gouvernement à la dérive, sans autre cap que celui d’une hypothétique amélioration de la situation économique.
Signe de sagesse ou de faiblesse, selon les points de vue, l’exécutif s’est finalement laissé imposer un calendrier plus rapide qu’il ne le souhaitait. Les proches de Manuel Valls et François Hollande plaidaient pour un congrès en 2016, mais la haute autorité du PS a réaffirmé la nécessité pour un parti démocratique de respecter ses statuts (lire ici).
Désormais, chez les récalcitrants d’hier, on s’accommode tant bien que mal de la situation d’aujourd’hui. « C’est décidé, alors il faut faire avec », explique le ministre Stéphane Le Foll. Quitte à choisir l'année 2015 et non 2016, il regrette même que le congrès n’ait pas lieu dès février prochain! Pour ce fidèle de longue date du président, qui anime le courant “hollandais” au sein du PS, il s’agit désormais de se lancer dans un exercice de « clarification, mais sans se déchirer ». Il estime que le parti doit avant tout éviter « de se retrouver comme à Liévin (en 1994), quand le parti s’est marqué à gauche pour appeler dans le même temps Jacques Delors à se présenter à la présidentielle ».
Pour le député Carlos Da Silva, suppléant et proche du premier ministre, « il faut espérer que la tonalité de ces derniers mois change, que la responsabilité et le respect permettent d’arriver au rassemblement à la fin des débats du congrès ». Lui, comme d’autres dans la majorité actuelle du parti, se dit « rassuré », mettant en avant les états-généraux portés par Jean-Christophe Cambadélis. « Ça a apaisé les esprits, la discussion s’est libérée, les militants se sont remis au boulot », dit Da Silva.
Pour autant, si la remobilisation de la base militante fait l’unanimité dans le parti, la proposition de charte issue de ces états-généraux, qui semble « ancrée à gauche », « bien écrite » ou « généreuse » aux dires mêmes des responsables les plus critiques de l’orientation gouvernementale, suscite déjà des réserves. « Cela pose tout de même un sérieux problème entre le dire, en l’occurrence l’écrit, et le faire », souligne Emmanuel Maurel, chef de file de l’aile gauche du parti. D’autres redoutent que le « molletisme ne gagne le PS », claironnant à gauche quand sa pratique du pouvoir ne cesse de dériver à droite.
Ce projet de charte, écrit par le n°2 du parti Guillaume Bachelay (également député et suppléant de Laurent Fabius), ne définit finalement pas le « nouveau progressisme » souhaité par Cambadélis (terme abandonné devant l'hostilité majoritaire au BN). Il a été adopté par le bureau national du PS par 24 voix et 9 abstentions, mardi soir. Le texte (lire ici), qui doit être adopté par les militants le 3 décembre, affirme le « primat du politique sur l'économisme », souligne « l’objectif du plein emploi » et considère que « la fiscalité doit favoriser le réinvestissement des bénéfices plutôt que la distribution de dividendes aux actionnaires... ». « C'est le cadre du débat du congrès, juge Carlos Da Silva, porte-parole du parti. On peut avoir un consensus sur les frontières de ce cadre. »
Le congrès doit justement permettre de lever ces ambiguïtés, même si sa perspective enfin claire semble avoir refroidi les ardeurs de chacun. Il y a des rites à respecter à nouveau, après des initiatives critiques tous azimuts et les désirs de ruptures relatives qui se sont exprimés à l’assemblée ou sur les tréteaux des universités d’été. Se réunir entre diverses sous-sensibilités d’ici la fin de l’année, envisager le dépôt d’une contribution commune, tout en faisant campagne pour les départementales de mars... Puis envisager le grand saut du dépôt d’une motion, peu après ce scrutin local qui a tout du grain de sable potentiel dans la mécanique graissée d’un congrès du PS. Voilà le nouvel horizon des responsables socialistes.
Les élections départementales comme préalable
D’ores et déjà, les prévisions catastrophiques circulent à Solférino, à propos du futur scrutin départemental, sans que l’on ne sache si elles relèvent de l’intox, afin de relativiser la déroute à venir, ou de réelles études approfondies. La perte d’une quarantaine de départements et un score national entre 10 et 13 % sont évoqués.
Une telle sanction électorale pourrait déboucher sur un congrès cathartique, où pour la première fois de son histoire, un exécutif socialiste ne serait pas soutenu par son parti. Cette hypothèse n'est pas évidente, tant elle dépend aussi de la réalité de l’effectif militant du PS, comme de la capacité de son appareil en ruines à contrôler encore les votes internes. « Cela dépendra de l’état d’esprit des militants encore présents, explique le député Pascal Cherki. Soit ils sont tétanisés, se replient sur eux-mêmes et font bloc comme dans un congrès de crise du PCF. Soit ils expriment leur colère et se révoltent. »
Des départementales aux airs de débandade – ce qui apparaîtrait comme une victoire pour Nicolas Sarkozy chef de parti – pourraient provoquer un « troisième temps inattendu du quinquennat », pronostiquent certains. Ceux-là imaginent alors un changement de premier ministre, plus compatible avec un retour à gauche, comme Martine Aubry ou Claude Bartolone. « Dans un tel cas, ça changerait tout et il faudrait repartir à zéro, d’un point de vue stratégique », explique un député PS critique. « Ce congrès devient le levier principal pour faire pression sur le président de la République, estime le député critique Laurent Baumel. La question de l’inflexion à gauche du gouvernement redevient centrale, là où le débat est devenu difficile au parlement. »
Cette incertitude face aux événements est clairement à l’avantage de Jean-Christophe Cambadélis, expert-tacticien dans la maîtrise des circonstances aléatoires depuis qu’il a pris la tête du parti. Mais son leadership est tout aussi fragile que le pouvoir aux pieds d’argile qu’il tente, bon an mal an, d’accompagner.
Cambadélis, haut, bas, fragile
Il a aujourd’hui autant de chances de se succéder à lui-même que de rejoindre Harlem Désir, Michel Rocard ou Henri Emmanuelli au panthéon des premiers secrétaires éphémères du PS. Pour l’heure, « Camba » la joue à mi-distance de Valls et de l’aile gauche. « Son attitude dépendra de Valls, s’il reste ou s’il part, ou de quelle façon il part », croit savoir un de ses amis.
Si le premier ministre reste à Matignon après les départementales, il saura le tenir à l’écart du congrès, tout en espérant réunir ses proches avec les hollandais, et en profitant au maximum de son amitié parfois surjouée avec Martine Aubry. En équilibriste d’un PS sur le fil, il entend rester le seul dénominateur commun possible entre première gauche, deuxième gauche et après-gauche… « Mon objectif n’est pas de faire un congrès sur la politique gouvernementale, mais de faire en sorte qu’il soit utile à la fin du quinquennat, se contente-t-il pour l’heure d’affirmer. On doit montrer que les socialistes sont capables de se rassembler sur une position. Certes en faisant l’inventaire de ce qui a fonctionné ou pas, mais surtout en faisant des propositions. »
Cambadélis se fait stratège avant tout, pour conserver la direction d’un parti qu’il a mis tant de temps à conquérir (il était déjà le n°2 de Lionel Jospin en 1995). Il ne répond pas aux questions sur la ligne politique, mais souligne que « la clé de la vie politique française passe, aux yeux de nos adversaires ou concurrents, par un éclatement du PS ». Or, estime-t-il, les militants ne feront pas ce cadeau aux autres forces politiques, et il appelle dès maintenant ses « camarades » à « avoir en tête la radicalisation de la droite et la façon dont l’extrême droite affine son modèle ».
Sa position centrale dans un parti aussi démonétisé n’est toutefois pas si confortable qu’elle en a l’air. L’homme n’a pas vraiment de troupes à lui, en dehors de son réseau militant essentiellement parisien et francilien, issu de l’Unef et de la Mnef des années 1990. « Il est soutenu par qui, en vrai ?!, relativise ainsi un cadre du courant hollandais “Répondre à gauche”. Il n’est là que parce qu’il est connaisseur du parti, qu’il est disponible et qu’il ne pouvait pas faire pire que Harlem. » Il n'est d'ailleurs pas sûr que le choix de la date de juin 2015 pour le congrès ait remonté sa cote auprès de l’exécutif. Deux concurrents se sont pour l’instant dressés face à lui, Benoît Hamon et Emmanuel Maurel. « Pourquoi faudrait-il sauver le soldat Camba ? s’interroge ce même cadre hollandais. C’est une des questions à trancher dans ce congrès… »
Du côté de l’opposition interne à la politique gouvernementale, on s’interroge aussi sur l’avenir du premier secrétaire. « Ses efforts et ses critiques ne sont audibles que pour les journalistes et une partie de l’appareil du parti, explique un responsable des “frondeurs” du collectif Vive la gauche. S’il veut s’imposer, il faudrait qu’il parvienne à vraiment faire plier le gouvernement sur un sujet fort d’ici le congrès. Mais est-il capable de le faire ? »
Pour l’heure, l’intéressé fait comme si de rien n’était, bien décidé à s’avancer dans le congrès comme un sortant souhaitant être reconduit sans discuter. Samedi, il a annoncé qu’« il y aura une contribution et une motion Cambadélis », sur l’air du qui m’aime me suive, et en plus vous n’avez pas le choix. Réplique, « à titre personnel », du député Christian Paul, proche de Martine Aubry et l’un des meneurs de la contestation au parlement : « Il n’y a pas d’hostilité vis-à-vis de Cambadélis, mais il n’y a pas d’automaticité à le soutenir non plus. » À ses yeux, « le parti a plus que jamais besoin de vitalité démocratique, et surtout pas de voir le débat tué avant de commencer : on n’est pas condamné à devoir choisir entre Manuel et Valls ».
Aubry, combien de divisions ?
Au début de l’été, à la buvette de l’Assemblée, François Lamy avait annoncé la couleur à Bruno Le Roux, président du groupe PS et fidèle de François Hollande : « J’ai reçu une lettre me demandant d’ouvrir le placard et de sortir les fusils. » La saynète, rapportée par une députée présente à proximité de l’échange, illustre la volonté de la maire de Lille de ne plus se tenir à distance des débats internes socialistes. Après une succession de « cartes postales » adressées à l’exécutif, puis une « sortie du bois » fracassante il y a un mois (lire ici), Aubry est de retour.
Nouveau signe inquiétant pour ses contempteurs : l’annonce samedi – le même jour que le conseil national – de l’implantation militante de François Lamy, son plus fidèle lieutenant, sous le beffroi nordiste. Si une place sur la liste aux prochaines régionales, ou la succession de Bernard Roman, député hollandais et meilleur ennemi d’Aubry à Lille, sont évoquées à son sujet, c’est aussi la perspective du congrès qui se cache derrière ce rapprochement géographique. Dans le même temps, d’autres de ses fidèles, comme les députés Christian Paul ou Jean-Marc Germain, participent à l’animation du collectif “Vive la gauche”, qui entend, lui, s’adresser aux autres partis en rupture avec le pouvoir.
Depuis septembre, Martine Aubry a déjà réuni deux fois en un mois ses relais dans le parti. « Plus que durant les deux dernières années », note un député aubryste de longue date, pour qui « il faut arriver à tracer un chemin entre les vallsistes et les frondeurs, pour réoccuper le cœur du parti ». Alors, elle incite clairement ses proches à se structurer en vue du congrès, pour y peser de façon décisive.
Car Aubry est bien l’une des clés du congrès qui s’ouvre, dont on saura en décembre dans quelle ville il se tiendra (Avignon, Nantes, Metz, Lourdes ou Douai sont évoqués). Soutiendra-t-elle un candidat, ou mettra-t-elle « ses œufs dans divers paniers », comme l’imaginent beaucoup ?
Un soutien à son ami Cambadélis, qui l’a aidée à prendre le parti lors du congrès de Reims, lui ferait courir le risque d’être « débordée sur sa gauche », comme l’estime un pilier de sa sensibilité : « La base des élus est dans la logique d’en découdre, et les militants ne suivront pas pour se ranger derrière Camba… » Un soutien à son ancien protégé Benoît Hamon est aussi envisagé. Plus proche idéologiquement, elle entretient avec lui des relations complexes et parfois tendues, comme chien et chat, héritées de leur collaboration au ministère du travail, où l’ancien président du MJS était conseiller de la ministre des 35 heures.
Hamon, un boulevard semé d’embûches
Il se veut éloigné des stratégies à plusieurs bandes, oscille entre la table renversée (comme quand il évoque la « menace pour la République » que constitue l’orientation gouvernementale) et le recentrage par rapport à une aile gauche qu’il a patiemment reconstruite puis délaissée (lire notre reportage).
Au conseil national de samedi, Benoît Hamon est arrivé et reparti par une porte dérobée, évitant les médias désireux de parler congrès. Et à la tribune, il a choisi de ne parler que de la reconnaissance de la Palestine, lui qui a été l'un des instigateurs de la proposition de résolution de reconnaissance de l'Etat palestinien à l'Assemblée (lire ici). C'est un symbole, à ses yeux, de l’utilité dont peuvent faire preuve les parlementaires socialistes pour aider à être de gauche malgré lui ce gouvernement, qu’il a quitté avec fracas à la fin du mois d’août. C'est une façon de « se placer au-dessus de la mêlée » pour les uns, le signe qu’« il ne sait pas encore quoi raconter » pour les autres... Le nouveau député prend le temps et se garde bien d’attaquer bille en tête le quartier général.
Au congrès de Reims, Martine Aubry l’avait un temps soutenu comme solution de sortie de crise, alors que la nuit des résolutions était bloquée. Il a été finalement porte-parole du PS, après avoir recueilli 25 % du vote militant. Puis en 2012, Hollande l’avait nommé au gouvernement, à la surprise générale, façon de l’empêcher de lorgner la direction du parti. Il va désormais devoir cheminer jusqu’au vote du congrès, montrer qu’il peut être l’alternative à Cambadélis. Sur le papier, un boulevard s’offre à lui. Dans la réalité, il est semé d’embûches.
En premier lieu, il voit se dresser devant lui Emmanuel Maurel. Héraut de l’aile gauche du parti, dont il a contribué à entretenir la flamme quand Hamon et les siens s’étaient rangés au gouvernement et dans la majorité de Harlem Désir, Emmanuel Maurel entend pouvoir « poser toutes les questions qui fâchent lors de ce congrès ». Peu désireux de se mettre en retrait après deux ans passés à structurer “à l’ancienne” son courant “Maintenant la gauche” (avec Marie-Noëlle Lienemann, Jérôme Guedj et Gérard Filoche), il ne pardonne pas encore vraiment à Hamon d’avoir joué, avec Montebourg, le marchepied de Manuel Valls à Matignon (lire ici).
« Les hommes parfaits sont des hommes morts », relativise Pascal Cherki, l’un de ses proches, qui estime que “Benoît” « a une meilleure force de pénétration dans le parti ». Un autre ami, plus cash, avance de son côté : « On a mis des années à faire émerger un leader crédible à la gauche du parti, qui en plus est devenu ministre, ce n’est pas pour se ranger derrière un nostalgique de Jean Poperen. »
Dans un premier temps, Hamon espère rassembler au centre du parti. « L’idée, ce serait de retrouver le socle de NPS (le courant Nouveau parti socialiste créé en 2002 par Vincent Peillon, Arnaud Montebourg et lui), même si tout le monde a roulé sa bosse depuis », explique un jeune député aubryste. En vertu de leur amitié gouvernementale, Montebourg pourrait soutenir son collègue co-démissionnaire, en attendant Martine Aubry. « Tout est possible dans ce congrès, dit un hamoniste. On peut gagner sans Aubry, comme perdre avec. »
Cette opposition interne débouchera-t-elle sur un scénario à deux grosses motions concurrentes, entre un « pôle gauche » et un « pôle droit », sur plusieurs petites motions à côté d'une grosse (hypothèse la moins probable, même si beaucoup imaginent que « Cambadélis va sûrement “inventer” ») ? S'agira-t-il d'une réédition du congrès de Metz de 1979, théâtre de l’affrontement entre première et deuxième gauche, où François Mitterrand avait fait alliance en deux temps avec l’aile gauche du Cérès de Jean-Pierre Chevènement, face à Michel Rocard ? Le congrès ne fait que commencer.
BOITE NOIRETous les propos cités dans cet article ont été recueillis en marge du conseil national à huis clos (comme toutes les réunions du PS sous l’ère Cambadélis) et lors d’une conférence de presse du premier secrétaire samedi, ainsi que par téléphone ces lundi et mardi.
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