Angers (Maine-et-Loire), de notre envoyée spéciale. C’est un de ces moments gênants qu’offrent régulièrement les échanges entre élus et militants, et qui révèlent le décalage de certains responsables politiques avec une partie de leur base. Jeudi 13 novembre, à la tombée de la nuit, Hervé Mariton vient d’entamer un questions-réponses avec la petite centaine de personnes agglutinées dans la permanence UMP d’Angers, quand un sexagénaire prend la parole depuis le fond de la salle.
L’homme brandit un courrier de la CAF – visiblement “tombé” d’une poche – illustrant le scandale que représente à ses yeux le fait que « ceux qui ne veulent pas travailler touchent plus d’aides » que son fils et sa belle-fille, tous deux ouvriers. Applaudissements des militants. Des « merci ! », « bien dit ! », « enfin ! », fusent à travers l’assistance. Après une demi-heure de monologue de Mariton sur la machine UMP dont il brigue la présidence, le public, jusqu'alors assommé par le verbiage du député de la Drôme, se réveille avec le sentiment de pouvoir enfin aborder « les vrais sujets ».
« L’assistanat » en fait partie. Et Mariton ne se fait pas prier pour rebondir sur ce qui s’annonce déjà comme une discussion de zinc sur « ces gens qui profitent de la France ». « Il y a ceux de nationalité française, mais qui ne parlent pas un mot de français et qui s’inscrivent à Pôle emploi juste pour avoir le bus gratuit », lance-t-il aux militants qui rient de bon cœur. Assis derrière le candidat, le sénateur et maire UMP d’Angers, Christophe Béchu, semble mortifié par ce qu’il est en train d’entendre. Il porte ses mains à son visage.
Quelques heures plus tôt, dans son bureau de la mairie, l’élu nous expliquait comment l’Anjou, qu’il aime décrire comme « une terre sociale-démocrate-chrétienne », a vu émerger ces cinq dernières années « une forme de radicalisation », « très atténuée par rapport à ce qu’on peut vivre dans le reste de la France », mais tout de même perceptible au travers de « faits divers » : l’accueil « dans des conditions inqualifiables » de Christiane Taubira en octobre 2013 – la garde des Sceaux avait été traitée de « guenon » par une poignée de manifestants issus de la “Manif pour tous” –, ou encore l’arbre de la laïcité, coupé trois fois sur la place Lorraine, non loin de l'hôtel de ville.
Des épisodes somme toute « marginaux », mais au travers desquels le maire aperçoit « les marqueurs d’une exaspération qui ne correspondait pas à des choses dont on avait l’habitude ». Car d’ordinaire, Angers ne raffole pas des excès. Troisième commune la plus peuplée du Grand Ouest, coincée entre Nantes et Le Mans, c’est « une ville “du milieu” où l’on s’arrête rarement », souligne Emmanuel Caloyanni, ex-rédacteur en chef du Courrier de l’Ouest devenu conseiller de Christophe Béchu, avant d’ajouter en souriant : « Ce n’est pas pour rien que nous sommes centristes ! »
« La droite angevine est modérée, confirme Emmanuel Capus, deuxième adjoint UMP d’Angers en charge des finances. La gauche l’est aussi du reste. Elle a toujours été rocardienne », à l’image de Jean Monnier, qui a dirigé la ville de 1977 à 1998 et qui avait été exclu du PS en 1983 pour avoir refusé de s’allier aux communistes. « Le jour où Angers basculera à gauche, je serai élu président de la République », aurait clamé François Mitterrand peu de temps avant que celui que l’on surnomme encore le « roi Jean » ne s’empare de la ville. La droite angevine, qui a reconquis le pouvoir aux dernières élections municipales après 37 ans de gestion socialiste, se répète cette phrase, comme un mantra pour 2017.
En mars dernier, le basculement d’Angers à droite a fait de la ville l’un des symboles de la fameuse “vague bleue” vantée par Jean-François Copé. Pourtant, l'ex-patron de l’opposition et l’UMP n’ont pas grand-chose à voir dans la victoire de Christophe Béchu, qui avait pris soin de mener une campagne sans logo et de composer une liste « diversifiée », composée pour moitié de personnes issues de la société civile. De façon plus générale, les douze élus UMP de l’actuelle équipe municipale ne se sentent pas vraiment liés à la machine de leur parti.
« Je suis assez attaché à mon indépendance et du coup assez allergique aux structures partisanes », explique le maire, rappelant qu’il n’a jamais occupé de responsabilités dans l’organigramme de l’UMP « ni à Paris, ni à Angers », à l’exception de sa présence au sein de la commission nationale d’investiture, « lieu stratégique qui permet, selon lui, de favoriser un renouvellement et d’organiser l’avenir de notre famille politique ». Cela tombe bien, le devenir de l’UMP est une question centrale dans l’élection pour la présidence du parti. Et c’est précisément le sujet que nous souhaitons aborder avec l’édile.
Comme Arnaud Robinet à Reims, Édouard Philippe au Havre ou encore Gérald Darmanin à Tourcoing, Christophe Béchu fait partie de cette nouvelle génération d’élus qui ont toutes les chances d’occuper des fonctions ministérielles en cas d’alternance en 2017. Les ténors de la droite en sont pleinement conscients. Et ils n’ont pas attendu la primaire de 2016 pour leur faire les yeux doux. Dans la campagne pour la présidence de l’UMP, les deux premiers soutiennent officiellement Bruno Le Maire, tandis que le troisième a été propulsé porte-parole de Nicolas Sarkozy. Quid du quatrième ?
La question le fait sourire. D’abord, parce que Mediapart n’est évidemment pas le premier journal à la lui poser. Jamais les faits et gestes du sénateur et maire d’Angers n’auront été autant scrutés, commentés, interprétés qu’au cours des dernières semaines. Reçu fin octobre et par Alain Juppé et par Nicolas Sarkozy en l’espace de 24 heures, présent à la réunion publique angevine d’Hervé Mariton le 13 novembre, probablement retenu en conseil municipal le 24 novembre, jour où l’ex-chef de l’État tiendra son meeting à Andard, à 15 kilomètres d’Angers… Christophe Béchu brouille les pistes, mais se défend de le faire exprès.
S’il ne veut pas prendre parti officiellement pour l’un des trois candidats à la présidence de l’UMP, c’est d’abord parce que sa « perspective est au-delà de cette élection de fin novembre ». « À partir du moment où je considère qu’il n’y a pas beaucoup de suspense, je me concentre moins sur ce sujet que sur le suivant, poursuit-il. Notez que si j’avais été totalement silencieux, cela aurait été interprété comme un soutien au favori… » Or, Béchu n’a pas été « totalement silencieux » sur le sujet, expliquant de-ci de-là qu’il n’était pas « indifférent » à la candidature de Bruno Le Maire, sans pour autant rejoindre la liste des 53 parlementaires qui soutiennent le député de l’Eure.
« À partir du moment où chacun sait que je suis membre de cette famille politique, mais que c’est une implication qui s’est toujours faite avec une forme de distance, je trouve qu’il y aurait une forme d’incohérence que tout à coup je sois pris d’une frénésie militante à l’occasion d’une élection interne », affirme-t-il. Ce qui l’intéresse vraiment en revanche, c’est la primaire ouverte de 2016 et le travail que l’UMP devra effectuer d’ici là pour proposer un vrai projet aux Français. « Le problème de l’opposition au sens large et de l’UMP en particulier, c’est que l’on critique le gouvernement, mais que l’on ne propose rien en retour. C’est illogique qu’au milieu du quinquennat, on soit si avancé sur les ambitions personnelles des uns et des autres et qu’on ne le soit pas sur le programme, les idées. »
Lui souhaite montrer, à travers un ancrage local, « comment expérimenter de nouvelles pratiques » et éviter ainsi la « fracture » qui s'annonce entre la nouvelle génération et celle « en responsabilité, qui a commencé à travailler durant les Trente Glorieuses, a bénéficié de niveaux de protection sociale très élevés et prépare aujourd'hui des lois sur la dépendance parce que c’est le prochain défi qui l’attend » au lieu de s'occuper de la dette qu'elle a laissée derrière elle.
Pour changer cette donne, le sénateur et maire d'Angers plaide pour un renouvellement des méthodes, mais aussi des hommes. Que pense-t-il de cet ancien président qui ne parvient pas à passer la main ?
Christophe Béchu n'apprécie guère le retour de Nicolas Sarkozy. Certes, il ne le dit pas aussi clairement que cela, mais les espaces entre les lignes de son propos sont tellement gros qu’il n’est guère difficile de lire au travers. Lors de sa récente entrevue avec l’ancien président, il lui a d’ailleurs fait part de ses « interrogations sur un retour par l’UMP et sur le sentiment que pourraient avoir un certain nombre de Français d’avoir le même casting à la présidentielle de 2017 qu’à celle de 2012, avec le risque que cela puisse profiter à une candidate qui dirait “il y en a deux qui ont été présidents, la seule qui ne l’a pas été, c’est moi” ». On l’aura compris, l’ex-chef de l'État semble mal parti pour être le candidat de Béchu. Ni pour 2014. Ni pour 2017.
« La gauche angevine l’a traité de “bébé Sarkozy” pendant six ans, mais c’est un garçon trop bien élevé pour se reconnaître dans un Sarkozy faisant feu de tout bois », analyse Alain Machefer, ancien directeur départemental de Ouest-France à Angers et auteur du livre Angers, la machine à perdre (Éd. L'Apart). « J’ai été candidat à de multiples élections quand le président me l’a demandé, rappelle Christophe Béchu quand on lui demande les raisons pour lesquelles un tel sobriquet lui a été affublé. Mais à chaque fois que j’ai dit “non”, cela s’est fait dans le cadre privé, sans publicité. » Ce fut notamment le cas à l’été 2011, lorsque Nicolas Sarkozy lui proposa d’intégrer son gouvernement comme secrétaire d’État à l’aménagement du territoire. La proposition, aussi « belle » était-elle, arrivait trop tard. Béchu la refusa.
Comme beaucoup de communes du Grand Ouest, Angers n’a jamais été très sarkozyste. « Jusqu’au début des années 2000, les candidats de la droite et du centre à la présidentielle faisaient toujours un meilleur score dans l’Ouest que leur score national, note son maire. Cela a cessé en 2007… » Ici, Nicolas Sarkozy est arrivé en deuxième position au premier tour de 2007 (avec 29,17 % contre 23,49 % pour François Bayrou). Idem en 2012. « À l’époque, l’identité nationale et l’immigration n’étaient pas des priorités pour les Angevins, poursuit l’élu. Ce discours a été davantage perçu comme une posture que comme une réalité. »
L’autre problème de Sarkozy ? Son comportement, « surtout en début de mandat ». « Carla, le yacht de Bolloré… Cela nous a desservi sur le terrain », glisse Caroline Fel, adjointe à la famille et à la petite enfance. Angers souffre d’une excellente éducation, ce qui lui fait détester toute forme de bling bling et de m’as-tu-vu, jugés bien trop vulgaires. « Une des caractéristiques de l’Anjou, c’est d’être marqué par une certaine humilité des gens, explique Christophe Béchu. Celui qui roule des mécaniques est rarement perçu de façon positive. » Les élus et militants UMP croisés par Mediapart à Angers n’ont en effet rien des fans sarkozystes qui remplissent actuellement les salles de meeting de l’ancien président. Ils n’attendent pas un homme, mais des solutions.
Attablés dans un café de la place du Ralliement, épicentre de la ville, Annie, Philippe et Baptiste expliquent les raisons pour lesquelles ils se sentent particulièrement motivés par l’élection du 29 novembre. Encartés à eux trois depuis plus de cinquante ans, ils font partie des quelque 1 900 militants de la fédération UMP du Maine-et-Loire appelés à voter pour le futur patron de leur parti. Baptiste, 24 ans, avait fait une pause avec l'UMP, avant d’être rattrapé par le militantisme début 2013. Contrairement à beaucoup d’autres militants du département qui n’ont pas renouvelé leur adhésion après l’épisode Fillon-Copé, la guerre des chefs lui a « donné envie d’y retourner pour (se) battre ».
Le jeune homme ne sait pas encore pour qui il votera fin novembre. La seule chose qu’il souhaite, c’est que les ténors de la droite ne reproduisent pas le spectacle de la dernière élection pour la présidence de l’UMP. « Il va falloir que ça se passe bien cette fois-ci, parce que c’est la dernière chance », renchérit Annie. Secrétaire déléguée de la fédération départementale, cette retraitée de 67 ans tient à insister sur la bonne organisation mise en place cette année. Rien à voir, selon elle, avec le scrutin interne de 2012 où Fillon, originaire de la Sarthe voisine, était arrivé en tête à Angers. Mais qu’importent les résultats de cette élection fiasco, pour Philippe, qui préside les Jeunes Pops du 49, « Fillon a autant perdu que Copé dans cette histoire, les deux se sont sali les mains ».
Les querelles d’égos, les « magouilles » de Bygmalion, les fuites qui s’en sont suivies, la récente histoire Jouyet-Fillon… Aucune des affaires qui ont émaillé la vie de l’UMP depuis deux ans ne semble avoir ébranlé la détermination des trois compères. « Cela dénote simplement le fossé entre Paris et le reste de la France », souffle Annie, rejointe sur ce point par Philippe qui parle de « cours de récréation » en levant les yeux au ciel. « Là-haut, il y a beaucoup de vent… », regrette celui qui est également directeur de cabinet du président de la fédération UMP 49, le député et maire d’Avrillé, Marc Laffineur.
« Ce n’est pas le corps qu’il faut changer, c’est la tête. » À 24 ans, Constance Nebbula a déjà une idée bien précise de ce qu’elle souhaite pour son parti. Conseillère municipale déléguée à l’économie numérique et à l’innovation, celle qui se surnomme @LaPlanneuse sur Twitter a les pieds bien ancrés dans le terrain, qui constitue à ses yeux le vecteur principal du renouvellement des pratiques politiques. Son candidat pour le 29 novembre s’appelle Bruno Le Maire et elle n'a pas hésité à lui donner un sérieux « coup de main » sur les réseaux sociaux. « Il faut quelqu’un de clean à la tête de l’UMP, dit-elle. La droite a plein de talents, elle ne peut pas se résumer à Nicolas Sarkozy. Son nom traîne dans trop d’histoires. Si on vit au rythme des “Sarkothons”, on ne s’en sortira pas. »
Constance n’a pas donné un centime pour rembourser les frais de campagne de l’ancien président. « L'UMP avait déjà beaucoup demandé aux militants, j’estimais que ce n’était pas à nous de payer une fois de plus les dégâts. » Une question de principe, qui va de pair, une fois de plus, avec une certaine idée de “ce qui se fait” et de “ce qui ne se fait pas”. Les grands déballages ne sont pas le genre de la maison angevine. « Ici, tout se passe derrière les tentures. On garde les poignards derrière le dos… », aime répéter Alain Machefer, l’auteur d’Angers, la machine à perdre.
« Les affaires de famille doivent se régler en famille, ajoute le deuxième adjoint du maire, Emmanuel Capus. Nous avons vécu l’épisode Fillon/Copé comme un psychodrame. La seule chose que nous souhaitons, c’est que le cirque de la dernière fois ne recommence pas. » Cet état d’esprit joue beaucoup dans l’apparente distance que semblent parfois avoir les élus et les militants UMP avec l’élection de fin novembre. « Il y a un vrai traumatisme silencieux, explique Christophe Béchu. Tous ces spectacles de déchirements font que de manière spontanée et naturelle, tout le monde évite de dire du mal des uns et des autres. On a eu notre dose. Rester discret dans cette élection, est aussi une façon pour moi de ne pas rajouter de la division à la division. »
De l’avis de tous, le casting de l’élection pour la présidence du parti n’est pas un sujet en soi. « Quand on se voit, on ne se demande pas pour qui on va voter, mais comment on peut changer les choses », souligne Constance Nebbula. Partir du terrain, ne pas se mêler des bisbilles de la machine, parler et agir de façon concrète, tenir chaque promesse engagée… Bref, changer du tout au tout la façon d’envisager et de faire de la politique. La droite angevine aimerait que l’UMP s’inspire davantage de son exemple local pour opérer sa métamorphose. Sans hystérie, mais avec des idées.
BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été jointes par téléphone ou rencontrées à Angers les 12 et 13 novembre. Merci aux journalistes Yves Boiteau (Angers Mag) et Arnaud Wajdzik (Ouest-France) pour leurs éclairages sur la vie politique angevine.
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