« Chez Marie, on licencie » : la banderole n’est restée en vue que quelques heures dans une cour de l’Institut Curie, où le climat est très tendu, sur fond d’absence de dialogue social et de règlements de comptes.
Une grève est annoncée à partir du jeudi 20 novembre au sein du fleuron parisien de la médecine et de la recherche en cancérologie. La direction a annoncé un plan social prévoyant la suppression de 93 postes, dont ceux de 15 médecins, sur un effectif global de l’ordre de 2 000 personnes, alors qu’une centaine de postes ont déjà été supprimés au cours des derniers dix-huit mois du fait de départs sans remplacement (médecins, personnels d’accueil, techniciens, coursiers, etc.).
Le Comité central d’entreprise (CCE) doit rencontrer la direction ce même 20 novembre. Les organisations syndicales sont dans l’ensemble opposées au plan social et, d'après nos informations, la direction semble peu disposée à négocier.
Le 7 novembre, le CCE a adressé une lettre très critique au professeur Thierry Philip, élu président du Conseil d’administration fin 2013, par ailleurs maire socialiste du 3e arrondissement de Lyon.
Dans cette lettre que Mediapart a pu se procurer, les personnels de la Fondation Curie reprochent à leur président un plan de sauvegarde de l’emploi « dont les raisons économiques sont plus que contestables ». La raison avancée pour justifier ce plan est un déficit qui s’élève à 4 millions d’euros en 2013 et devrait atteindre 5 millions d’euros en 2014 (sur un budget annuel de l’ordre de 200 millions d’euros, alors que les dons à la Fondation représentent 30 millions d’euros par an). Pour le CCE, la situation résulte de « plusieurs années d’erreurs stratégiques, d’inaction », ainsi que d’une fusion mal gérée avec le Centre René Huguenin de Saint-Cloud. Le personnel estime que la Fondation Curie « avait les moyens d’assumer le poids de ce passé et d’accompagner les évolutions et mutations nécessaires sans en passer par un plan social », et déplore d’être considéré comme « une variable d’ajustement dans (les) bilans comptables ».
Thierry Philip a répondu par une lettre ouverte qui avance des arguments financiers : « La Fondation ne peut en aucun cas financer un déficit hospitalier » avec l’argent des donateurs qui « est clairement fléché sur la recherche et l’innovation ». Le président de Curie fait valoir que le plan social permettra de repartir sur des bases financières saines et « d’envisager un budget équilibré pour l’Ensemble hospitalier à partir de 2015 et positif à partir de 2016 », et donc de préserver l’avenir de la Fondation.
Mais des sources interrogées par Mediapart au sein de l’Institut Curie contestent la logique de ce plan social. Un cadre de l’Institut fait observer que le Centre Léon-Bérard – le centre anticancer de Lyon, que Thierry Philip a dirigé de 1989 à 2009 – est plus déficitaire que Curie, sans que l’on envisage de plan social. Un autre membre du personnel déplore que l’on n’ait pas exploré toutes les solutions avant d’opter pour un plan social.
La logique d’ensemble du plan n’est pas toujours compréhensible, d’autant que le président de Curie projette par ailleurs de faire construire un nouvel hôpital pour remplacer celui de Saint-Cloud. Certains aspects de ce plan social sont défendus au nom de la rationalité économique : ainsi, il est prévu de supprimer 18 postes de techniciens de laboratoire, dont 2 hautement qualifiés. Ces suppressions sont justifiées par le coût des examens de routine effectués à Curie, alors qu’il serait moins cher de les sous-traiter (l’économie serait de l’ordre de 20 centimes par acte, d’après nos sources). Un membre du personnel juge toutefois que l’on n’a pas étudié suffisamment la possibilité de réduire le coût des examens effectués par Curie.
D’autres suppressions de postes visent la chirurgie, dans la perspective de développer la chirurgie ambulatoire. Si cette tendance n’est pas spécifique de l’Institut Curie, elle participe d’une logique économique de la santé qui ne place pas le patient au premier plan.
Beaucoup moins compréhensible, le projet de la direction prévoit de supprimer le département « recherche clinique », en le « fondant » dans l’ensemble de la structure. Et cela, alors même que dans le discours officiel, la recherche clinique est au cœur des missions de l’Institut. La disparition programmée du département « recherche clinique » n’est pas accompagnée, dans le plan social, d’une description précise de l’organisation nouvelle censée remplacer celle qui est démantelée. Ce département comporte un service de Biostatistiques qui, depuis des années, réalise de nombreux contrats de recherche. Or, il a été prévu de supprimer le poste de chef de ce service, qui serait réuni à un autre, « Base de données », dont le chef devrait également être licencié.
Cela, sans que les employés des deux services sachent clairement, aujourd’hui, comment ils travailleront si le plan est mis en acte.
Autre exemple : un service original de l’Institut Curie, la maison des patients, destiné à l'écoute des patients notamment après leurs consultations ou traitements à l’hôpital, a été créé et est actuellement dirigé par une psychologue. Or, selon le plan social, la maison des patients pourrait être gérée par une personne dont le profil s’apparente plus à un « accompagnateur de santé », de sorte que le plan propose de supprimer le poste de psychologue.
Concrètement, dans ces exemples, le plan social vise à supprimer un poste qui concerne une personne précise, et une seule. Ce qui revient à un licenciement « fléché ». Selon l'une de nos sources, « les gens sont choqués lorsqu’ils voient la liste de ces postes fléchés, parce qu’il se trouve que la plupart des personnes ainsi ciblées ont eu un conflit ou des démêlés avec la hiérarchie de l’Institut, et semblent se trouver ainsi sanctionnées sans que la qualité de leur travail soit en cause ».
En clair, certains estiment que le plan social, quelles que soient ses justifications économiques, est en partie utilisé pour « faire le ménage » en provoquant des départs qui arrangent la direction. Ce qui ne signifie pas qu’ils soient dans l’intérêt de l’Institut ni des patients. Certes, une telle démarche ne semble pas très originale. Mais le personnel de cette « grande maison » qui porte le nom de Marie Curie espérait mieux. Comme le dit l'une des banderoles apparues fugitivement dans la cour de l’Institut, « ce n’est pas l’esprit Curie ».
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