Après l’éviction brutale de Delphine Batho début juillet, les écologistes avaient rapidement retrouvé le sourire tant le premier ministre et le président de la République avaient multiplié les gestes d’apaisement envers leur allié. Mais les récentes déclarations de Manuel Valls sur la réforme pénale, les Roms, l’islam ou l’immigration ulcèrent une grande partie des militants écologistes qui ont rendez-vous à Marseille, à partir du 22 août, pour leurs traditionnelles Journées d’été.
Le débat sur la participation au gouvernement prévu jeudi en présence de Cécile Duflot et de Pascal Canfin promet d'être vif (lire les tribunes de Denis Baupin et de Jérôme Gleizes).
Dans un entretien à Mediapart, le secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts, Pascal Durand, accuse Manuel Valls d’oublier d’être « ministre de la République » en devenant le « porte-parole des syndicats les plus conservateurs de la police ». Mais il défend la participation de son parti au gouvernement, convaincu que François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont « pris conscience » de la nécessité de sortir de la « seule gestion du quotidien ».
Le séminaire sur la France de 2025 constitue-t-il, selon vous, un « signal positif » dans la continuité des gestes faits par François Hollande envers les écologistes après l’éviction brutale de Delphine Batho ?
Pascal Durand. C’est une tentative pour sortir du sentiment qu’ont les Français d’une absence de vision. On est dans un moment de désagrégation sociale et de démobilisation. Le dernier défilé du 1er mai était triste. On sent une société déboussolée, des solidarités qui disparaissent et une absence de dynamique positive. Au-delà de sa capacité à gérer les affaires publiques, la gauche est pourtant censée apporter un sens à la politique. Quand la droite fait sonner creux les mots de liberté, d’égalité et de fraternité, la gauche a toujours donné du sens aux mots.
C’est encore ce qu’on attend d’elle aujourd’hui. Ce n’est pas avec un colloque sur la France de 2025 qu’on va recréer cet élan ! Mais c’est le signal d’une volonté. Les écologistes ont aussi toujours porté la nécessité des temps longs. La politique crève de la gestion à court terme et de la vision de l’instant. Il faut bien sûr gérer les urgences, mais ce n’est pas la seule gestion du quotidien qui recréera de l’espoir.
Reste que l’exercice est risqué. Parce que la tentation est toujours d’être dans la science-fiction et qu’il faut se donner les moyens pour réaliser les transitions souhaitées.
Les moyens, ce sont seulement des ambitions affichées ou bien aussi des budgets concrets ?
Ce sont les deux. L’époque de Pompidou avait fixé un horizon industriel et énergétique. Après, elle a mis les moyens. Le gouvernement était parvenu à lier l’ambition politique et les moyens des politiques publiques. Aujourd’hui, si l'on considère qu’en 2025, l’énergie, les transports, le rapport à la production auront changé, il ne faut pas donner 20 milliards d’euros aux entreprises : il faut dire quels secteurs doivent être développés et à quelles conditions.
Mais c’est le contraire qu’a fait le gouvernement avec le CICE (« crédit d’impôt compétitivité emploi »), en refusant d’adjoindre des contreparties sociales ou environnementales aux aides versées !
C’était une réponse sparadrap, procédant d’une logique d’urgence. Mais, avec le recul, personne dans la majorité ne considère que les entreprises ont créé énormément d’emplois grâce à ces 20 milliards ! Le CICE, c’était peut-être un mal pour un bien. Le discours du premier ministre et du président de la République ont bougé sur ce point.
Maintenant, on attend les actes. La classe politique a perdu une grande part de sa crédibilité dans l’écart entre les mots et les actes. Sarkozy l’a payé cher. Le même risque pèse sur la majorité. Il y a eu une prise de conscience forte de la part de l’exécutif, en tout cas un revirement du discours. Après, il faut du courage.
L’exécutif a jusque-là manqué de courage ?
On a eu une période trop longue soit d’hésitation, soit de manque d’imagination. Quand la gauche et les écologistes sont arrivés au pouvoir, la situation de la France était extrêmement difficile. Je crois qu’il y a eu, au début, un réflexe de peur et de repli sur des solutions traditionnelles, assorti d’un manque de vision et d’ambition. Je crois que cette séquence est derrière nous. En tout cas, je veux l’espérer.
Mais quel a été selon vous le déclencheur de la « prise de conscience » que vous décrivez ? L’impopularité ? Les voix de plus en plus nombreuses critiquant la gauche au pouvoir ?
Peut-être tout cela. Et peut-être aussi le temps du recul.
Les propos très critiques de Delphine Batho y ont-ils participé ?
Oui. Quels que soient les désaccords du président de la République et du premier ministre avec la méthode employée par Delphine Batho, ce qu’elle a dit a aidé cette prise de conscience. Tout comme les enquêtes d’opinion montrant que les Français ont majoritairement estimé qu’il ne fallait pas limoger la ministre de l’écologie.
Après, la difficulté perdure dans la Ve République de parvenir à soutenir ce gouvernement tout en étant dans la critique constructive. Je veux que cette majorité réussisse. Je n’attends pas le retour de la droite ou l’arrivée d’une gauche pure pour agir. Mais, pour autant, il faut qu’on gueule, qu’on parle, qu’on critique… Mais avec une critique constructive. Historiquement, les Verts ont été reconnus pour leur travail d’élus dans les territoires, les villes ou les régions. C’est localement qu’ils ont trouvé l’équilibre entre la critique des majorités productivistes dont ils font partie et la reconnaissance de leur action.
On doit aujourd’hui réussir au niveau national. Le rapport à Cécile Duflot a déjà beaucoup changé en un an. Elle était au début perçue comme une jeune femme illégitime dont on ne parlait que de la robe ou des ambitions. Un an plus tard, quel chemin accompli ! Aujourd’hui les débats portent sur la question de savoir si, oui ou non, elle agit sur le logement et sur la précarité.
De nombreux écologistes sont pourtant très critiques sur la ligne du gouvernement.
J’entends les critiques sur notre participation au gouvernement. Et oui, nous condamnons et nous combattons certains choix politiques. Mais plein de socialistes sont également critiques à l’égard du gouvernement. Les lignes de fracture ne sont pas simplement entre les gentils et les méchants. Quand Manuel Valls et Christiane Taubira parlent des questions de sécurité, on voit bien qu’on est plus utile si l'on est aux côtés de Christiane Taubira à la table du conseil des ministres ou au Parlement. On est bien plus utile là qu’en simple commentateur de la vie politique.
Le mois d’août est justement marqué par l’omniprésence de Manuel Valls et par ses prises de position sur la réforme pénale, l’islam, les Roms ou l’immigration à l’opposé des positions défendues par Europe Écologie-Les Verts. Vous n’avez aucun problème à participer à un gouvernement dans lequel le ministre de l’intérieur a pris une place considérable ?
On ne choisit pas les contraintes dans lesquelles on agit. Autrement dit : nous n’avons pas choisi Manuel Valls comme ministre de l’intérieur. Nous n’avons pas non plus choisi les propagandes sarkozystes de ces dernières années, qui ont instillé dans l’opinion l’idée que les multirécidivistes et les délinquants seraient à l’origine de tous les maux de la société. La seule chose que nous pouvons faire c’est de peser, à l’intérieur de la majorité, pour que la ligne de Manuel Valls ne l’emporte pas.
Mais considérez-vous comme Jean-Luc Mélenchon que Manuel Valls a été « contaminé » par le FN ?
La stratégie de Jean-Luc Mélenchon alimente un discours qui banalise le Front national. Manuel Valls, ce n’est pas le FN. Manuel Valls, c’est le discours sécuritaire démagogique qui ne marche nulle part. Qu’il aille voir en prison et qu’il m’explique (Pascal Durand est avocat de profession, ndlr) comment on va aider des jeunes en rupture sociale à devenir des citoyens en les mettant davantage en prison ? Manuel Valls va-t-il intégrer que la justice a besoin d’au moins autant de moyens que la police ? Le tout-sécuritaire n’a jamais marché.
Il faut que Manuel Valls cesse d’être le porte-parole des syndicats les plus conservateurs de police. Il est dans le corporatisme et se comporte comme le ministre de la police. Il oublie qu’il est ministre de la République et qu’il a vocation à porter l’intérêt général. Et l’intérêt général, c’est l’équilibre entre la sanction, la prévention et la capacité à éviter la récidive. Manuel Valls doit être le garant de cet équilibre républicain.
Nous soutenons la majorité, mais nous ne devons pas être dans la logique des quarante années de Ve République avec des partis qui se taisent parce qu’ils sont au gouvernement. Donc face à Manuel Valls, on ne se tait pas. On a dit que les politiques à l’égard des Roms se mettaient dans les chaussons de Sarkozy. On continuera à le dénoncer. Je suis aux côtés de cette majorité pour faire en sorte qu’elle bouge, et que les thèses de Manuel Valls ne l’emportent pas sur celles de Christiane Taubira. Comme ce ne doit pas être celles d’Arnaud Montebourg (ministre du redressement productif, ndlr) face à Philippe Martin (ministre de l’écologie, ndlr) sur les gaz de schiste ou le diesel. C’est le point d’équilibre des écologistes.
Pour les écologistes, accepter d’être dans le même gouvernement que Manuel Valls, est-ce finalement le virage “réaliste” des Verts, à l’instar des Grünen allemands ou des écologistes belges ?
Il y a de cela. On est en train de faire au niveau national ce que nous faisions au niveau local et qui était accepté, c’est-à-dire des accords avec des majorités socialistes qui, pour l’essentiel, sont productivistes. Quand la Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur finance Iter (un nouveau type de réacteur nucléaire, ndlr), elle n’est pas dans une logique écolo mais les écolos se sont battus pour obtenir deux euros sur les renouvelables pour chaque euro sur Iter. La question qui se pose pour les écologistes est de savoir à partir de quand l'on perd tous les arbitrages.
Aujourd’hui, participer au même gouvernement que Manuel Valls, c’est aussi participer au même gouvernement que Christiane Taubira. Le jour où Manuel Valls obtiendra gain de cause, alors on pourra se demander si notre présence dans la majorité est encore utile… Si l'on perdait tous les arbitrages et qu’on ne servait à rien, on ne serait qu’une caution. Mais c’est une hypothèse que je ne veux pas traiter pour l’instant puisque les arbitrages n’ont pas encore été rendus.
Mais revendiquer un parcours à la Grünen, cela veut-il dire que vous soutenez Daniel Cohn-Bendit appelant à une coalition avec la CDU d’Angela Merkel ?
Tout le monde sait que le mouvement écologiste français n’est pas dans la même logique que les Grünen. D’abord parce qu’en Allemagne, la proportionnelle dans les élections a conduit les Grünen à avoir une indépendance absolue vis-à-vis des deux plus importants partis et à s’autoriser à faire des majorités différentes.
S’il y avait la proportionnelle en France, vous feriez pareil ?
Non ! Même en Allemagne, les Grünen ne soutiennent pas la position de Dany Cohn-Bendit. Et en France, la question ne se pose pas. Ici, les scrutins sont majoritaires et personne à EELV n’envisage des alliances majoritaires avec la droite. La droite ne porte aucune des visions de solidarité de l’écologie. Même François Bayrou veut plus de libéralisme.
Nous demandons plus de régulation, de solidarité et moins de mise en concurrence. Historiquement, c’est la gauche qui portait les valeurs de l’écologie politique. L’écologie politique ne peut pas être dissociée d’un projet de société et ce projet est à l’antithèse du modèle individualiste et guerrier de la droite. Pour moi, l’écologie politique doit rester fidèle à ses principes fondateurs. Et ces principes la placent à l’opposé des logiques productivistes de droite. Avec les productivistes de gauche, c’est très compliqué, mais il faut qu’on les rappelle à leurs valeurs historiques de solidarité et ils deviendront écolos !
Aux municipales, les écologistes vont présenter des listes autonomes au premier tour dans de nombreuses villes, malgré les appels à l’unité du PS. Est-ce l’illustration du « soutien critique » que vous prônez ?
Bien sûr. Et c’est la démocratie à deux tours. Les scrutins majoritaires sont déjà injustes ; on ne va quand même pas se priver de la seule expression démocratique possible qu’est le premier tour. Surtout que le PS nous demandait simplement d’aller derrière lui. Pourquoi ? Le PS est devenu écolo ? Il faudrait supprimer l’écologie ?
Le président de la République lui-même a appelé à l’unité…
Ce n’est pas ce qu’il nous a dit lors du dîner organisé à l’Élysée avec les responsables des partis de la majorité (en juillet, ndlr). Il a demandé que tous les partis arrivent dans une dynamique collective, mais il n’a pas parlé de listes uniques. Ce que veulent le président de la République et le premier ministre, c’est qu’on ne compromette pas le second tour. Et je le comprends.
Pour les européennes, les écologistes se divisent sur le calendrier de désignation des têtes de liste. Certains la veulent avant le congrès d'EELV prévu en novembre, d’autres après. Quelle est votre position ?
Ce sera tranché lors du conseil fédéral du 15 septembre. Dans nos statuts, figure le fait que les élections doivent être dissociées des courants au sein du parti. Mais personne aujourd’hui ne pense que c’est jouable de désigner nos candidats avant le congrès. En revanche, je me battrai pour qu’on ne fasse pas de copier-coller des courants du congrès sur les listes pour le Parlement européen. Il serait dommage de perdre la diversité de nos listes de 2009. C’est ce qui a fait notre force. Et depuis, les élus ont fait le job !
Allez-vous reconduire les sortants ?
Il faut un équilibre. De toute façon, un certain nombre de sortants ne veulent pas revenir, pour des raisons d’âge ou de cumul dans le temps. Les autres, qui n’ont fait qu’un mandat, ont fourni un gros boulot – ce serait un gâchis de s’en priver. J’ai toujours dit par exemple que si Pascal Canfin (actuel ministre du développement, ndlr) voulait se présenter à nouveau au Parlement européen, je le soutiendrais. S’il ne le souhaite pas, et qu’aucune autre forte personnalité ne peut prendre la tête de liste, alors je serai candidat.
BOITE NOIREL’entretien a eu lieu lundi soir à Paris, avant le départ de Pascal Durand pour Marseille.
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